Pour la transmission des légendes

Oralité

C’est par référence au grand écrivain congolais Tchicaya U Tam’si, auteur de Légendes africaines, que nous abordons sous un jour nouveau, ce thème inépuisable occupant une place de choix en littérature populaire.

On peut dire, au sujet de l’oralité, ce qu’on a dit à propos de l’histoire, qu’un peuple est condamné à la refaire s’il l’a oubliée, sous le prétexte qu’elle est porteuse de référents identitaires essentiels pour qui veut se retrouver dans un monde où l’on a du mal à évoluer vers le meilleur. Il est prouvé à l’échelle planétaire que les traditions culturelles héritées des ancêtres n’ont jamais été un frein aux progrès scientifiques et techniques. «Les légendes enseignaient à être brave, les contes à mieux se conduire, les devinettes et les proverbes à savoir tenir une conversation», dit l’auteur et ce qu’il dit est-il plus vrai aujourd’hui que dans l’ancien temps ?

Sous l’arbre à palabres ou au coin de la cheminée
La vraie école qui a réuni tout le monde dans un village africain, c’est le fromager ou manguier au pied duquel s’installe le griot qui a eu la charge, depuis les plus lointains ancêtres, de transmettre les produits du génie africain. Ce que dit le griot relève de l’histoire et du mythe, «il décrit les empires et les batailles de l’Afrique ancienne, l’origine du mariage, celle du feu et des techniques artisanales, des forces et des faiblesses humaines», selon un U Tam’si, qui ajoute que «c’est sous l’arbre à palabres que s’apprenait le grand savoir en jurisprudence et rhétorique, en politique aussi. Ma mémoire n’embellit rien, il n’y a qu’à aller entendre». Il arrive que maître de la parole et du savoir et des élèves se retrouvent au coin de la cheminée. Et pour sa lourde charge symbolique, le feu devient l’affaire de chaque participant à l’échange langagier. Tout le monde est là pour l’allumage et l’entretien jusqu’à la fin de la rencontre. Celui-ci, dit U Tam’si, apporte une écorce, celui-là apporte des brindilles pour amorcer le feu. La participation de chacun est significative durant tout l’échange parolier. Quiconque peut intervenir pour apporter un plus de connaissance ou une précision, à condition que l’intervention soit reconnue pertinente par le maître de la situation, le griot qui accorde à l’autre le rôle de conteur. C’est une sorte d’initiation à la fonction de griot exigeant la satisfaction des fondamentaux : être éloquent à la perfection pour forcer l’admiration de son public, savoir parler sur un ton humoristique, être capable de susciter des émotions et motivations, inciter chaque apprenant à compléter une légende.

Origine des légendes et de leurs variantes
Des légendes anonymes sont transmises par la voie orale dans l’espace et le temps, comme elles n’ont jamais eu de support écrit, les noms des inventions verbales de tous les temps se sont effacés des mémoires. Tchicaya U Tam’si dit que si elles sont mémorisées, en parlant des légendes, c’est par le chœur ou la présence des autres qui maintiennent haut le rythme de la récréation. Les légendes africaines émanant du génie créateur, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui, à la faveur de leur savoir et de leur savoir-faire, les composent en s’inspirant du vécu collectif et dans un but généralement didactique, moral, ou culturel ; il faut plusieurs mémoires pour les perpétuer au fil des générations. Cela est une vérité non pas seulement africaine, mais universelle. «Qui peut se vanter d’être l’auteur de telle ou telle légende ?», dit U Tam’si, en connaisseur émérite et maître du verbe. Cela pour dire qu’être l’auteur d’une production populaire de ce type en milieu africain peut être quelque chose de valorisant. Il faut avoir acquis la sagesse des ancêtres, c’est à l’intelligentsia de chaque génération. La qualité d’auteur de légende exige aussi une maîtrise parfaite de la langue qui rendra capable de créer des métaphores, des expressions, des phrases à fortes connotations. Le public d’auditeurs ou de lecteurs devient alors plus admiratif et plus réceptif. Né en 1931 en République du Congo, Tchicaya U Tam’si est en France depuis 1946 et y a fait des études. Il a obtenu, en 1966, le grand prix de poésie du Festival des arts nègres à Dakar. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes et de pièces de théâtre. C’est aussi un merveilleux conteur.
Légendes africaines, Tchicaya U Tam’si, Seghers, 235 pages Abed Boumediène