La vigilance tranquille

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En ces temps de transitions accélérés, l’Algérie est confrontée aux manœuvres des milieux compradores et aux inerties complaisantes de l’ordre ancien niché au sein de nos administrations les plus stratégiques, celles de la rente pétrolière, du commerce extérieur, des banques, de la santé et d’autres encore. A ces douleurs rhumatismales d’ordre interne de nos vieux rouages institutionnels très largement dépassés par la marche effrénée du monde s’ajoutent les piqûres de rappel, externes celles-là, infligées par un indice pétrolier du Nymex (cotation du brut à la Bourse de New York), capable à tout moment d’ausculter précisément notre économie recroquevillée sur ses rentes internationales en constantes dépréciations. Février 2019 est venu planter ses aiguilles d’acupuncture, en un geste de l’élégance thérapeutique aussi précis qu’efficace, pour dénouer les nœuds crispés d’un géant arabe anesthésié au chloroforme par des voleurs de développements économiques et culturels. Le diagnostic social est sans appel. Une grande partie de la contre-révolution est désormais démasquée, l’alibi culturel lui servant de paravent étant tombé devant la misère sociale de nos douars enfin très largement retransmise dans nos journaux télévisés. Cependant, un dernier carré des alliances des nomenklaturistes du système reste fortement soutenu par des puissances mondialisées qui défilent à Alger pour mesurer la détermination d’un exécutif qui a annoncé la couleur verte, blanc, rouge (avec une pointe de noire pour la Palestine et la RASD) de sa révolution populaire et ses reclassements de tous ordres – institutionnels en priorité absolue – dans une approche globale et intégratrice des préoccupations exprimées par un corps malade de ses richesses minières. De notre point de vue, le grand changement tient dans la densification exponentielle du barycentre de l’exécutif dans un mode renouvelé par un dispositif institutionnel ingénieux limitant les excès dont il pourrait se rendre coupable par la judiciarisation constante des rapports sociaux. L’Algérie Nouvelle est déjà en marche, grâce au « Hirak béni », bien avant la sanction électorale d’une itération constitutionnelle suffisante pour un nouveau départ pourvu que la transition énergétique soit nécessairement mise en œuvre tant redressement national et sortie de la rente énergétique sont intimement liés.

Le Hirak ne pourra plus être ce qu’il fut. Non pas que le peuple se soit lassé de ses revendications légitimes. Certes, des manifestations auront lieu ici et là, la plupart du temps orchestrées en sous-mains pour freiner la marche des changements multiformes. Même si ces démonstrations se distinguent par leur caractère vindicatif, elles ne sauraient dissimuler le retrait voulu de la très grande majorité de ceux qui étaient descendus en cohortes tranquilles et déterminées le 22 février 2019 pour exprimer un rejet assumé, c’est-à-dire quasi culturel, du système politique et économique qui présida aux destinées de l’Algérie ces vingt dernières années. La nation algérienne qui exprima sa disposition première en une proclamation écrite lumineuse n’ayant besoin d’aucune assemblée constituante pour s’affirmer aux yeux du monde entier, accueille un peuple éminemment politique. Il attend donc le résultat des changements constitutionnels promis pour juger sur pieds les engagements pris solennellement devant la nation par un exécutif proclamant sa volonté de retourner non seulement au texte du déclenchement de la Révolution algérienne mais aussi à son esprit. Cette patience populaire est alimentée par une forte action présidentielle. Cette dernière se déploie, en gagnant en puissance au fil des mois, dans les dispositifs pris pour lutter contre la Covid-19 jusqu’au rapatriement de plus de 30.000 de nos compatriotes, dans le soutien limité par nos maigres réserves financières largement siphonnées par «la bande» d’allocations solidaires aux plus démunis, dans l’étalements des dettes fiscales et sociales malgré les péripéties d’inefficience d’une administration gavée de renoncements jusqu’à oublier que sa fonction première était de rendre service à ses… administrés. La volonté présidentielle s’affirme avec assurance en une maîtrise de l’organisation du baccalauréat compliquée par la situation sanitaire mais dont les fuites furent, une fois n’est pas coutume, sinon négligeables du moins très limitées. Elle se concentre sur une rentrée scolaire et universitaire, appliquée, sérieuse, responsable en des aménagements des emplois du temps inédits aussi bien en rythme hebdomadaire qu’en programmation annuelle. Elle donne le signal d’une reprise progressive des activités cultuelles en attendant celles culturelles. L’impulsion initiatrice du centre de l’exécutif est de retour non seulement dans son rôle de coordination de l’action gouvernementale mais aussi dans sa mission d’orientation stratégique, ordonnant la progression de ses directives en une puissante vision intégrée. L’Etat retrouve sa tête en attendant l’usage de ses pieds qu’il souhaite moins politique et plus civil, moins intéressé par les jeux de pouvoirs coupables et plus dévoué au service de l’intérêt général ! Les modestes affaires de tous les jours sont l’objet d’une attention soutenue. Quant aux lourdes affaires, elles subissent l’examen scrupuleux d’une Justice prenant à bras-le-corps de lourds dossiers comme ceux de l’autoroute Est-Ouest, de la Sonatrach ou bien encore de l’affaire Khalifa qui n’ont révélé aucun de leurs grands secrets cachés au fond des alcôves du régime déchu de l’argent allié au fédéralisme dépouillant l’Etat de ses attributs essentiels dont celui de rendre la justice.

Démocratie sociale contre tentatives de retour à l’ordre révolu
D’où vient cette sorte de vigilance tranquille, d’un Président attentif aux petites et aux grandes choses, comme l’envoi de quatre de ses ministres lorsqu’une explosion de gaz de l’inconscience fauche les vies innocentes à El Bayadh, jusqu’à ordonner le transport en hélicoptère vers la capitale des blessés, gens modestes, mesurant enfin la valeur de leur citoyenneté, dans des moments pénibles, en attendant de la voir s’établir, dans l’exercice souverain et intègre d’un droit de vote que la voyoucratie cherche à dévoyer par l’argent en décrédibilisant, en discours nihilistes des mécanismes démocratiques, pour mieux piller les richesses de l’Etat ? D’une nouvelle disposition mentale d’une génération post-indépendante plus en phase avec la contemporanéité du monde ? Des progrès des attitudes démocratiques dans le corps social tout entier ? Peut-être, mais aussi et surtout d’un sursaut qui fut d’abord une œuvre populaire prolongée par l’écoute attentive de l’institution la plus remarquable du pays, c’est-à-dire l’armée, dans la réorganisation de fond en comble de ses services de sécurité.
Fini le temps d’une très large autonomie du renseignement militaire jusqu’à former un triptyque sur lequel reposait l’exécutif, menant inévitablement à l’alliance changeante de deux pôles contre le troisième, en fonction des sujets disputés ou des intérêts en jeu. C’est que cette disposition – voulue par Larbi Belkheir et les «officiers français» – au contraire d’un contrôle tatillon que le défunt Président Houari Boumediène exerçait sur la mythique Sécurité militaire, offrait de très larges libertés à ses officiers supérieurs jusqu’à influencer sur les textes de lois d’application et sur la règlementation taillés à la mesure d’un ordre sécuritaire faisant coïncider leurs intérêts particuliers et l’aménagements des dispositifs juridiques. Il n’y a qu’à entendre les ex-Premiers ministres, maintenant sous les verrous, proclamer ingénument qu’ils ne faisaient qu’appliquer la Loi pour comprendre à quel point le Droit fut instrumentalisé au profit du tordu et du pillage des richesses de l’Etat-National.
