«Belmadi est une référence pour notre football»

Omar Betrouni

Passionné du football depuis son très jeune âge, l’ancienne star du Mouloudia d’Alger et de l’équipe nationale Omar Betrouni mesure aujourd’hui ce qu’il a donné au football et ce que le football lui a donné. Des titres réalisés avec le MCA, dont trois Coupes d’Algérie, la 1re USMA – MCA.

Le 2e Coupe contre le MO Constantine (2-0) et enfin contre l’USMA (4-2) au stade 5-Juillet. D’autres trophées viennent enrichir ses étagères footballistiques. Il s’agit de la 1re Coupe du Maghreb contre le Club Africain en finale (1-0). La 2e Coupe du Maghreb en Tunisie en finale avec le FUS du Maroc, et une médaille d’or historique acquise avec l’EN, à l’occasion du match contre l’équipe de France, jouée lors des Jeux méditerranéens de 75. C’est lui qui était l’auteur du but victorieux face aux Bleus en finale. Le brassard de capitaine d’équipe nationale, qu’il portait n’est pas quelque chose qu’on impose et qui fait qu’un joueur devient leader. C’est sa capacité à être un guide dans la durée qui fera que le groupe le choisira naturellement. Omar Betrouni détient un joli palmarès, et a réussi une pleine carrière sportive et demeure toujours à l’écoute du football national.

La Nouvelle République : J’aimerai tout d’abord commencer cet entretien par la 4e finale que le MCA avait disputée en 1971 contre l’USMA au stade 20-Août ?
Omar Betrouni : Vous me faites rajeunir. Si j’avais terminé ma carrière sans avoir eu dans mon CV, des trophées ou des victoires, j’aurai certainement eu un goût d’inachevé. D’autres rencontres défilent encore dans mes pensées et qui me permettent aujourd’hui d’être fière du travail accompli sur les terrains. Celui face à l’USMA en fait partie. Un beau match plein de technicité et de spectacle. Une finale à revivre.

Comment Betrouni s’est-il attaché au football ?
Tout a commencé au collège de Notre Dame d’Afrique à la fin des années cinquante.

Joueur minime ?
Non pas du tout, en cette période on parlait de «Poussins».

Et l’entraîneur, c’était qui ?
J’avais comme entraîneur Idzou, de 59 à 60. Mon oncle Kayas Mohamed qui faisait de l’athlétisme a été pour quelque chose si je suis footballeur. De 60 à 62, c’était le silence. Pas de rencontres de football. Et ce n’est qu’en 1962 que nous avions joué un match amical entre le MC Alger et Hamam Lif à Saint-Eugène. Nous avons été convoqués pour jouer en ouverture. Et ce jour là, à ma grande surprise, on me met de côté alors que les autres étaient titularisés. L’entraîneur s’est justifié en me disant tout simplement que je suis ‘trop petit, trop frêle’. Djazouli, le dirigeant, voulait me tester et insista pour que je joue en seconde mi-temps. Il dira à l’entraîneur ‘c’est le dernier, il faut l’essayer’. Résultat des courses, ils découvrent que j’avais du talent. On perdait 1-0 en première mi-temps. Et à la grande surprise, c’était moi qui égalisa. Les ovations fusaient de partout. Depuis, c’est l’envol vers les grandes compétitions.

Un coup de manivelle pour votre vie footballistique ?
Ah oui, et comment puisque depuis tous les entraîneurs qui se sont succédés au MCA, dont Foula, Hahad, Khabatou, Lemoui, Saïd Heddad, El Kamel, m’ont toujours porté sur la liste des joueurs seniors retenus, et ce, malgré mon jeune âge. Je profite pour évoquer le 10e tournoi international juniors de Roubaix en 1966 avec les grands joueurs du moment Allili, Taouti, Kaoua, Sellami, Koffi, Mokrani, Zerouk, Chaoui, Hadefi, Ghomari Fellah… Un tournoi qui fut pour moi une autre pièce à conviction pour les entraîneurs.

Revenons, si vous le voulez bien, à votre première participation dans la course à la CAN ?
Ma première c’était contre la Guinée au Maroc. Pour cette confrontation, il y avait Haddefi, Hacène Lalmas, Ouchene, Abrouk, Beloucif, Messaoudi Kalem, Dali, Seridi… Nous avons fait match nul 1-1 à l’aller, puis au retour, je n’étais pas dans le coup. Nous avons perdu bêtement (4-0). Mais le groupe était bien soudé. Nous n’avions pas d’infrastructures sportives qui nous permettraient de nous regrouper et préparer sérieusement nos rencontres internationales. Notre objectif était de réaliser des scores qui feraient du football national une véritable référence.

Il y avait aussi 73 et 74 ?
Oui, les éliminatoires de la Coupe d’Afrique. Contre le Maroc au premier tour. C’était une grande équipe. Nous avons réussi à nous imposer en infligeant une défaite aux amis marocains (3-1) à l’aller. Le match retour joué à Casablanca n’a pas été meilleur puisque éliminé sur un score lourd de 3-0 (après prolongation).

Et 75 ?
Vous voulez parler des Jeux méditerranéens. Oui, c’était une autre belle histoire. J’avais le brassard de capitaine d’équipe, et lors de cette complétion, on avait à faire à des équipes très costauds. Je citerai la Tunisie, la Yougoslavie, l’Egypte… mais nous avons fait un excellent boulot. A titre de référence, cette victoire contre les Pharaons et je me rappelle c’était Draoui qui avait inscrit le but.

