Tensions géostratégiques, sécurité collective et nouvelles conflictualités dans la région sahélienne

Mutations géostratégiques mondiales

Les tensions actuelles à nos frontières interpellent l’Algérie, pièce maîtresse de la stabilité de la région, à travers les actions de l’ANP et les différents services de sécurité. C’est qu’aux enjeux au Maghreb et au Sahel, préfigurent d’importantes reconfigurations géopolitiques et géoéconomiques dans une zone sensible rentrant dans le cadre de la nouvelle stratégie mondiale à laquelle l’Algérie ne saurait échapper et d’une manière générale toute l’Afrique.

Ces enjeux sont intiment liés aux nouvelles mutations mondiales actuelles qui devraient conduire à de profondes reconfigurations socio-économiques, technologiques mais également sécuritaires. La «sécurité collective», expression dont l’usage s’est développé dans les années 1930, constitue une tentative de réponse au déchaînement de violence des deux guerres mondiales du XXe siècle. Intiment quant à la formation à la paix (CP), elle soulève des défis politiques, économiques sécuritaires et notamment la relation entre la formation et la manière dont les parties externes s’engagent dans le règlement des conflits et notamment la relation entre les États, les organisations internationales et les sociétés civiles mondiale et locale et leurs influences pour une paix durable, fondéesur la dialogue des cultures, la tolérance, facteur de stabilité de toute l’humanité pour un monde solidaire.

1- Problématique de la sécurité collective au Maghreb et au Sahel
1.1- Préambule : quelques éclaircissements sur le concept de sécurité collective
Aux antipodes de la sécurité par l’équilibre des puissances qui avait marqué le système international au XIXe siècle, la sécurité collective repose, elle, sur le «déséquilibre» des forces. Ce système a d’abord été institutionnalisé, au lendemain de la Grande Guerre, par la Société des nations (SDN), puis a été repris en 1945 par l’Organisation des Nations unies (ONU). Loin d’avoir donné les résultats que ses promoteurs avaient placés en lui, il marque néanmoins un tournant dans l’histoire des relations internationales. Une approche globale comme facteur d’adaptation selon les experts militaires est nécessaire au nouveau contexte : la cohérence, l’anticipation, l’adaptabilité, la permanence, la «légitimation» et la «résilience». C’est que les crises internationales ont toujours concerné de nombreux acteurs. Mais traditionnellement, en dehors de l’organisation de sécurité collective à vocation universelle et à compétence générale qu’est l’ONU, leur gestion revenait avant tout aux États. Or de nombreux autres acteurs y participent désormais notamment les organisations non gouvernementales et les organisations d’intégration régionale. On le constate, le champ est composé d’une multitude d’acteurs et d’approches qui implique de facto un morcellement des actions et une difficulté à avoir un impact significatif sur le terrain. De nombreuses études tentent de catégoriser les principaux acteurs de ces conflictualités émergentes. La plupart d’entre elles opposent les États, dotés de forces armées régulières, à des acteurs non-étatiques, laissant apparaître de nouveaux adversaires. Cette opposition, selon les experts en géostratégie entre États et acteurs non-étatiques, ne semble pas totalement satisfaisante car elle ne reflète pas l’ensemble des systèmes asymétriques. En effet, une typologie des acteurs ne peut se faire qu’en prenant en compte plusieurs critères : les motivations, l’organisation et les modes d’action. De nouvelles conflictualités sont apparues où leurs acteurs se caractérisent souvent par l’illisibilité de leur organisation, l’imprévisibilité de leurs actions multiformes qui privilégient la violence dûment mise en scène par la recherche du sensationnel et de la médiatisation. Grâce aux nouvelles technologies et à leur prolifération non maîtrisée, ces conflictualités sont susceptibles d’utiliser toute la panoplie des capacités actuelles : armement sophistiqué, maîtrise de l’information, diversité des types d’agression (capacité d’exporter une menace n’importe où dans le monde), générant des menaces (cyber-délinquance, cyber-criminalité, etc.) qui mettent en évidence l’insuffisance des systèmes de sûreté ou de substitution dans les sociétés modernes. En effet, les moyens modernes de communication facilitent l’expression libre et la circulation, via les réseaux, des idées les plus extrêmes, dans un but revendicatif, subversif ou prédateur. Elles peuvent atteindre tous les pans de la société : cohésion sociale, légitimité de l’autorité, pertinence du modèle économique, sociétal ou religieux. Ainsi véhiculées, les techniques d’«agression» de toutes natures se propagent, et contribuent d’autant plus à la fragilisation des «cibles» potentielles qu’elles s’appuient souvent sur l’image, support d’émotion et propice aux comparaisons.

