Autonomisation démocratique, sous-représentation politique

Actualité

Le dernier référendum a eu lieu en Algérie le 29 septembre 2005 et concernait l’approbation de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il a vu un taux de participation de 80%, suivant les chiffres de l’époque et une approbation massive à hauteur de 97%. Aujourd’hui, le même exercice électoral témoigne d’un taux de participation de 23,7 % et d’une approbation majoritaire. On peut légitimement exprimer des doutes quant à la réalité des chiffres de 2005 alors que ceux de 2020 font rentrer l’Algérie dans l’ère du fait démocratique en tant qu’iode désormais partagée par la société toute entière. Si l’on devait comparer avec les élections présidentielles du 12 décembre 2019, on constate une participation en baisse de 16 % pour un même nombre d’électeurs de 24 millions d’inscrits.

Ces chiffres marqués du sceau de la crédibilité, indiquent que l’Algérie est rentrée dans un moment de sincérité démocratique mais pas encore de vérité politique. Il nous faudra plusieurs rendez-vous électoraux transparents et des progrès économiques pour dévoiler le visage de l’Algérie politique tel qu’il s’exprime dans nos villes et nos douars, nos montagnes et nos déserts. Certes ce scrutin référendaire est crucial pour recevoir les changements dont tout le monde pressent qu’ils se réaliseront sous le signe de la rupture tant la configuration du système politique algérien est en bout d’une course qui fut largement alimentée par la rente pétrolière. Le referendum du 1er Novembre 2020 inaugure donc une nouvelle phase dans le développement de la Nation ou la démocratie et le droit se réalisent en émergences difficiles au sein d’une société civile laminée par trente ans de mise à sac, dans un contexte régional contraint par les forces impériales. Lorsque le 22 février 2019 des millions d’algériens se sont retrouvés à déambuler dans toutes les rues de toutes les villes du Pays, il n’est venu à l’idée de personne que cela ne constituait pas un droit absolu. Et c’est en brandissant le livret de la Constitution précédente que les manifestants ont signifié leur refus d’un cinquième mandat se targuant de la souveraineté comme valeur absolue de la démocratie populaire. Le « Hirak béni » fonde depuis la supériorité des valeurs démocratiques sur les attitudes autoritaires d’une part et d’autre part enracine dans le mouvement social la culture de l’avis majoritaire. L’ANIE en nous offrant à deux reprises des élections transparentes (les élections présidentielles de décembre 2019 et le referendum) se pose en outil de la récupération de la souveraineté populaire et deviendra au fur et à mesure des rendez-vous électoraux son garant incontournable. Le référendum du 1er Novembre 2020 voit naitre de manière simultanée une opinion publique dévoilée sans fards mais aussi une institution qui s’annonce majeure pour les futures échéances électorales sous l’autorité morale indiscutable de son président Si Mohamed Charfi. Les évènements du 22 février 2019 règlent de manière définitive un certain nombre de questions qui furent constitutives des soubassements des fractions dirigeantes défaites alors qu’elles se trouvaient en charge des affaires de l’Etat. La spécificité nationale du mouvement sociale réfute de facto les tendances fédéralistes qui s’exprimaient en mode de chantage au cœur même du dispositif sécuritaire pour des raisons prosaïques liées à la captation des rentes pétrolières. Cependant la très faible participation de la Kabylie et de l’immigration à deux échéances électorales majeures posent de manière lancinante et ouverte, la question de l’intégration spécifique des élites kabyles dans l’Etat National maintenant qu’elles ont perdu leurs positions dominantes dans l’appareil sécuritaire. Cette question est bien plus ancienne que la politique de préférence dont elles furent l’objet durant la période coloniale et remonte au minimum à la période ottomane. Nous devrions pouvoir discuter de l’ensemble des questions qui concernent le peuple algérien (y compris des spécificités de l’intégration particulière des élites kabyles dans l’appareil d’Etat) sans que cela n’essentialise les débats. Il reste que ce dialogue sera difficile à mener tant il existe un puissant lien entre la structuration rentière de l’économie et les régionalismes qui s’y développent en prenant des formes encore plus prononcées en Kabylie en raison de son intégration sociale à la division internationale du travail. Le pétrole soumet l’économie à la géographie et il est frappant de constater que les Wilayas qui bénéficient le plus du budget de l’Etat (Alger, Blida, Tipaza, Tizi-Ouzou comptent pour 50% de la redistribution budgétaire) sont aussi celles qui votent le moins, voire qui refusent de voter. La fermeture d’un certain nombre de bureaux de vote en Kabylie, le boycott qui y est organisée par une expression sociale spontanément irrédente – prolongée par des forces politiques militantes qui se sont vues écartées de la cogestion des affaires sécuritaires – montrent que nous sommes encore loin d’une représentation politique complètement assumée au niveau national.