Mais il faut bien comprendre que cette organisation sécuritaire correspondait également à un ordre socio-politique, à une série de règles non écrites mais aussi impérieuses que le texte constitutionnel, visant à assurer «un équilibre régional» du pouvoir issu du rapport de force qui se cristallisa en 1962 par la défaite du wilayisme contre l’ALN. En d’autres termes, la pratique autoritaire ne se nourrissait pas tant de l’esprit militaire mais bien plus de crispations identitaires qui se traduisirent par un «compromis historique» de facto, sur le partage des rouages essentiels du pouvoir, sur des bases de connivences culturelles entremêlées d’intérêts bien plus que des rapports de force brutalement exprimés.

L’exécutif en force de propositions démocratiques
En revenant à un encadrement strict de sa nécessaire fonction sécuritaire, l’Etat se désengage au fur et à mesure des progrès en évolutions démocratiques de notre peuple, des jeux risqués de l’équilibrisme identitaire et de ses articulations internationalisées, pour redécouvrir progressivement, ce qui fut l’exceptionnelle force du mouvement national, l’expression libérée des luttes politiques et sociales dont l’ère est désormais rouverte avec des élections législatives qui promettent d’être les plus passionnantes depuis celles avortées de décembre 1991. Doucement mais sûrement, s’organise une démocratie algérienne, authentiquement vivante, en résonnance avec sa vieille histoire nationale que les exacerbations culturelles cherchent à masquer à dessein. Le courant dit «démocratique» va disparaître en une désagrégation accélérée par les fanfaronnades séparatistes de ceux qui se sont toujours exprimés au sein du cœur de l’Etat sur le mode du chantage mais dont la position ne peut plus tenir tant les différentiations à l’œuvre dans la société imposent le respect des droits culturels des minorités mais concomitamment consacrent le fait majoritaire comme la règle philosophique incontournable de l’action politique. Nous allons vivre, si Dieu nous prête vie, une année 2021 passionnante. Nous retrouverons nos expressions politiques aussi diverses que profondes. Cela nous permettra de renouer avec les histoires respectives des sensibilités qui ont traversé le mouvement national et nous découvrirons, chez telle formation politique la puissance incroyable du PPA, la sagesse de «Harakat El Oulama», l’audace du FLN historique, la modération du MTLD, la franchise du berbérisme historico-matérialiste pour reprendre des qualificatifs d’un autre âge mais dont on observera ici et là des résurgences émouvantes en propositions timides mais renouvelées. Pour retrouver ces chemins de la sincérité politique de nos aînés, il est nécessaire de tourner définitivement la page Bouteflika. Nous devons le faire avec détermination mais avec vigilance afin d’éviter les excès et la précipitation brouillonne qui ont ouvert la voie en 1991, à la réaction et à trente ans de pillage des richesses du peuple. Nous ne pouvons plus nous permettre les erreurs des expériences passées. La proposition constitutionnelle pour laquelle nous nous prononcerons le 1er novembre prochain est marquée du sceau de la vie politique ouverte, des droits démocratiques et sociaux. Aussi, les textes de lois comme ceux qui concernent le Code électoral, celui des Communes, celui sur les Partis, comme celui du Code de l’Information à dépoussiérer doivent être eux aussi porteurs de grands progrès démocratiques mais exercés de manière responsable par l’ensemble des acteurs militaires, politiques, associatifs et culturels qui mèneront collectivement, chacun à sa place, cette transformation qualitative de notre peuple. La seule manière de réaliser cet exercice attendu avec impatience par les forces populaires, c’est d’affirmer la primauté d’un droit rigoureux dans les principes et suffisamment souple dans ses applications pour qu’il soit, cette grande leçon de la vie en société qu’il a l’immense responsabilité d’organiser. C’est ainsi que tous ensemble nous pourrons alors, avec force, trouver les ressources pour entamer une transition énergétique qui ne pourra être réellement entamée que lorsque nous serons engagés dans l’agenda de démocratisation de notre vie sociale, politique et culturelle aux fins de mettre notre vaillant peuple sur la voie du travail productif, de l’exercice de son originalité créatrice et des progrès qu’il mérite amplement.
Brazi