Vous êtes arrivés en finale après… Devinez contre qui ?
La France. Une équipe qui se disait championne avant l’heure. Et pour nous, c’était un match un peu spécial pour diverses raisons. Pas question de perdre cette finale qui se jouait en plein ramadhan, ce qui pesait sur nos jambes. La mi-temps était sifflée sur le score de 2-1 en faveur des Bleus. Le défunt président de la République Houari Boumediene qui avait assisté à la première mi-temps, n’était pas très content. Il était très déçu, même après ce score (2-1). Alahoum s’était entretenu avec lui, le message était clair ‘pas question que la Marseillaise soit jouée au stade 5-Juillet. On a ouvert les Jeux avec Qassaman. Ils se termineront avec l’hymne national’. J’étais capitaine. Avant le coup d’envoi, on s’est juré de mettre le paquet pour venir à bout de cette équipe. La tension monte, le stress nous dévorait, les minutes s’effaçaient, il ne restait qu’une poignée à jouer, le Président quitte la tribune officielle, mais à quelques pas de la porte de sortie, près de 100 000 supporters faisaient exploser les tribunes de joie. J’ai répondu sur le terrain au Président en inscrivant ce but victorieux qui laissera place à Qassamène, et non à la Marseillaise. «Je me souviens qu’en guise de prime, nous avions reçu un carnet CNEP ‘garni’ de 2 000 DA ! Mais plus que l’argent, la communion avec les gens dans la rue n’avait pas de prix. Ce qui prouvait que ce n’était pas du tout l’argent qui attirait, au contraire mais gagner, remporter des trophées, faire plaisir aux supporters algériens et à nous-mêmes, c’était cela notre objectif.

La CAN-2022 est proche. Belmadi a réussi à décrocher la seconde étoile africaine, pensez-vous que la 3e est possible ?
Pourquoi ne réussira-t-il pas la troisième ? Il est vrai qu’avant l’Egypte, je disais à vos confrères qu’il lui serait difficile de réussir, et bien aujourd’hui, je fais mon mea-culpa. Cependant, il aura quelques difficultés à former son équipe au regard du changement qui s’annonce. Des joueurs ayant atteint la limite d’âge doivent laisser la place à une nouvelle génération. Mais il saura mettre en scène les meilleurs du moment, les lancer selon sa méthode, bien entendu. Il a trois équipes au sein desquelles il pourra puiser ce dont il a besoin. Belmadi est un technicien hors paire, nous lui faisons confiance tant en CAN qu’en Coupe du monde.

Y aura-t-il, selon vous, de nouveaux joueurs locaux en sélection ?
Vous connaissez tout, peut-être mieux que nous qui sommes des footballeurs. De quels joueurs parlez-vous ? Ou plutôt de quel championnat parlez-vous ? Mieux encore de quel professionnalisme parlez-vous ? Le professionnalisme que l’on ne connaît que de nom ? Non, Belmadi s’est déjà exprimé sur ce sujet et il regrette vivement que notre championnat soit encore faible et ne produit pas de meilleurs joueurs capables de rejoindre l’équipe. Il ne produit rien. Hélas, le football est un immense chantier des infrastructures engagées qui accusent un retard monstre. Le professionnalisme, c’est des gestionnaires professionnels, or chez nous, il n’existe pratiquement aucun club professionnel, si ce n’est trois, et encore. Quel est le club qui a des projets sportifs ? Des clubs sont des SDF. Le MCA, l’USMA et autres se regroupent à l’ESHRA. On ne s’occupe ni de la formation, ni des destinées des joueurs. Vous savez aussi bien que tous, les clubs professionnels de football sont soumis à un cahier des charges dont ils devront s’accommoder, sous peine d’être privés de participation au championnat professionnel. Mais ce cahier des charges n’existe pas, sauf erreur de ma part. On est dans l’amateurisme encore. Voilà pourquoi Belmadi se rabat chez les joueurs algériens qui évoluent dans des clubs étrangers et dont certains ont quitté les clubs algériens.

Vous n’êtes pas pessimiste là ?
Non réaliste. Nous avons des capacités et donc une sacrée expérience dont pourrait en profiter les instances et les clubs. Oui, nous pouvons, parce qu’ils existent de bons gestionnaires capables de briser le mur de l’amateurisme. Mais pour cela, il faut des outils, des outils pour croire en l’avenir, remplir le cahier des charges, respecter, se référer aux exigences du professionnalisme, arrêter enfin de faire traîner les projets. Les anciens gestionnaires de ce football étaient de véritables architectes de ce foot. Des messieurs du football. Pour eux, le principal objectif était de former, d’éduquer le joueur. Vous ne trouverez pas un seul dirigeant qui a négocié un match, leurs déclarations étaient professionnelles. Ils savaient placer les mots qu’il faut pour calmer les esprits, et non verser de l’huile sur le feu. Je suis convaincu que Belmadi réussira pour ses objectifs. Sa manière de gérer les joueurs, de construire une équipe, d’en faire du groupe, un seul joueur, c’est un peu les Hacene Lalmas, Ali Fergani, Salah Assad, Ali Bencheikh, Lakhdar Beloumi… Aujourd’hui, je regrette très sincèrement, le retard qu’accuse l’application du professionnalisme. A cette allure, nous avec le professionnalisme on ne produira que du vent.
Propos recueillis par H. Hichem