Un petit pas pour la démocratie…
Cela signifie-t-il que ces élections n’ont pas été organisées sous le sceau de la démocratie ? Ce n’est absolument pas le cas. La manière dont s’est déroulé le vote, les conditions matérielles, sa conduite par une autorité indépendante dont la direction possède une très forte personnalité indique très exactement l’inverse. Même le refus de la Kabylie de voter a été entériné par l’ANIE puisque les bureaux de vote dans cette région ont été fermés avant l’heure, démontrant ainsi un haut sens de la responsabilité mais aussi un degré élevé de l’idée démocratique par l’acceptation de ce qui relève du constat sans rien céder aux forces du chantage puisque le scrutin a déployé sa logique jusqu’à son terme. Le contexte sanitaire dans lequel s’est déroulé le referendum, la crise économique qui frappe de plein fouet le pays doublé d’une crise financière aigue en raison de l’effondrement durable des prix du baril de pétrole, l’état de santé du Président de la République Si Abdelmadjid Tebboune, hospitalisé en Allemagne, ne peuvent expliquer à eux seuls la faible participation autour de ce scrutin. La démocratie ne se décrète pas. Elle se construit à travers une pratique quotidienne aussi bien institutionnelle qu’associative. Trente années d’autoritarismes, de dénis démocratiques nous livrent aujourd’hui un bilan bien amer. Certes le fait démocratique est désormais à l’ordre du jour mais plus en raison de la maturation des différentiations sociales et culturelles que pour des motifs liés à l’approfondissement de la vie politique. C’est ainsi que la démocratisation des rapports sociaux s’exprime de manière autonome d’un fait politique en crise profonde. Pour renouveler ce dernier, il est nécessaire de reconstruire un nouveau rapport au politique. Ce sont des processus longs qui nécessitent non seulement un environnement faisant la promotion des libertés mais aussi le respect des initiatives sociales ainsi que les développements de dynamiques culturelles lui donnant un plus grand enracinement sociétal. On mesure mieux dès lors l’importance primordiale de l’action du Président de la République lorsqu’il insiste sur deux points : la réanimation de la vie associative et la moralisation de la vie politique et économique. Nous devrions cependant être attentifs à un troisième point. La transition énergétique joue aussi un rôle essentiel dans la démocratisation du régime politique. La pratique sociale de l’activité économique anti-rentière reste la courbe d’apprentissage la plus efficiente d’un système démocratique. Or passer d’une économie rentière à une économie productive est un exercice difficile.

…Un grand pas pour l’Algérie !
Si nous prenons comme référence les pays est-européens, leur expérience démocratique est caractérisée par le passage d’une économie planifiée socialiste à une économie plus libérale. L’Europe de l’ouest a très largement financé cette transition mais cette dernière est restée de bout en bout dans le cadre d’économies productives de valeurs ajoutées, que celles-ci aient pris par le passé la forme d’une collectivisation de la sphère des moyens de la production et de la distribution ne changeant pas sa nature. On passe simplement d’un capitalisme d’Etat à un capitalisme du patronat, mais de bout en bout en bout, la chaine les valeurs économiques qui s’expriment sont celles relatives aux plus-values issues du travail et non pas d’un différentiel rentier. En Algérie, la transition démocratique démarre dans un environnement hostile. Nous l’entamons en pleine crise économique sans réserves financières pour la soutenir. Par ailleurs nous n’avons pas encore initié notre découplage d’avec l’économie rentière qui ne peut se matérialiser qu’en internalisant des rentes qui sont aujourd’hui externalisées. Pour ce faire, il est impératif de commencer ce chemin critique par une remise en cause des subventions sur l’Energie qui constituent le cœur des blocages démocratiques qui sont les nôtres. Cela implique une planification rigoureuse des changements économiques en commençant par une diversification des productions des rentes minières et leurs transformations avec l’aide de capitaux internationaux pour atteindre une masse critique qui permettre d’enclencher une activité économique en autonomisation du fait politique. Ce mouvement devrait s’accompagner d’une réflexion nouvelle sur la fiscalité qui doit être articulée sur l’Energie, ses économies et sur la promotion des énergies renouvelables à détaxer. Concomitamment il serait bénéfique d’annuler complètement la taxation sur le travail pour en libérer le potentiel dans une société durement frappée par le chômage, le rendant ainsi transparent (puisque les impôts ne seront pas levés sur le travail) comme étape première d’identification des ayant droits sociaux qui sont aujourd’hui noyés dans l’économie de l’informel. Les manques à gagner pour soutenir les caisses sociales peuvent se compenser par la fiscalisation modulée de la fonction énergétique des entreprises. Nous gagnerons ainsi une base de données qui nous permettra dans un second temps de reformer notre système des subventions en concentrant les efforts de la Nation vers ceux dont la situation sociale nécessite un soutien permanent. Lorsque la fonction politique se séparera de l’économie rentière, en raison de la différentiation des logiques économiques à venir, le fait démocratique s’il est sous tendu par une puissante action culturelle, produira une densité de sens qui redonnera ses lettres de noblesse à l’action civique et conséquemment à son expression la plus achevée, les élections démocratiques. Le referendum du Premier Novembre 2020, comme les élections présidentielles du 12 décembre 2019 ne sont que deux immenses répétitions en prélude des deux futures élections, législatives et municipales prévues pour 2021. Il sera très intéressant de voir comment ces prochaines échéances électorales des enjeux locaux, en liens directs avec la vie des citoyens, feront évoluer la situation politique actuelle de cristallisation d’attitudes politiques qui ne sont pas encore au diapason des ruptures « déclenchées » par le Hirak béni. Et cela ne sera pas le moindre des paradoxes que de voir une situation politique sur une scène nationale bloquée, se dégripper sous les coups de boutoir du droit (c’est-à-dire la nouvelle constitution qui d’ores et déjà écarte des travées de la future assemblée nationale les députés « récidivistes ») et des élections (présidentielles, référendaire, législatives et municipales) ; offrant une magistrale leçon subversive de nature démocratique, servie par le Président de la République Si Abdelmadjid Tebboune, à une opposition qui fait de la démocratie son alpha et son oméga ! Il y a là une ironie de l’histoire dont seul le Chef de l’Etat possède le secret jalousement gardé. Si Abdelmadjid Tebboune ! Vous êtes loin mais ces élections vous saluent !
Brazi