La philosophie africaine depuis les origines

Tempels, Kagame et Aimé Césaire…

Selon Tempels – dont les travaux sont décriés par Aimé Césaire – la philosophie bantoue s’inspire de la hiérarchie sociale représentée aussi dans la littérature populaire.

La hiérarchie des forces à soubassement métaphysique place Dieu créateur au haut de l’échelle. A un niveau immédiatement inférieur, sont placés les hommes fondateurs des clans et des archi-patriarches qui tirent leur force vitale de l’attachement au Tout-Puissant, omniprésent et au-dessus de tous. A un niveau plus bas, se trouvent les défunts classés dans l’ordre d’ancienneté. Les forces animales, végétales et minérales, quant à elles, elles sont hiérarchisées, à l’image des êtres humains, bien qu’elles se situent au plus bas de l’échelle selon la puissance vitale, le rang et la progéniture. On peut dire qu’il y a une analogie entre l’organisation humaine et animale.
Aussi, pour indiquer son rang, un homme peut se couvrir d’une peau d’animal indicateur de sa place dans la hiérarchie sociale ; telle est la clé du totémisme selon Tempels. L’ordre de subordination ne peut être bouleversé s’il a été établi dans le respect de la tradition, car dans le cas contraire ; il faut s’attendre à une punition grave comme la malédiction qui peut frapper de stérilité quiconque oserait une transgression. La théorie édifiée dans cette philosophie place l’homme au centre de l’univers humain. Une interaction s’exerce sans discontinuer entre divers ordres humains et entre humains et autres classes des êtres vivants en vertu des lois strictes sans lesquelles il n’y a point de cohérence au sein de ces peuples primitifs et classiques.

Le point de vue d’Aimé Césaire
Cette sommité de la culture négro-africaine considère cette philosophie comme une tentative de diversion. Elle détourne des problèmes politiques et éloigne de la réalité. Pour Césaire, Tempels se fait le gardien de l’ordre colonial. Dans Discours sur le colonialisme, il dit : «Ces Bantous sont de fiers esprits. Ce qu’ils désirent avant tout et par-dessus tout, ce n’est pas l’amélioration de leur situation économique pour matérielle, mais bien la reconnaissance par le Blanc et son respect pour leur dignité d’homme, pour leur pleine valeur humaine. En somme, un coup de chapeau à en force vitale bantoue, un clin d’œil à l’âme immortelle bantoue. Et vous êtes quitté. Avouez que c’est à bon compte.»
Césaire comme les intellectuels négro-africains de sa trempe voient dans les œuvres d’étranger consacrées, un but politique. «En réalité, les philosophes africains se sont méconnus et même, ils ont été inventifs dans leur domaine, sans le savoir. Ils faisaient de l’ethnophilosophie, recherche imaginaire d’une philosophie collective, immuable, commune à tous les Africains, sous forme inconsciente», disent Paulin et J. Hountondji, auteurs de référence. Nul doute sur le contenu philosophique des productions langagières, écrites ou orales des Africains qui possèdent en outre l’art du dialogue. Ce qui les démarque de la philosophie européenne.

Un autre son de cloche
C’est celui de Kagame, d’origine rwandaise. S’il n’a pas joué le jeu des Européens dominateurs en sa qualité d’abbé Kagame apporte un plus de connaissances par rapport à Tempels, en parlant de principes philosophiques invariables ainsi que de philosophie intuitive par opposition à la philosophie instruite et à la philosophie aristotéloscolastique, dénominateur commun de la philosophie européenne. Il paraît que chez les Africains, (certainement non musulmans), l’homme est indivis. C’est une unité simple qui contredit la croyance en un composé du corps et de l’âme. En Kinyarwanda, il n’y a pas de mot pour dire l’âme de l’homme vivant. Et curieusement, mon nom propre désigne un destin. Quant aux choses en kinyarwanda, elles représentent des êtres privés d’intelligence. Kagame se distingue de Tempels par sa méthode d’analyse directe du langage.
Aussi, pour lui la philosophie bantu rwandaise de l’être privilégie délibérément la langue et les structures grammaticales conçues pour parler du réel et aider à percevoir le monde. Cependant, pour Kagame, cette philosophie ne s’enferme pas dans un particularisme, mais s’inscrit largement dans les aspects universels comme dans la philosophie européenne. Comme dans toutes les cultures reconnues, il y a une logique formelle fondée sur l’idée, le jugement, le raisonnement. C’est pourquoi ce qui exprime à l’intérieur d’un cadre culturel spécifique, peut être transféré vers d’autres langues et cultures. Parlant d’évolution de la culture rwandaise au point d’être en harmonie avec celle des autres continents, Kagane nous apporte ces quelques autres détails importants : «Vous ne trouveriez actuellement en notre pays que peu de personnes n’ayant pas encore corrigé leurs vues traditionnelles sur le monde et sur l’ambiance des temps héroïques du passé.»
Il relève, ainsi, dans la société des innovations, un dynamisme interne ainsi qu’un pouvoir d’assimilation de sa propre culture. Et l’une des thèses fondamentales reste la différence entre le concept aristoléticien de substance et les concepts équivalents dans la pensée bantoue. Ce qui revient à dire que la philosophie européenne voit l’être dans son aspect statique contrairement à son caractère dynamique dans la culture bantoue. Mais en réalité, pour le penseur rwandais, ces deux aspects restent complémentaires.
Abed Boumediene