L’autobiographie américaine d’Alain Mabanckou

Chemins d’écriture

Auteur d’un corpus d’une trentaine de livres où la fiction cohabite avec de la poésie et des essais, le Congolais Alain Mabanckou est aussi professeur de littérature en Californie.

L’écrivain publie cet automne «Rumeurs d’Amérique», un recueil d’essais, à mi-chemin entre réflexions sociologiques et chroniques journalistiques, racontant la vie américaine et ses turbulences. «Je suis venu à la littérature par excès de solitude, vivant en Afrique comme un enfant unique qui portait en lui l’étonnement dans les rêves. Et donc, il y avait cette sorte de peur de la réalité qui le conduit peu à peu à inventer la réalité à travers la fiction. Disons que je ne sais pas quand j’ai commencé à écrire, mais je sais que je me suis surpris en train d’écrire et c’était déjà trop tard pour reculer.» C’est en effet difficile de reculer quand on s’appelle Alain Mabanckou et l’on est l’écrivain africain le plus connu de France et de Navarre. Alain Mabanckou s’est fait connaître en publiant en 1998, son premier roman Bleu Blanc Rouge, qui remporta le Grand prix littéraire de l’Afrique noire. En un peu plus de vingt ans de carrière littéraire, le Congolais est devenu l’écrivain emblématique de sa génération. Son imagination truculente et inventive, où le rire rabelaisien cohabite avec le lyrisme élégiaque a largement contribué à renouveler la littérature africaine et en a fait une véritable littérature-monde où le local et le global s’entrechoquent.

La condition noire en temps de migritude
Entré en littérature par la porte de la poésie, alors qu’il vivait encore à Pointe-Noire, dans le Congo Brazzaville, Alain Mabanckou est surtout romancier et essayiste. Écrivain fécond, l’homme a une trentaine d’ouvrages à son actif, dont des romans qui sont devenus des classiques et qui ont pour titre, pour n’en citer que les plus connus : Verre cassé (2005), Black Bazar (2009), Lumière de Pointe-Noire (2018), Les cigognes sont immortelles (2018). Primés par de nombreux prix et traduits en plusieurs langues, ils charrient l’autobiographique et le fictionnel, l’historique et le politique pour mettre en scène la condition noire en temps de «migritude» Rumeurs d’Amérique, le nouvel ouvrage sous la plume de cet auteur foisonnant, est un recueil d’essais consacrés aux Etats-Unis contemporains où Alain Mabanckou a atterri en 2002 pour une résidence d’écriture, avant de se recycler en professeur de littérature africaine qu’il enseigne aujourd’hui à la célèbre UCLA, université de Californie à Los Angeles. L’ouvrage que son auteur qualifie de «carnet de route vagabond» raconte l’Amérique au jour le jour. Composé d’une cinquantaine d’essais ou de chroniques, Rumeurs d’Amérique a pour l’ambition de faire entendre la clameur des villes états-uniennes, à travers leurs histoires, leurs quotidiens et les heurs et malheurs de leurs populations multiculturelle. Du balcon de son appartement haut perché en plein cœur de la ville de Los Angeles, l’auteur regarde la métropole et médite sur ses turbulences, tout en explorant parallèlement sa propre condition de Congolais mondialisé, vivant dans la nostalgie de Pointe-Noire et de Brazzaville où il a grandi et de Paris où il a vécu quelques-uns des moments fondateurs de sa vie d’homme et d’écrivain. «Rumeurs d’Amérique, explique l’auteur, malgré son titre n’est pas seulement un livre qui est focalisé sur les Etats-Unis puisqu’en réalité à travers les Etats-Unis, j’essaie d’apercevoir ce qui est resté en moi d’Afrique, et ce qui est resté de la culture occidentale. De ce balcon quand je regarde vers l’horizon, j’aperçois la ville de Pointe-Noire, la ville de mon enfance, j’aperçois aussi la capitale politique, Brazzaville, mais je vois aussi Paris, Château Rouge, Château d’eau, le Forum des Halles, le XVIIIe arrondissement… Je suis plutôt un écrivain qui fait l’inventaire des nostalgies dans les trois territoires : l’Afrique, l’Europe et l’Amérique.»

Force de l’Amérique
Alain Mabanckou aime raconter que son rêve d’Amérique remonte à sa petite enfance à Pointe-Noire où il a grandi dans la compagnie des livres. Toutes sortes de livres. Des romans de San-Antonio «avec des femmes nues en couverture» que les Occidentaux de passage laissaient derrière eux dans les chambres de l’hôtel où le père de l’auteur était réceptionniste, aux grands classiques en passant par des bandes dessinées. C’est en feuilletant les bandes dessinées consacrées aux aventures de Blek le Roc ou de Tex Willer qui se déroulaient aux Etats-Unis, que le petit Alain a découvert l’Amérique insolite où l’aventure était possible. Cette Amérique fantasmée, il ne l’a malheureusement pas retrouvée en débarquant dans le Michigan en 2002. Finalement, les villes et les pays ne sont-ils pas dessinés avant tout par l’expérience, par les déceptions, les joies et les surprises que l’on y éprouve, s’interroge l’écrivain. C’est cette Amérique entre imaginaire et réel qui est sans doute le véritable sujet de ce recueil d’essais qui aborde avec une même légèreté des thèmes sérieux tels que le racisme, la dette des intellectuels africains envers les écrivains et les activistes noirs américains, tout comme des sujets insolites comme «la gestion du temps au basket», la visite de la Maison de la sorcière ou encore l’obsession du véganisme. Il y a quelque chose des Lettres persanes dans ces pages et dans les interstices des observations faussement naïves peut-être le désir ardent du romancier de trouver dans la vitalité américaine de quoi renouveler son inspiration romanesque. «Les Etats-Unis me donnent encore plus de raisons d’écrire parce que je suis très éloigné de l’espace qui m’était familier. Les Etats-Unis ont creusé ma solitude, les Etats-Unis m’ont poussé à bout, et les Etats-Unis me permettent de réfléchir sur ce que je n’ai plus ou sur ce qui est très loin de moi. C’est peut-être ça la force de l’Amérique», se réjouit l’auteur de Verre cassé. Parions que les prochains romans d’Alain Mabanckou seront très différents de la fiction des allers et retours entre l’Afrique et la France à laquelle il nous a habitués.
T. Chanda
Rumeurs d’Amérique, par Alain Mabanckou. Plon, 256 pages, 19 euros