La question mémorielle connaît «une évolution»

Selon l’historienne Raphaëlle Branche

La question mémorielle entre l’Algérie et la France connaît «une évolution» du côté de la présidence française, a affirmé l’historienne française, Raphaëlle Branche, reconnaissant, toutefois, que cette évolution n’est «pas forcément linéaire», du fait des pratiques des administrations des archives qui sont en contradiction avec la parole présidentielle.

«Sur la question mémorielle de l’Algérie, il me semble qu’il n’y a pas beaucoup d’ambiguïtés. Je note une évolution de la présidence, même si elle n’est pas forcément linéaire. Le président n’est pas tout et la question des archives classifiées secret défense le montre. Celle-ci n’est pas liée à Emmanuel Macron, mais à des administrations qui ont, de fait, des pratiques en contradiction avec la parole présidentielle», a-t-elle expliqué dans un entretien accordé au magazine français d’actualité, Le Point. Selon Raphaëlle Branche, «cela ne concerne pas que l’Algérie, mais un pan plus large de la France contemporaine dont l’écriture de l’histoire est compromise dès lors que l’accès à des archives librement communicables est entravé». «Il demeure donc une tension au cœur même de l’Etat qui concerne, plus largement, l’accès des citoyens aux archives de cette période récente, et notamment de la guerre d’Algérie», a-t-elle ajouté. Cette historienne et professeure à l’université de Paris-Nanterre a estimé, dans ce contexte, qu’«Emmanuel Macron a donné plusieurs preuves de son engagement autour des questions du rapport de la société française à son engagement colonial».
Qualifiant le texte rendu public en septembre 2018 à l’occasion de sa visite à Josette Audin d’«extrêmement important», elle a regretté qu’«il manque toutefois dans ce texte toute référence au colonial». Evoquant son nouvel ouvrage «Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?», dans lequel elle a choisi d’aborder la guerre d’Algérie du point de vue des appelés et de leur cercle familial, Raphaëlle Branche a affirmé que ces derniers sont «les témoins de ce que la France n’était pas ce qu’elle disait être, de ce qu’elle n’a pas réussi à faire : développer l’Algérie et développer entre ces deux peuples des liens d’égalité et de respect. Ils sont témoins d’un échec». Dans cet ouvrage où elle reconstitue l’envers de la guerre d’Algérie à travers les journaux intimes, les lettres, les carnets de notes et les témoignages des appelés d’Algérie, l’historienne souligne le sentiment de honte qu’éprouvaient certains soldats français vis-à-vis des exactions commises par leurs pairs. «Cela se décèle dans leurs journaux intimes.
Cette honte se complexifie aussi dans le rapport à la famille, car ils ne voulaient pas que leur image soit atteinte. Je cite les carnets de notes d’un militant communiste qui explique comment il peine à convaincre ses camarades de respecter l’humanité des prisonniers. Il en souffre terriblement, en tant que militant mais aussi en tant qu’humaniste», a-t-elle affirmé. La participation des appelés à la guerre d’Algérie a permis, selon cette historienne, à ces derniers de «découvrir le colonialisme alors qu’on leur avait dit qu’ils étaient là pour défendre la civilisation française». «Ils découvraient en face d’eux des gens qui luttaient pour leur indépendance avec un discours articulé et non pas des sauvages simplement avides de sang», a-t-elle ajouté, soutenant que «ces conscrits ne découvrent pas que la guerre en Algérie. Ils y découvrent un autre pays, un autre peuple et la réalité de la colonisation».
R. C.