Redresser l’économie nationale

Face à la crise mondiale, les défis de l’Algérie après le 1er novembre 2020

Au lendemain de la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020, et au vu des prévisions de la Loi de finances 2021, le grand défi de l’Algérie sera le redressement de l’ économie, conditionné par de profondes réformes institutionnelles et micro-économiques renvoyant à la refonte de l’Etat pour des missions adaptées tant dans le cadre des nouvelles relations internationales que d’une redéfinition des liens Etat-Marché. Car comme je ‘ai démontré récemment dans l’interview donnée à l’American Herald Tribune -USA- le 23 avril 2020 «Prof. Abderrahmane Mebtoul : We Have Witnessed a Veritable Planetary Hecatomb and the World Will Never be the Same Again», la crise mondiale avec l’épidémie du coronavirus qui touche tous les pays du monde et pas seulement l’Algérie, impacte l’économie algérienne avec des incidences sociales.

A la lecture du projet de la Loi de finances 2021, l’objectif de réaliser la symbiose entre équilibres macro-économiques et équilibres sociaux sera un exercice difficile.

1- De vives tensions budgétaires entre 2021/2022
La raison principale est la baisse des recettes d’hydrocarbures due à l’épidémie du coronavirus mais également des nouvelles tendances du nouveau modèle de consommation énergétique au niveau mondial avec la dépense publique qui reste le facteur essentiel de la croissance économique, surtout avec une fiscalité pétrolière estimée à 1 919,2 milliards de dinars (artificiellement gonflé par le dérapage du dinar par rapport au dollar pétrole/libellé en dollars d’au moins 10%), contre 2 667 en 2019, soit une baisse de 748,8 milliards de dinars. Les dépenses de fonctionnement prévues sont de 4 893,4 à 5 314,5 milliards de dinars et le budget équipement à 2 798,5 milliards de dinars sous forme de dépenses d’équipement à caractère définitif et 1 882,1 milliards de dinars à consacrer aux opérations de réévaluation des programmes. Ainsi, les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) se situent à environ 8 113 milliards de dinars, tandis que les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) sont estimées à 5 328 milliards de dinars, soit un déficit budgétaire record de 2 700 milliards de dinars soit au cours de 128 dinars un dollar plus de 20 milliards de dollars, ce qui pèse sur la création d’emplois productifs et non des emplois rentes où seulement pour le BTPH actuellement en berne emploie près de 2 millions de personnes. Comme conséquence, existe plusieurs solutions combinées, puiser dans des réserves de change, le recours à un endettement du Trésor, l’utilisation des reliquats des crédits budgétaires et à un dérapage du dinar, comme le fait actuellement la Banque d’Algérie, plus de 10/15% en une année, pour combler artificiellement le déficit budgétaire, avec le risque d’un processus inflationniste.
