Bordj-Menaïel, une ville historique qui mérite mieux

Boumerdès

Actuellement on assiste à des décès naturels de beaucoup de personnes qui nous quittent sans dire au revoir, certains sont enterrés au cimetière Sidi Smid, d’autres à Lalla Aïcha, le cimetière musulman de la localité de Bordj-Menaïel mitoyen avec celui des chrétiens, comme partout ailleurs en Algérie (Rouiba, Reghaïa, Si-Mustapha et autres). Il est situé à quelques centaines de mètres du côté Sud et est, implanté devant le nouveau lycée à proximité de la Maison de jeunes.

Il nous rappelle celui qui jouxte le stade Omar-Hamadi de Bologhine ou était collé une pancarte à l’ intérieur d’un café qui durant la colonisation était un débit de boissons alcoolisées et qui disait : «Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, on est mieux ici qu’en face». Mais la réponse à cet écriteau est que «quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, les gens qui sont ici sont venus d’en face», allusion faite aux morts enterrés au cimetière de Bologhine. A Bordj-Menaïel, le cimetière de Lalla Aicha et celui des chrétiens près desquels autrefois on avait peur de s’aventurer et dont nos parents nous avaient inculqué le respect des lieux n’est plus d’actualité aujourd’hui. Ils sont en effet abandonnés depuis plusieurs années, et lorsqu’on avance le mot «abandon», cela insinue le délaissement total en matière d’entretien. Les autorités compétentes ne semblent pas alertées par l’état de délabrement criant dans lequel se trouvent ces deux lieux qui au sens propre du mot sont l’histoire de la ville car il suffit de marquer un temps d’arrêt devant n’importe quelle tombe et vous verrez toute une panoplie de souvenirs remonter du passé, vous faisant revivre des moments inoubliables de votre jeunesse, tels les regrettés Tahanouti Ali, président de la JSBM, Makdeche Nasser, Ameur Cherif (des médecins de grande renommée,) Amrous Tayeb, ancien joueur du Mouloudia club d’Alger, Goumiri Mustapha (JSBM), les deux imams respectables, les oulémas cheikh Belkacem et cheikh Ahmed, Tabet Ali (ancien gardien de but), Hocine Amrous (ex-JSK). Nous ne pourrions citer tous les morts mais on nous a appris à dire avant de pénétrer le portail du cimetière : «Vous êtes les prédécesseurs, nous sommes les prochains. Allah yarhamkoum djamiaâne». La population de Bordj-Menaïel ne cesse de s’interroger sur les raisons incompréhensibles qui ont poussé les responsables locaux à abandonner les sépultures des deux cimetières qui sont pourtant si proches de plusieurs établissements scolaires tels que le nouveau lycée, le technicum, la maison de jeunes et qui font souvent l’objet d’ un regroupement de jeunes lycéens qui s’adossent devant les murs des deux cimetières attendant la rentrée des classes. Le cimetière Lalla Aicha en lui -même est une histoire pour chaque Menaïli qui chaque vendredi se retrouve devant la tombe d’un proche pour méditer et réciter la Fatiha. Cependant la situation est désolante, alarmante même et certainement la gestion des cimetières chrétiens est du ressort des autorités françaises mais tout de même, de petits travaux d’entretien ne coûtent pas vraiment très cher pour le respect des morts enterrés dans ce cimetière même s’ils ne font pas partie de notre religion musulmane, dira un habitant de la ville, visiblement consterné, tout en ajoutant qu’il avait été écœuré en assistant à un enterrement de voir en pleine «djanaza» une personne (peut-être malade) uriner devant l’enceinte du cimetière, tout près des tombes, ce qui interpelle les élus locaux à doter les lieux de sanitaires, d’une pièce où seront entreposés les pioches, les pelles et autres accessoires nécessaires pour creuser les tombes. Depuis la nuit des temps, nos aïeux ont toujours considéré que leurs sépultures devaient être érigées aux côtés des leurs, cela étant au passage légitime comme cela se fait dans toutes les contrées du pays. Ils ne souhaitent pas qu’un «intrus» soit enterré aux cotés des leurs et comme leurs dernières volontés se devaient d’être exaucées par leurs descendances, sous peine de voir la malédiction s’abattre sur toute une génération. De nombreuses familles sont contraintes assez souvent d’ouvrir certaines tombes les plus anciennes des leurs pour y enterrer un nouveau membre qui est passé de vie à trépas et ce, pour rester dans le carré familial. Chacun espère avoir une place parmi les siens une fois mort. A l’intérieur du cimetière chrétien où sont enterrés des colons nés en Algérie, les tombes ont été saccagées, les caveaux sont dans un état lamentable quand ils ne sont pas détruits. Des images qui vous donnent des frissons, et la peur vous envahit complètement. Même le cimetière musulman «Lalla Aicha» où des plaques de marbre (achouhoud) portant les nom, prénoms, date de naissance et date de décès du défunt traînent ici et là. A l’intérieur, il est quasiment impossible de faire un pas sans marcher sur les tombes. Il faut dire que le cimetière est plus que saturé et les familles qui ont leurs carrés depuis plusieurs générations ne comprennent pas ce laisser-aller de la part des responsables locaux qui sont dans l’obligation de solutionner ce problème en mettant à la disposition des agents de la commune tous les moyens humains et matériels pour une vaste opération de désherbage des allées et autres espaces entre les pierres tombales et les sépultures. Les traditions veulent qu’on visite les cimetières les vendredis, les jours fériés ou