1.2- Le Maghreb face aux mutations géostratégiques mondiales
Devant privilégier en premier lieu ses intérêts stratégiques, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), le Maghreb se doit d’agir en fonction d’un certain nombre de principes et à partir d’une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de stabilité dans la région, que ce soit dans le cadre d’une coopération avec l’Otan, en fait avec les USA, ou avec les structures de défense que l’Union européenne entend mettre en place, également avec la Russie et la Chine pour ne citer que les principaux acteurs mondiaux. Les derniers évènements au Sahel, faute d’une coordination, montrent son incapacité à agir sur des évènements majeurs. La fin de la Guerre froide marquée par l’effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 représente un tournant capital dans l’histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d’un monde né un demi siècle plutôt et la dislocation d’une architecture internationale qui s’est traduite des décennies durant par les divisions, les déchirements et les guerres que nous savons. Aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs, anciens ou nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global. Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s’autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour le Maghreb ? Interpellé et sollicité, le Maghreb s’interroge légitimement sur le rôle, la place ou l’intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu’il s’agisse du dialogue méditerranéen de l’Otan ou du partenariat euro-méditerranéen, dans sa dimension tant économique que sécuritaire. L’adaptation étant la clef de la survie et le pragmatisme un outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, le Maghreb devant faire que celui que commandent la raison et ses intérêts. C’est dans ce cadre que doit être placée la stratégie du Maghreb dans le dialogue méditerranéen de l’OTAN.
Le cadre défini au sommet de l’Otan de promouvoir le dialogue méditerranéen de l’Otan au rang de «véritable partenariat», (le même sommet d’Istanbul faisant une offre de coopération à la région du Moyen-Orient élargi qui est adressée aux pays qui le souhaite, ceux qui sont membres du conseil de coopération du Golfe étant cités explicitement) ambitionne de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région méditerranéenne par le truchement d’un certain nombre d’actions au nombre de cinq qui se veulent complémentaires avec d’autres actions internationales :
a.- le renforcement de la dimension politique du dialogue méditerranéen avec l’Otan ;
b.- l’appui au processus de réformes de la défense ;
c.- la coopération dans le domaine de la sécurité des frontières ;
d.- la réalisation de l’interopérabilité ;
e- la contribution à la lutte contre le terrorisme.
Face à ces propositions quelle est l’attitude des pays du Maghreb devant consolider l’intégration maghrébine pour devenir une entité économique fiable au moment de la consolidation des grands ensembles ? Les menaces qui pèsent sur les peuples et leurs Etats et les défis collectifs qui leur sont lancés doivent amener les pays du Maghreb à se doter d’une politique extérieure globale des enjeux, des problèmes et des crises que connaît le monde et à déployer ses capacités, ses moyens et son savoir-faire dans une logique de juste et fécond équilibre. Le dialogue et la concertation entre les peuples et entre les acteurs sont la clef et en même temps la meilleure des garanties pour instaurer la paix et la stabilité de manière juste et durable. C’est sur cette base que me semble-t-il que les pays du Maghreb doivent s’engager dans le dialogue méditerranéen de l’Otan et dans d’autres initiatives régionales ou sous régionales notamment européennes. Car face à l’Otan, existe une volonté politique de l’Union européenne d’avoir une stratégie de défense et de sécurité qui concerne le Maghreb. Sur le plan militaire et géostratégique c’est à travers les activités du groupe dit des «5+5» que peut être apprécié aujourd’hui la réalité d’une telle évolution.
C’est que la lecture que font les Européens des menaces et défis auxquels le monde et notre région sont confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer ensemble une stratégie de riposte collective et efficace concernant notamment le terrorisme international, le trafic des êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchissement d’argent. Pour le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie qui ont signé l’Accord de libre échange avec l’Europe, en matière de défense et de sécurité, des consultations relatives à la mise en place d’un dialogue entre le Maghreb et l’Union européenne ont lieu sous forme de consultations informelles et de réunions formelles. Mais il serait souhaitable des clarifications portant sur deux questions jugées fondamentales : la valeur ajoutée de cette offre de dialogue par rapport au dialogue méditerranéen de l’OTAN et la coopération de lutte contre le terrorisme avec l’UE dans le cadre de la PESD.
D’une manière générale et au vu de ce qui se passe au Sahel, il y a urgence pour l’Algérie et le Maghreb une stratégie d’adaptation. Pour ma part, lors d’un déplacement aux USA lors d’une rencontre avec un grand responsable au département du trésor US à Washington, j’avais émis cette hypothèse naïvement que l’Algérie et le Maghreb devaient tirer profit des divergences entre la France et les Etats-Unis d’Amérique. Il m’avait répondu clairement : «Il n’y a parfois que des divergences tactiques de court terme mais aucune divergence stratégique entre les Etats-Unis d’Amérique et la France et plus globalement avec l’Europe». J’en ai tiré la leçon afin de comprendre les enjeux géostratégiques alors certains veuillent encore opposer les USA à la France sur le dossier du Sahel et notamment du Mali se croyant encore aux années 1960/1970 de la confrontation des blocs. Il est entendu qu’à la fin de toute guerre ce sera la diplomatie qui prendra la relève.

1.3- La problématique sécuritaire du Sahel
La situation actuelle au Sahel pose la problématique de la sécurité de l’Algérie et fondamentalement l’urgence d’une coordination régionale notamment l’intégration de la sphère informelle posant la problématique de l’intégration du Maghreb (plus globalement de l’Afrique du Nord), pont entre l’Europe et l’Afrique afin de faire de cette zone une région tampon de prospérité. Le terrorisme, menace planétaire, se nourrit fondamentalement de la misère en se livrant au trafic de tous genres, rançons, drogue, armes, etc. Le Maghreb, pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir une grande puissance régionale avec une influence tant économique que militaire, dans la mesure où en ce XXIe siècle l’ère des micros Etats étant révolu et que la puissance militaire est déterminé par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde pour le Maghreb sont nécessaires, étant multiples, nationales, régionales ou globales mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celles des hommes, les stratégies de riposte doivent être collectives. Cependant, dès lors qu’elles émanent d’acteurs majeurs et de premier plan, elles s’inscrivent dans une perspective globale et cachent mal des velléités car évoluant dans un environnement géopolitique régional que des acteurs majeurs façonnent aujourd’hui à partir de leurs intérêts et des préoccupations stratégiques qui leurs sont propres.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international en management stratégiste Dr Abderrahmane Mebtoul