La révision de la Constitution doit tenir compte de la sécurité collective via les enjeux géostratégiques mondiaux

Enjeux

C’est que les enjeux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, au Sahel et en Libye préfigurent d’importantes recon-figurations géopolitiques et géo-économiques dans une zone sensible avec d’importantes rivalités des grandes puissances, USA, Russie, Chine, Europe, et certains pays émergents comme la Turquie, expliquant les nouvelles missions de l’ANP contenues dans la révision constitutionnelle. Mais pour éviter toute mauvaises interprétations, l’Algérie est constante dans ses positions, privilégiant le dialogue et la coopération internationale, et n’intervenant jamais dans les problèmes internes des Etats, la mission essentielle de l’ANP, à travers sa modernisation, étant de protéger la sécurité du territoire par sa nécessaire adaptation aux nouvelles mutations.

La tournée récente au Maghreb du secrétaire à la Défense américain, Mark Esper, à Tunis, Alger et Rabat, rentre dans cette nouvelle reconfiguration et cela n’est pas anodin que les Etats-Unis d’Amérique, la Russie et l’Europe considèrent, à travers les actions de l’ANP et les différents services de sécurité, comme un acteur clef de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine comme vient de le rappeler le Premier ministre espagnol lors de sa visite à Alger les 8-9/10/2020.

1- C’est que la région connaît des tensions géostratégiques récentes et qui peuvent s’amplifier dans le futur, le trafic ayant pris de d’ampleur notamment avec les conflits en Irak, en Syrie, au Mali et en Libye et certains conflits en Afrique. La criminalité transnationale renvoie aux réseaux criminels organisés et par voie de conséquence au terrorisme qui profite de la vente de marchandises illégales. Ces marchés illicites internationaux, anonymes et plus complexes que jamais, génèrent chaque année des milliards de dollars. Cette menace est préoccupante, pas seulement pour l’Algérie mais aussi pour le monde et notamment l’Europe. Au Sahel, les groupes armés ont accru leur capacité de nuisance, se sont diversifiés en terroristes, insurgés, criminels et milices avec une convergence qui rassemblent ces groupes. L’aspect le plus troublant de la connexion semble être la façon dont le commerce de la drogue illégale sape les efforts pour poursuivre les réformes politiques et le développement nécessaires pour endiguer la radicalisation et la montée des groupes terroristes dans plusieurs pays africains déjà fragiles. On constate une profonde vulnérabilité des Etats de la région caractérisés par une mauvaise gouvernance et une forte croissance démographique. Uniquement le Sahel qui verra doubler sa population d’ici 25 ans, et compte en 2020 plus de 100 millions d’habitants. Cette croissance affecte la sécurité humaine et notamment alimentaire de la région dans son ensemble. (Intervention du professeur Abderrahmane Mebtoul au colloque international «Sécurisation et économie des frontières au Maghreb et au Sahel : enjeux et perspectives», ministère de la Défense nationale, Institut militaire de Documentation, d’Evaluation et de Prospective 27 mars 2018). A cela se greffe d’importantes inégalités favorisant l’intensification de la radicalisation qui est le fruit d’une conjonction de facteurs liés à l’individu, ses relations, sa communauté et son rapport à la société. Mais existe des enjeux économiques, où le Sahel est un espace recelant d’importantes ressources ministères. D’où les ingérences étrangères qui manipulent différents acteurs afin de se positionner au sein de ce couloir stratégique et de prendre le contrôle des richesses sont nombreuses. Le cas de la Libye, pays très riche avec une population ne dépassant pas 7 millions d’habitants, est un exemple ou différents acteurs étrangers s’affrontent par groupes interposés. L’arc sahélien est riche en ressources : après le sel et l’or, pétrole et gaz, fer, phosphate, cuivre, étain et uranium sont autant de richesses nourrissant les convoitises de puissances désirant s’en assurer le contrôle. Le commerce des stupéfiants, par exemple, a le potentiel de fournir aux groupes terroristes des recrues et des sympathisants parmi les agriculteurs appauvris, négligés et isolés, et qui non seulement peuvent cultiver pour le compte des trafiquants, mais aussi populariser et renforcer les mouvements anti-gouvernementaux. Plus récemment avec l’impact de l’épidémie du coronavirus, cette situation de vulnérabilité risque de s’accentuer car le monde de demain ne sera plus jamais comme avant, avec des incidences géostratégiques tant dans le domaine politique, social, sécuritaire qu’économique au niveau du contient Afrique du Nord et de l’Afrique noire (interview donnée à l’American Herald Tribune UA du 23 avril 2020 «Prof. Abderrahmane Mebtoul : We Have Witnessed a Veritable Planetary Hecatomb», face à ces situations géostratégiques complexes au niveau de la région, s’impose une coordination internationale et notamment l’intégration maghrébine, pont entre l’Europe et l’Afrique contribuant pour une prospérité partagée au profit de la région méditerranéenne et africaine permettant d’atténuer le terrorisme et les flux migratoires (voir deux importants ouvrages coordonnés par le professeur Abderrahmane Mebtoul et le Dr Camille Sari (de la Sorbonne) sont parus entre 2014/2015 à Paris Edition Harmattan «Le Maghreb face aux enjeux géostratégiques (500 pages) regroupant pour la première fois -36 experts internationaux , militaires politologues, économistes, juristes, sociologue, historiens, algériens- marocains- tunisiens- mauritaniens et libyens- européens). Face à ces nouveaux enjeux géostratégiques qui bouleversent la planète, le terrorisme international profite des dysfonctionnements de régulation des Etats et a au moins cinq caractéristiques en commun.
Premièrement, sur des réseaux souvent établis dans de vastes zones géographiques où les personnes, les biens et l’argent circulent.
Deuxièmement, le contrôle par le commandement et la communication.
Troisièmement, est leur besoin de traiter de grandes quantités d’argent, de les blanchir et les transférer à travers les pays et les continents.
Quatrièmement, criminels et terroristes ont tendance à se doter d’armées privées, d’où un besoin de formation, des camps et du matériel militaire.
Cinquièmement, terroristes et criminels de la zone sahélienne partagent les caractéristiques communes : pratique fréquente d’opérations clandestines cherchant la légitimité dans le soutien des populations avec usage de guérillas durables pour pouvoir contrôler un territoire et des populations.
Sixièmement, mépris pour les normes internationales, la primauté du droit, ou la notion de droits de l’Homme, et volonté de tuer ceux qui s’opposent à eux.
Septièmement, ces guérillas créent en outre des cellules spécialisées dans l’usage des médias et de l’Internet pour diffuser leur propagande et leurs revendications.
Ainsi, nous avons différentes formes de criminalités transnationales organisées qui est une industrie en constante évolution, qui s’adapte aux marchés et crée de nouvelles formes de commerces illicites qui transcendent les frontières culturelles, sociales, linguistiques et géographiques, et qui ne connaît ni limites, ni règles.