lors des fêtes religieuses. Alors pourquoi n’ envisage-t-on pas de mettre une grande pancarte devant le portail d’ entrée du nom de Lalla Aicha (la première femme à être enterrée et dont un mausolée existait et où les femmes s’adonnaient à un rituel tout autour) même cas pour le cimetière chrétien. Qui ne se rappelle pas d’un être cher qui n’est plus de ce monde, on a tous enterré au moins un membre de la famille, on a tous assisté à la disparition d’un être qui nous a été cher. Qui ne se rappelle pas de ce qu’il disait ou ce qu’il faisait de son vivant ? Les traditions veulent qu’on visite les cimetières les vendredis, les jours fériés ou lors des fêtes religieuses comme l’Aïd Seghir, l’Aïd el Kebir. Le cimetière, ce lieu sacré qui en fin de compte est notre destination finale à tous ! C’est un lieu de recueillement auquel chacun de nous se doit d’accorder un minimum d’intérêt et où il faut savoir que les morts gardent au moins un droit : celui d’être respectés dans leurs tombes. Autrefois les cimetières donnaient des frissons, on avait peur de s’aventurer, ce qui n’est plus le cas actuellement. Ce sont des lieux paisibles, reposants et emplis de ferveur. Même si les temps ont beaucoup changé, les us et coutumes demeurent fortement ancrés dans la mémoire collective Chaque ville, chaque village, chaque douar et dechra possède son propre cimetière et chaque cimetière est en quelque sorte notre propre histoire. Chaque jour que Dieu fait qui de nous ne s’est jamais réveillé par l’ annonce d’une mauvaise nouvelle, d’un événement tragique, d’un drame inattendu qui vient nous rappeler qu’au bout du compte il y a la mort ! Ne dit-on pas dans le jargon dialectal «Akhrateha moute». Il est des hommes qui sans tenir le moins du monde à la reconnaissance de leurs pairs ni à celle de la postérité sont rattrapés par leur aura et continuent malgré leur absence à illuminer la mémoire immatérielle de leur société grâce à ceux qui n’oublient pas malgré les vicissitudes des systèmes et du temps qui passent. Il suffit de prendre la route menant au cimetière musulman de «Lalla Aicha», de pénétrer à l’intérieur pour en fin de compte mesurer l’ ampleur du mystère des personnages hors du commun qui sont enterrés et dont peu de gens connaissent les multiples facettes de leur génie, leur attachement à leurs sacerdoces, leurs générosité et leur détachement des choses de la vie. Ils ne sont plus de ce monde certes, mais n’empêche que de tels personnages ne peuvent être que des hommes de foi très reconnus qui ont marqué leur passage sur terre. Il y a des moments où il faut savoir regarder dans le rétroviseur, et quand on le fait à l’ intérieur d’un cimetière, on visionne un véritable documentaire dans notre mémoire, des images interminables qui vous rappellent le passé à chaque fois que l’on se retrouve devant chaque tombe. C’est également un moyen de pouvoir s’identifier à ces disparus qui sont quelque part une partie de notre histoire, de notre vécu sur terre. Tant et aussi longtemps que le cœur se souviendra, on leur reconnaîtra que c’étaient des êtres que nous aimions tous et dont le souvenir ne peut s’éteindre aussi facilement. Ils sont là , enterrés chacun dans son carré familial, mais n’empêche qu’ils vivent toujours dans nos pensées, car la lueur de leur passé nous suivra toujours qu’ on le veuille ou pas. Ils nous ont quittés pour un monde meilleur mais on leur doit plus qu’un hommage mérité, plus qu’une pensée du cœur, un devoir de mémoire envers eux. La localité de Bordj-Menaiel est devenue depuis pas mal d’années une localité sans âme pour la simple raison que la génération actuelle n’a pas pu remplacer les anciens partis vers l’au- delà qui étaient une source de référence positive à tous les niveaux, que ce soit dans l’éducation, la franchise, la transparence, la bonne parole, l’hospitalité, l’aide aux plus démunis. La génération actuelle se caractérise par des appétits voraces qu’elle satisfait en concourant aux pertes de valeurs essentielles de toute société qui veut avancer (sens de la famille, entraide, valeur du travail, honnêteté, probité, sens de l’honneur). Tout cela s’est perdu au fil du temps, laissant la place à la loi de la jungle, c’est-à-dire à la loi du plus fort ou du plus riche. Bordj-Menaiel a perdu son âme (rouh) quelque part en cours de route dans une course effrénée qui a enfanté des groupes d’intérêts et pour cela, il suffit d’aller faire un tour dans certains cafés de la ville pour admirer un décor hideux et où les gens sont devenus plus matérialistes que jamais, animant des discussions qui n’honorent en aucun cas les personnages. La population souffre de l’incompétence des hommes qui occupent le devant de la scène actuellement. Ils sont bien loin d’égaler ceux qui nous ont quittés et qui sont enterrés au cimetière de Lalla Aicha, ceux-là mêmes qui étaient la fierté du tout Bordj-Menaïel. C’étaient des hommes au vrai sens du mot qui avaient vécu avec des principes et des valeurs fondamentaux basés sur le respect, l’amour du prochain, l’éducation, l’amour du pays, l’esprit patriotique et la religion. Ils étaient et demeurent l’image de marque de la localité de Bordj-Menaiel et de toute sa région. Ils ne sont plus de ce monde, ces figures emblématiques et respectueuses à travers lesquelles de vastes périodes de l’histoire de leur vie et de leur passage sur cette terre peuvent être retracées. Ils étaient et demeureront notre fierté pour l’ éternité.
Kouider Djouab