Tensions géostratégiques, sécurité collective et nouvelles conflictualités dans la région sahélienne

Mutations géostratégiques mondiales

Les tensions actuelles à nos frontières interpellent l’Algérie, pièce maîtresse de la stabilité de la région, à travers les actions de l’ANP et les différents services de sécurité. C’est que aux enjeux au Maghreb et au Sahel, préfigurent d’importantes reconfigurations géopolitiques et géoéconomiques dans une zone sensible rentrant dans le cadre de la nouvelle stratégie mondiale à laquelle l’Algérie ne saurait échapper et d’une manière générale toute l’Afrique.

Le monde musulman et l’Occident représentent deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d’ouverture et d’enrichissements mutuels, tant sur le plan économique que culturel. Certes, nous avons assisté au déclin du monde musulman, notamment sur le plan de la recherche scientifique, alors que par le passé, il était pionnier. Pour un devenir commun, il est indispensable que la majorité des dirigeants du monde musulman – qui ont une lourde responsabilité de la situation de misère de leur population faute d’une bonne gouvernance, bien qu’il existe des exceptions, certains pays étant devenus émergents – et de l’Occident développent toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l’intérieur de cet ensemble, et ce afin de favoriser six objectifs solidaires. Premièrement : l’État de droit et la démocratie politique, en tenant compte des anthropologies culturelles car une société sans sa culture et son histoire est comme un corps sans âme. Deuxièmement : l’économie de marché concurrentielle à vocation sociale, loin de tout monopole, qu’il soit public ou privé. Troisièmement : la concertation sociale et les échanges culturels par des débats contradictoires. Quatrièmement : la mise en œuvre d’affaires communes, en n’oubliant jamais que les entreprises sont mues par la seule logique du profit et que dans la pratique des affaires, il n’y a pas de sentiments. Mais l’on doit éviter que la logique du profit ne détruise les liens sociaux, d’où l’importance stratégique de l’État régulateur conciliant les coûts sociaux et les coûts privés. Cinquièmement : intégrer l’émigration. Ciment des liens culturels, elle peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération et de ce dialogue nécessaire, de ce rapprochement du fait qu’elle recèle d’importantes des potentialités cultuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Orient et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées. Sixièmement : tout en tenant compte effectivement de sa situation socio-économique, l’Occident doit favoriser la libre circulation des personnes, tout en engageant un véritable co-développement – à ne pas confondre avec l’assistanat – au profit des pays musulmans en retard, tenant compte du nouveau défi écologique qui devrait entraîner des mutations tant économiques que socioculturelles, voire politiques.

2.2- Un monde cruel et dangereusement déséquilibré
L’objectif stratégique est de repenser l’actuel système économique mondial, et donc la représentation au niveau des institutions internationales, le système actuel favorisant la bipolarisation Nord/Sud, la pauvreté préjudiciable à l’avenir de l’humanité avec des poches de pauvreté croissant même dans les pays développés, un phénomène d’ailleurs accéléré par les gouvernances les plus discutables de la part de certains dirigeants du Sud. La population mondiale s’élève actuellement à 7,6 milliards et devrait atteindre 8,6 milliards en 2030, 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100, selon un récent rapport des Nations unies. Or, sur plus de 7 milliards d’âmes, les 2/3 sont concentrées au sein de la zone Sud avec moins de 30% des richesses mondiales : en ce début du XXIe siècle, des disparités de niveau de vie criantes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré. L’abondance et l’opulence y côtoient d’une manière absolument insupportable la pauvreté et le dénuement. Le revenu moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres, situés en Afrique sub-saharienne, en Asie du Sud et en Amérique Latine. Quand on sait que, dans les vingt-cinq prochaines années, la population mondiale augmentera de deux milliards d’individus – dont 1,94 milliard pour les seuls pays en voie de développement – on peut imaginer aisément le désastre qui menace cette partie de l’humanité si rien de décisif n’est entrepris. Faute de relever le défi de lutte contre la pauvreté, le sous-développement d’une grande partie de l’humanité constituera au cours des années à venir une menace pour les pays développés et, d’une manière générale, pour l’ensemble du monde. Pour une paix durable, l’histoire commune nous impose d’entreprendre ensemble. Certes, les relations entre l’Occident et le monde musulman sont souvent passionnées, surtout récemment avec l’avènement du terrorisme que l’on impute à tort à la religion de tolérance qu’est l’Islam. Espérons que les tensions seront dépassées, dans le cadre des intérêts bien compris de chaque nation, notamment sur le plan sécuritaire, car le terrorisme étant une menace planétaire. Le devenir solidaire conditionne largement la réussite de cette grande entreprise qui interpelle notre conscience commune. Le repli sur soi serait préjudiciable à notre prospérité commune et engendrerait d’inéluctables tensions sociales. Tout cela renvoie à des enjeux géostratégiques de première importance qui concernent l’humanité, comme une gouvernance rénovée à l’échelle mondiale et concernant l’ensemble des outils et des méthodes de gestion des affaires de la Cité. En effet, avec l’interdépendance accrue de nos sociétés, les nouvelles mutations mondiales – avec l’avènement de la quatrième révolution économique – préfigurent, à l’horizon 2020/2030, un important bouleversement géostratégique avec la montée en puissance des pays de l’Asie, dont la Chine au premier rang. Face à cette fin de l’unilatéralisme et confrontés aux pressions sociales, les gouvernants ne sont-ils pas toujours enclins à inventer un ennemi à combattre ? Dans la nature innée des hommes ne se trouve-t-il pas le penchant vers la tyrannie et l’oppression mutuelle, comme l’a rappelé le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun ? Pourtant, l’histoire commune nous impose d’entreprendre ensemble. Comme le dit l’adage arabe avec une profonde philosophie, «une seule main ne saurait applaudir». C’est le modeste message de cette contribution.

2.3- La philosophie diplomatique et sécuritaire de l’Algérie, éviter les fractures contemporaines
L’Algérie a toujours été au carrefour des échanges en Méditerranée. De Saint-Augustin à l’émir Adkeldader, les apports algériens à la spiritualité, à la tolérance et à la culture universelle ne peuvent que nous prédisposer à être attentifs aux fractures contemporaines. L’ère des confrontations n’a eu cours que parce que les extrémismes ont prévalu dans un environnement fait de suspicion et d’exclusion. Connaître l’autre, c’est aller vers lui, c’est le comprendre, mieux le connaître. Évitons toute intolérance où certaines civilisations sont supérieures à d’autres : car, il y a de bonnes et de mauvaises civilisations, où en ce monde interdépendant, nous assistons à la formation de plus en plus étendue d’une civilisation de l’universel qui n’est que la résultante et le fruit des apports et des contributions des différentes civilisations humaines depuis la nuit des temps. Pour terminer, je citerai Voltaire : «Monsieur je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai de toutes mes forces pour que vous puissiez toujours le dire. Et Roger Garaudy : «Il n’y a de véritable dialogue des civilisations que si chacun est pénétré de cette certitude que l’autre homme, c’est ce qui manque pour être pleinement un homme» de tensions inutiles.
(Suite et fin)
Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités, expert international en management stratégiste