Tel est le sort des écrivains humoristes et comiques

En littérature les plus grands amuseurs oublient de s’amuser

Heureusement qu’il existe la littérature pour la lecture de détente, le rire, la joie de vivre, le plaisir de voir du monde avec des tranches de vie, et pour sortir du chromo quotidien, la lecture ou le spectacle sont des thérapies. Mais attention, en littérature, il n’y a pas que des amuseurs, il y en a qui font pleurer, rêver, réfléchir ; c’est extrêmement varié.

La littérature est un domaine très vaste et parmi les écrivains, il est difficile de se situer par rapport à cette diversité d’hommes et de femmes d’écriture, depuis l’invention des alphabets, chacun a écrit à sa façon, selon son but, ses goûts et ses capacités. Les uns pour raconter des faits vrais et qui ont pu échapper à l’attention des lecteurs, d’autres se sont évertués à faire part de leurs sentiments et de leurs préoccupations face à une société qui ne veut pas les comprendre. Mais il y a une catégorie d’hommes et de femmes de lettres qui se sont attachés à une tâche humainement louable : celle d’amuser, de procurer du plaisir au public en le faisant rire et à leur détriment. Cela consiste à écrire des comédies qui font esclaffer de rire. Ce qui n’est pas facile. Il faut s’inspirer de la réalité sociale des sujets intéressants qui puissent prêter à bien rire ; faire rire le public est un but noble, mais sans faire rire l’auteur. Au contraire, le comédien cherche à améliorer la vie, cela demande beaucoup d’imagination, de la réflexion, des tâtonnements. Pour réaliser «L’Avare», Molière a dû consacrer des mois de travail éprouvant. Il lui a fallu penser aux personnages qui vont être mis en scène, en donnant un semblant d’imitation de la réalité sociale. Il a fallu à Molière écrire toute la pièce en vers, ce qui est un travail colossal. De plus, l’auteur a dû éviter toute forme d’incohérence entre les rôles des personnages pour faire apparaître la pièce comme un assemblage de situations sociales parfaitement vraisemblables. Molière a écrit un théâtre universel, qui peut se jouer partout sans heurter personne, ni une quelconque idéologie, il a fait rire son public sur les travers de la société. Il est mort de fatigue, à la 4e représentation du «Malade imaginaire».

Les auteurs de comédies, plus grands amuseurs qui oublient de s’amuser
Ils sont nés avec la vocation d’amuseurs et toute leur vie, ils l’ont passée à faire les clowns ou à le faire faire, s’il s’agit des comédies bouffonnes destinées à faire rire les spectateurs venus assister à un spectacle pour se défouler. La majeure partie du public, vivant généralement dans un climat de tension a soif de détente, de spectacle pouvant lui apporter la joie de vivre, dans un monde dominé par la tristesse quotidienne. Et l’expérience nous a apporté la preuve que quiconque ne rit jamais s’expose au stress, à la dépression qui peut marquer à vie. Heureusement qu’il y a des artistes de talent inspirés par la vie quotidienne qui sont nés pour une cause noble, procurer du plaisir à tous ceux qui en ont besoin dans leur moment difficile. Pour la bonne humeur, ils ont des pièces de théâtre, sinon des sketchs destinés à créer des spectacles de rire. Vous vous souvenez des œuvres d’une valeur inestimables de l’Apprenti et de l’Inspecteur Tahar, Athmane Aliouet (qui a eu le meilleur de diction au théâtre), n’oublions Hassan El Hassani, c’est des chefs d’œuvres qui auraient été développés pour donner naissance à des comédies sensationnelles. Mais ces artistes de talent jouaient naturellement en improvisant et n’avaient pas besoin de se préparer, et contrairement aux autres comédiens, ils amusent le public tout en s’amusant. Certains comédiens improvisent des situations qui prêtent à rire. D’autres sont des comédiens qui s’ignorent, ne rient jamais, parlent sur un ton sérieux et grave, mais tout ce qu’ils disent font éclater de rire, ils sont d’un genre à part. Tels sont : Chikh Nordine et Slimane Azem qui forment un couple de comédiens de l’oralité, parfaits pour amuser en duo les spectateurs pendant des heures. Tous ont commencé leur carrière dans la chanson, mais, avec le temps, ils ont découvert d’autres vocations ; acteur de cinémas pour Nordine, fabuliste mettant en scène des animaux, pour da Slimane et toujours pour faire rire. On peut citer comme fable qui peut amuser tout le monde : Le lion, le chacal et le mulet qui allaient de compagnie alors qu’aucun d’eux ne supporte les deux autres dans la réalité. Ces trois animaux étaient devenus de grands amis dans la fable. Ils allaient ensemble partout, le mulet broutait à volonté l’herbe abondante et fraîche, pendant que le lion et le chacal font la chasse à leurs prédateurs favoris. Mais un jour, c’était la disette pour les camarades carnivores, pendant longtemps, ils ne trouvaient point d’animaux à dévorer. Le malin chacal trouva une idée astucieuse, manger le mulet, gros et gras en lui trouvant le prétexte qu’il était de basse race, fils de la jument et de l’âne, ou du cheval et de l’ânesse. Tu vas nous apporter l’histoire de tes origines lui dit le lion. Entendu lui répondit le mulet. Au bout d’une longue attente, le grand herbivore revint, auprès de ses pseudos camarades, prêts a bondir sur lui pour le dévorer. Je vous ai apporté sur mes sabots mon histoire, venez la lire ! Le lion accablé par la fatigue et la faim, demanda au chacal d’aller déchiffrer, celui-ci se leva vite et alla droit vers les pattes du mulet mais s’arrêta vite lorsqu’il remarqua les fers qui brillaient, cette écriture est trop difficile, il n’y a que les gens très instruits comme toi, qui peuvent la déchiffrer. Le roi de la jungle se sentant flatté, se leva majestueusement et dès qu’il fut prêt des sabots du mulet, celui-ci lui lança de toutes ses forces une ruade qui envoya loin derrière lui le lion qui eut la mâchoire broyée. Pauvre lion, qui resta allongé sur le sol et incapable de faire le moindre mouvement ; et en gémissant de douleurs atroces, il appela le chacal : «Mon ami, reste à mes côtés», «ne sois pas fou lui répond le chacal, tu sais bien qu’il n’existe point d’amis en ces temps-ci» avant de détaler pour ne plus jamais réapparaître. Racontée sur un ton de comédien et avec tous les détails, c’est l’équivalent d’une pièce de théâtre du genre «comédie» et qui donne des leçons à retenir.

