Une exigence de l’heure, afin de lutter contre la corruption et la mauvaise gestion

La réhabilitation de la Cour des comptes

La Cour des comptes, comme dans les pays développés, doit éviter cette vision répressive mais être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions pour jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et administrations. L’on ne devra pas confondre corruption avec acte de gestion pour éviter de démobiliser les managers, où souvent faute d’une clarté dans les décisions, la responsabilité est collective.

Il s’agira d’éviter la création de nombreuses institutions de contrôle qui se télescopent en fonction des rapports de force. Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compte que l’Algérie est toujours en transition depuis des décennies, ni économie de marché, ni économie planifiée. C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation, posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l’entreprise publique en cas d’interférences ministérielles donc du politique où la loi sur l’autonomie des entreprises publiques n’a jamais été appliquée. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective et renvoie au blocage systémique, les managers prenant de moins en moins d’initiatives? Mais je ne saurai trop insister que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de Droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socio-économique, un renouveau de la gouvernance afin de faciliter la symbiose Etat/citoyens.
Car le véritable problème de l’Algérie face aux tensions financières et de tout développement de l’Algérie doit passer nécessairement par la moralisation de la gestion de la Cité, si l’on veut éviter notre marginalisation au seindu nouveau monde 2020/2030/2040 avec de graves turbulences géostratégiques. L’on ne doit pas, se focaliser uniquement sur quelques cas qui gangrènent la société tant civile que militaire car reconnaissons le, la majorité tant au niveau de l’ANP et des forces de sécurité et de la société civile vit de son travail, devant donc s’attaquer à l’essence de ce mal qui menace la sécurité nationale et non aux actions conjoncturelles. C’est que le manque de transparence des comptes ne date pas d‘aujourd’hui mais depuis l’indépendance à ce jour. J’ai eu à le constater concrètement lors des audits que j’ai eu à diriger assisté de nombreux experts : sur Sonatrach entre 1974/1976- le bilan de l’industrialisation 1977/1978- le premier audit pour le comité central du FLN sur le secteur privé entre 1979/1980, l’audit sur les surestaries et les surcoûts au niveau BTPH en relation avec le Ministère de l’intérieur, les 31 Walis et le Ministère de l’habitat de l’époque 1982 réalisé au sein de la Cour des Comptes, l’audit l’emploi et les salaires pour le compte de la présidence de la République (2008), l’audit assisté des cadres de Sonatrach, d’experts indépendants et du Bureau d ‘Etudes Ernest Young «le prix des carburants dans un cadre concurrentiel» Ministère Energie 8 volumes 780 pages –Alger 2008, l’-Audit «pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques».
Les équipes que j’ai eu à diriger ont formulé des propositions concrètes de sortie de crise dans l’audit «face aux mutations mondiales, les axes de la relance socio-économique de l’Algérie horizon 2020/2030» (premier ministère 2015). Le fondement de tout processus de développement comme l’ont démontré tous les prix Nobel de sciences économiques repose sur des institutions crédibles et c’est une Loi universelle. La dynamisation de cinq institutions, le Conseil national de l’Energie, la Cour des Comptes, le Conseil économique et social, la bourse d’Alger et du Conseil de la concurrence, conditionne le développement de l’Algérie comme adaptation tant aux facteurs internes qu’au mouvement du nouveau monde. En fait leur dynamisation pour leur léthargie trouve son essence dans des enjeux importants de pouvoir concernant l’approfondissement ou pas des réformes structurelles tant dans le domaine politique, économique culturel que social. Car, force est de reconnaitre qu’en ce mois de septembre 2020, Sonatrach ‘est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach (plus de 98% directement et indirectement des recettes en devises) et que l’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée rendant urgent, avec l’implication de la société civile dans toute sa diversité, de grands pôles économiques régionaux comme je le préconise depuis 1980.
La confusion des rôles où l’activisme remplace une démarche maîtrisée traduit le manque de cohérence. Cela ne peut qu’avoir un impact négatif sur le développement du pays, être facteur de démobilisation au niveau interne et donner une image négative au niveau international. C’est que l’Algérie possède des institutions qu’il s ‘agit de dynamiser si l’on veut un Etat de Droit condition pour un développement durable et surtout être crédible tant au niveau national qu’international, notamment la nécessaire dynamisation de la cour des comptes étant conscient qu’une réelle lutte contre la corruption implique un Etat de droit et la démocratisation de la société. L’ONG de lutte contre la corruption Transparency International (TI) a rendu public le 29 janvier 2019, son Indice de perception de la corruption dans le secteur public (IPC) pour l’année 2019, où l’Algérie connait un niveau de corruption élevé de 2003 à 2019.
Or, ce cancer social menace la sécurité nationale et par là contribue, en dehors du préjudicie moral, au blocage de l’investissement utile. Car avec la corruption combinée à la détérioration du climat des affaires, selon la majorité des rapports internationaux, il est utopique de parler d’une véritable relance économique. L’on sait que les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un «haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé, et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. La sphère informelle produit des dysfonctionnements du système, ne pouvant pas la limiter par des décrets et lois mais par des mécanismes de régulation transparents, existant des alliances entre le pouvoir bureaucratique et cette sphère contrôlant plus de 40% de la masse monétaire en circulation, alliances qui favorisent cette corruption.