Avec une fiscalité pétrolière en baisse, bien que les ressources ordinaires dépassent les recettes fiscales pétrolières avec 3 408 milliards de dinars en 2021,(également gonflé artificiellement pour la partie taxes à l’importation pour les produits libellées tant en dollars qu’en euros d’au moins 10% du fait du dérapage du dinar) sous réserve que les prévisions des nouvelles recettes fiscales se réalisent, le secteur fiscal, domanial et douanier devant être numérisé, devant éviter de miser sur l’intégration de la masse monétaire informelle en circulation dont le fondement repose sur la visibilité et la confiance, les expériences historiques montrant qu’en période de crise, elle s’étend, il sera difficile de réduire le déficit budgétaire et attention pour certaines taxes, l’impôt pouvant tuer l’impô. L’on devra méditer les expériences de l’ANSEJ, où après avoir bénéficié de nombreux avantages, selon certaines informations plus de 70% des projets ont été mis en veilleuse, devant également comptabiliser les impacts en termes de valeur ajoutée et de balance devises, des nombreux avantages accordés pur les gros investissements par l’ANDI qui se chiffrent en centaines de milliards de centimes, les petits investisseurs et porteurs de projets dans le cadre des start-up considérées sources d’emplois ont besoin d’un tissu économique des grandes administrations et entreprises performantes pour se développer.
Bien que des actions louables pour l’équilibre régional économique et social sont prévues comme le développement des 9 000 foyers répartis sur ces zones d’ombre, avec une affectation d’un programme spécial à hauteur de 50 milliards de dinars mais supposant une autre gouvernance locale et centrale afin qu’il ait de véritables impacts durables et pas seulement des actions conjoncturelles passagères. La dynamisation du tissu productif s’impose dans la mesure où environ 83% du tissu économique étant représenté par le commerce et les services et plus de 90% des entreprises privées algériennes sont de types familiaux sans aucun management stratégique, et ne maîtrisent pas les nouvelles technologies. Par ailleurs, l’économie est dominée par la sphère informelle notamment marchande elle même liée à la logique rentière, représentant plus de 50% de la superficie économique. Sur le plan technique, en l’état actuel de leurs comptes très peu d’entreprises publiques ou privées connaissent exactement l’évaluation de leurs actifs selon les normes du marché. Il se trouve que les comptes des entreprises algériennes de la plus importante à la plus simple sont dans un état qui ne passerait pas la diligence des audits les plus élémentaires.
Pour Sonatrach par exemple, il s’agit de distinguer si le surplus engrangé par Sonatrach est dû essentiellement à des facteurs exogènes, donc à l’évolution du prix au niveau international ou à une bonne gestion interne. Concernant l’énergie, l’élection américaine sera déterminante en cas de victoire des démocrates qui ont une autre vision de la politique énergétique, avec le retour des USA aux accord de Paris COP21 et le développement d’énergies alternatives aux fossiles classiques. L’économie algérienne étant fortement connectée à l’économie mondiale via la rente des hydrocarbures, pour la majorité des organismes internationaux, la croissance de l’économie mondiale ne connaîtra une reprise, sous réserve de la maîtrise de l’épidémie du coronavirus que courant 2022. Entre temps, du fait de la crise mondiale et le retard dans les réformes, l’Algérie connaîtra sept impacts négatifs qu’il s’agira de circonscrire