2- La combinaison de ces divers éléments selon des schémas extrêmement complexes, induisent un climat d’insécurité croissant propice à la déstabilisation des Etats de la région avec différents formes de trafics au nombre de huit interdépendants (Mena Forum Londres – International Cooperation to Combat Trafficking and Oct 5, 2020 by University professor, international expert Dr Abderrahmane Mebtoul is given on the occasion of U.S. Defense Secretary Mark Esper’s Maghreb).
Premièrement, le trafic de marchandises amplifié pour certains pays qui subventionnent les produits de premières nécessités, accentué par les distorsions des taux de change des pays de la région.
Deuxièmement, le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, est une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Le trafic d’armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices et l’avantage que représente le trafic d’armes pour des terroristes est qu’ils peuvent à la fois s’en servir et faire du profit. La meilleure prévention reste un contrôle des ventes, un encadrement contractuel, c’est-à-dire définir préalablement l’emploi des armes et la mise en place de conventions internationales sur les ventes d’armes à feu automatiques ou non.
Troisièmement, la montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région a des implications sur tout l’Afrique du Nord et l’Europe où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises, les narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement. Et selon certaines sources de renseignements, si les trafiquants de drogues étaient un pays, leur PIB les classerait au 20e rang mondial.
Quatrièmement, la traite des êtres humains qui est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle ou à l’exploitation par le travail. Cinquièmement, le trafic de migrants qui est une activité organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels. De nombreux passeurs ne se préoccupent pas de savoir si des migrants se noient en mer, meurent de déshydratation dans un désert ou suffoquent dans un conteneur. Chaque année, ce commerce est évalué à des milliards de dollars.
Sixièmement, le trafic des ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières telles que diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortelle pour les consommateurs.
Septièmement, la cybercriminalité qui est liée à la révolution dans le domaine des systèmes d’information qui peut déstabiliser tout un pays tant sur le plan militaire, sécuritaire qu’économique, englobant plusieurs domaines exploitant notamment de plus en plus l’Internet pour dérober des données privées, accéder à des comptes bancaires et obtenir frauduleusement parfois des données stratégiques pour le pays. Le numérique a transformé à peu près tous les aspects de notre vie, notamment la notion de risque et la criminalité, de sorte que l’activité criminelle est plus efficace, moins risquée, plus rentable et plus facile que jamais.
Huitièmement, le blanchiment d’argent qui est un processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé, en fait de voilant l’origine de l’argent pour s’en servir après légalement (investissement, achats à travers les paradis fiscaux, des sociétés de clearing) aussi Off Shore. (A. Mebtoul – Interviews à l’American Herald Tribune 28 décembre 2016 et au quotidien financier français la Tribune.fr mars 2017 «toute déstabilisation de l’Algérie aurait un impact sur l’espace méditerranéen et africain).
(A suivre)
Professeur des universités, expert international, Dr Abderrahmane Mebtoul