Quel est le classement sur la corruption de l’Algérie de 2003 à 2019 selon Transparency International
– 2003 : 2,6 sur 10 et 88e place sur 133 pays
– 2004 : 2,7 sur 10 et 97e place sur 146 pays
– 2005 : 2,8 sur 10 et 97e place sur 159 pays
– 2006 : 3,1 sur 10 et 84e place sur 163 pays
– 2007 : 3 sur 10 et la 99e place sur 179 pays
– 2008 : 3,2 sur 10 et 92e place sur 180 pays
– 2009 : 2,8 sur 10 et 111e place sur 180 pays
– 2010 : 2,9 sur 10 et 105ème place sur 178 pays
– 2011 : 2,9 sur 10 et 112ème place 183 pays
– 2012 : 3,4 sur 10 et 105e place sur 176 pays
– 2013 -3,6 sur 10 et 105 rangs sur 107 pays
– 2014 – note 3,6 et 100ème sur 115 pays
– 2015 –note, 3,6 et 88 ème sur 168 pays
– 2016 –note 3,4 et 108ème sur 168 pays
– 2017 -note 3,3 et 112ème place sur 168 pays
– 2018- note 3,5 et 105ème place sur 168 pays
– 2019- note 3,5 et 106ème place sur 180 pays selon le rapport du 23 janvier 2020.

D’où l’importance de dynamiser la Cour des comptes qui est régie par l’ordonnance du 17 juillet 1995 complétée et modifiée par l’ordonnance 10-02 du 26 aout 2010, consacré dans l’actuelle constitution du 6 mars 2016 portant révision constitutionnelle et également dans le projet de révision de la Constitution dont le référendum et prévu le 01 novembre 2020? Dans l’article 202 de l’actuelle constitution stipule «qu’il est institué un Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, autorité administrative indépendante, placée auprès du Président de la République et l’article 192 que» la Cour des comptes est indépendante. Elle est chargée du contrôle a posteriori des finances de l’Etat, des collectivités territoriales, des services publics, ainsi que des capitaux marchands de l’Etat, contribue au développement de la bonne gouvernance et de la transparence dans la gestion des finances publiques et établit un rapport annuel qu’elle adresse au Président de la République, au Président du Conseil de la Nation, au Président de l’Assemblée Populaire nationale et au Premier ministre qui doit être rendu public.
La loi détermine les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes et la sanction de ses investigations, ainsi que ses relations avec les autres structures de l’Etat chargées du contrôle et de l’inspection. Institution supérieure du contrôle à posteriori des finances de l’Etat (article 2), institution à compétence administrative et juridictionnelle (article 3 la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN-Sénat) dans l’exécution des lois de finances, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. Dans tous les pays du monde où existe un Etat de droit, la Cour des comptes est une institution hautement stratégique, or en Algérie où en est sa crédibilité le Président actuel de cette institution étant en fonction depuis 1995, soit plus de 25 ans, une annale dans l’histoire et ne porte t-il pas une part de responsabilité pour son silence?
Sa composante est faible ne pouvant pas contrôler les innombrables entités (administration et entreprises publiques), alors qu’uniquement le contrôle de Sonatrach nécessiterait 200 magistrats financiers. Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec les ministères de l’Intérieur, et celui de l’habitat assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant que la Cour des comptes ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international, Dr Abderrahmane Mebtoul