2- Les sept impacts de la crise mondiale sur l’économie algérienne

Premier impact, la demande d’hydrocarbures dépend fortement du retour à la croissance et de l’économies mondiale. Selon le rapport de l’OPEP d’octobre 2020, la demande mondiale de pétrole fin 2020 devrait reculer plus fortement qu’anticipé jusqu’à présent, de 9,5 Mb/j, pour atteindre 90,2 Mb/j en raison de la crise sanitaire et économique liée à la pandémie de Covid-19 et concernant la demande mondiale pour 2021 revues en baisse, de 0,4 Mb/j par rapport cette demande devrait en 2021 s’établir à 96,9 Mb/j, loi des prévisions avant la crise de plus de 100 millions de barils/jour. Pour l’Algérie les hydrocarbures en 2010/2019 ont procuré avec les dérivées 98% des entrées en devises, dont 33% proviennent du gaz dont le prix de cession ont chuté de plus de 70% ces cinq dernières années.
De ce fait, la politique socio-économique est liée à l’évolution du prix du pétrole et du gaz qui influe sur le taux de croissance, le taux de chômage, et le niveau des réserves de change (notre interview Monde.fr/AFP Paris 10/8/2020). Ainsi, le 18 octobre 2020, le cours du pétrole en bourse du Wit est coté à 41,12 dollars et le Brent à 42,81 avec un cours euro/dollar de 1,1717 et le prix de cession du gaz sur le marché libre est coté 2,77 dollars le MBTU.
Selon les institutions internationales, en moyenne annuelle, avec des fluctuations semaine par semaine, mois par mois, nous avons pour le cours du Brent de 2000 à 2020 :
– 2000, 28,52 dollars le baril
– 2005, 54,41
– 2010, 78,92
– 2014, 99, 00
– 2015, 52,36
– 2016, 43,55
– 2017, 54,25
– 2018, 71,05
– 2019, 64,34 estimation fin 2020 en moyenne entre un cours très bas les quatre premiers mois de 2020 (cours environ 30 dollars et moins) et hypothèse un cours qui dépasse 40 dollars de juillet à décembre 2020, nous aurons une moyenne de 35/37 dollars.
Les recettes de Sonatrach auquel il faudrait retirer les coûts et les parts des associés pour avoir le profit net, contre environ 34 milliards de dollars en 2019 devrait s’établir fin 2020 entre 20/22 milliards de dollars. Deuxième impact, sur le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) à prix courants qui a évolué ainsi de 2000 à 2019 se calculant par rapport à la période précédente, un taux de croissance élevé en T1 par rapport à un taux de croissance faible en TO donne globalement un taux faible : – 2000 5,0% – 2005, 6,1%- 2010, – 2015, 3,7% – 2018, 1,4% – 2019, 0,8% pour le gouvernement 0,7% pour le FMI. Pour les prévisions 2020, nous avons pour l’ONS un taux de croissance négatif de 3,9% au premier trimestre 2020. Le Fonds monétaire international (FMI) dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales publié le 13 octobre 2020 a révisé à la baisse ses prévisions de croissance de l’économie algérienne à -5,5% en 2020, contre -5,2% anticipée en avril, 2020 tablant un taux de croissance de 3,2% en 2021 contre 6,2% dans son rapport d’avril 2020, soit la moitié de ce qui était prévu et ce sous réserve de la maîtrise de l’épidémie du coronavirus qui impacte la croissance de l’économie mondiale. Troisième impact sur le taux de chômage, mais devant tenir compte de la pression démographique.
En 2020 la population dépasse 44 millions d’habitants, avec une prévision pour 2030 de plus de 50 millions d’habitants. La population active fin 2020 dépasse 12,80 millions et il faut créer annuellement entre 350 000 et 400 000 emplois nouveaux par an. La structure de l’emploi fait ressortir un secteur tertiaire dominé par le commerce, les services et l’administration) avec un nombre de retraités en mai 2020 de 3 266 000 personnes où la caisse de retraite connaît un déficit structurel.
Comme conséquence à la fois de la baise du produit intérieur brut et de croissance démographique, nous assistons donc à un accroissement du taux de chômage :
– 2017, 11,6%
– 2018, 13,1%
– 2019.
Dans son Rapport d’octobre 2020, pour le FMI le taux de chômage devrait atteindre 14,1% en 2020 et 14,3% en 2021. Comme conséquence de la non maîtrise de la conjoncture imprévisible, et cela n’est pas propre à l’Algérie, rappelons que dans son rapport d’avril 2020, le FMI prévoyait pour l’Algérie un taux de chômage de 15,1% en 2020 avant de redescendre sensiblement à 13,9% en 2021. Quatrième impact, sur le déficit budgétaire et la balance des paiements où selon la Loi de finances complémentaire 2020, le déficit budgétaire devrait atteindre -1 976,9 milliards de dinars, soit -10,4% du Produit intérieur brut (PIB) et la balance des paiements enregistre un solde négatif de -18,8 milliards. Pour le FMI dans son rapport d’octobre 2020, la baisse de l’activité économique de l’Algérie devrait se poursuivre en 2020, le déficit du compte courant se creusant en s’établissant à -16,6% du PIB en 2021. Toute baisse du dinar par rapport au dollar et à l’euro permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures et la fiscalité ordinaire. Pour combler le déficit budgétaire, l’Algérie a eu recours à l’émission monétaire. (A suivre) Professeur des universités, expert international,
Dr Abderrahmane Mebtoul