Que d’œuvres d’écrivains de renommée conçues pour amuser
Aux éditions du Seuil, Kateb Yacine, a fait paraître une merveilleuse comédie qui s’intitule «La poudre d’intelligence». C’est une comédie de haut niveau composée selon la configuration des pièces de théâtre de Sophocle et d’Euripide de la Grèce antique qui a paru en même temps que deux tragédies : «Le Cadavre encerclé» et «Les Ancêtres redoublent de férocité», formant une trilogie éditée vers 1958. Les trois pièces ont été mises en scène en pleine révolution armée, en Belgique, en 1959, par Jean Marie Serrault. Du point de vue contenu, mise en forme, tirades des personnages, y compris le chœur et le coryphée, Kateb Yacine n’a rien à envier aux dramaturges de la Grèce antique. Il y a une parfaite cohérence entre les différents personnages qui dans répliques s’inspirent largement du patrimoine socio-culturel algérien. On y voit une synthèse des hommes ou femmes espiègles, bouffons, à l’exemple du légendaire Djeha adulé, du temps où il n’y avait d’autres thérapie que d’écouter, sur les places publiques ces hommes qui font rire par leurs espiègleries, leur langage, ou leur humour qui prêtent à rire. Voici une séquence de «La poudre d’intelligence» mettant en scène une très belle histoire de Djeha s’adressant à un public qui cherchait à le piéger, mais vainement. Les personnages sont atypiques, ils ont la réplique cinglante, concise et claire pour provoquer le rire, Nuage de fumée, Le chœur (comme dans le théâtre grec antique, ensemble de personne chargé de chanter ou de parler ensemble), le coryphée (chef du chœur). Voici la séquence et jugez-en : «Nuage de fumée : O croyants, savez-vous ce que je vais vous dire ? Chœur, non, non, non. Nuage de fumée : Puisque vous êtes si ignorants, je renonce à vous éclairer. Revenez demain. Chœur : il se moque de nous ! Coryphée : Sans aucun doute : Demain, lorsque nous reviendrons, il sera bien forcé de répondre. Nuage de fumée : O croyants, savez ce que je vais vous dire ? Chœur : oui, oui, oui ! Nuage de fumée : Puisque vous êtes si savants, je n’ai rien à vous dire. Chœur : il se moque de nous. Coryphée : On croyait l’attraper en répondant oui au lieu de non… Chœur : A malin, malin et demi. Demain, lorsque nous reviendrons, que les uns disent oui, et les autres non ! Ainsi, nous lui ferons perdre la tête. Nuage de fumée : O, croyants, savez-vous ce que je vais vous dire. Chœur : Oui, non, oui, non, oui, non…Nuage de poussière : Bien, il y a ceux qui savent, et ceux qui ne savent pas. Que ceux qui savent instruisent donc ceux qui ne savent pas.» Belle partie que l’on trouve assez amusante. «La Poudre d’intelligence» Maison d’édition Du Seuil, est une belle comédie de Kateb Yacine que chacun doit lire. C’est amusant et c’est bien écrit. Tout comme Molière que nous avons évoqué et qui a sa vie durant cherché à faire rire, le rire étant une thérapie pour tous ceux qui meurent d’ennui ou broient sans cesse du noir. Lui-même a dit : Que de vers qui font rire, ont coûté de larmes à l’auteur, tellement le travail qui le fait parfois pleurer d’épuisement, n’est pas de tout repos.
Boumediene Abed