Des footballeurs «révolutionnaires»

Equipe du FLN

Ferhat Abbés avait dit : «L’équipe de la liberté a gagné dix ans dans le combat légitime de l’Algérie pour son indépendance». En cette date du 1er Novembre, oh combien symbolique, nous ne pouvions faire l’impasse sur ces «soldats du football» qui ont plaidé la cause algérienne à travers le monde…

La date du 13 avril 1958 reste toujours un symbole pour les sportifs algériens puisqu’elle marque le début d’une fabuleuse épopée : celle de l’équipe du Front de libération nationale. Cette équipe de jeunes footballeurs algériens qui, en pleine guerre de libération, ont choisi de mettre une croix sur leur carrière naissante pour aller aider par «leurs armes» la révolution pour l’indépendance du pays. Une dizaine de joueurs professionnels algériens au summum de leurs talents pour la plupart, quittent en ce jour historique leurs clubs français, dans le plus grand secret pour rejoindre dans la clandestinité quelques jours après ce qui sera par la suite leur base de vie, la ville de Tunis. Ce sera, dès lors, le début d’une grande épopée : le départ de 32 joueurs professionnels algériens vers Tunis, où, sous la houlette de Mohamed Boumezrag et Mohamed Allam formeront ce que le monde va connaître et découvrir sous l’appellation de l’équipe de football du FLN. Le 15 avril 1958, la France métropolitaine se réveille sous le choc : Rachid Mekhloufi stratège de l’AS Saint-Etienne, qui avait qualifié l’équipe de France pour le Mondial avait subitement disparu, suivi par d’autres grands noms de joueurs d’origine algérienne qui faisaient la gloire de leurs équipes comme les trois joueurs de l’AS Monaco, le libero de charme de l’équipe de France Mustapha, Zitouni, l’attaquant Kaddour Bekhloufi, le grand gardien de but Abderrahmane Boubekeur, Amar Rouaï (Angers), Abdelaziz Bentifour (Nice), Abdelhamid Kermali (Olympique de Lyon), Mohamed Maouche qui évoluait dans la grande équipe du stade de Reims et bien d’autres encore…

Des footballeurs «révolutionnaires»
L’idée de créer cette équipe révolutionnaire, qui deviendra l’ambassadrice de l’Algérie combattante jusqu’à la fin de la guerre en 1962, est née en 1957 au retour de Mohamed Boumezrag du Festival mondial de la jeunesse à Moscou. En fait, Boumezrag se rappelle que quelques années auparavant, un mois à peine avant le début de la Révolution armée, le 1er novembre 1954, une sélection d’Afrique du Nord avait battu la France 3-1 dans un match organisé au profit des victimes du séisme d’Orléansville. Avec Mokhtar Arribi, entraîneur d’Avignon, avec Bentifour, le docteur Moulay, qui organisait les étudiants algériens, et Mohamed Maouche, présélectionné pour le Mondial 1958, Boumezrag commence à mettre au point l’opération départ des joueurs algériens évoluant dans le championnat français notamment. Bentifour part le premier pour San Remo en Italie. Deux jours plus tard, les trois autres Monégasques partent avec Rouaï pour Rome. Les cinq hommes rallient ensuite Tunis où ils seront rejoints par les quatre autres joueurs qui passeront par la Suisse, après un contretemps, car Mekhloufi, blessé, est hospitalisé à Saint-Etienne. C’est en route vers la frontière qu’ils apprennent que leur fuite est connue. Ils parviendront à passer en Suisse mais oublieront de récupérer Maouche qui les attend à Lausanne et qui, sans information, décide de rentrer à Paris. A Lyon, il apprend que ses amis sont passés. Il tente alors de revenir en Suisse mais se fait arrêter. Mais, cela ne l’empêchera pas de continuer à organiser le départ d’autres joueurs et, le 2 novembre 1958, ils sont trente déjà à Tunis. Tout le monde sera rassemblé à Tunis, siège du Gouvernement provisoire de la révolution algérienne, où Ferhat Abbas comprendra très vite tout l’avantage à tirer de ce projet de Mohamed Boumezrag. Un peu plus tard, Ferhat Abbas dira que cette équipe «a fait gagner à la révolution algérienne 10 ans». Officiellement, l’équipe de football du FLN a joué 62 matches, mais en réalité 91 matches, en comptant certaines équipes n’ayant pas un «standing» élevé. Composée de joueurs d’exception, elle a continué toujours de faire rêver. Le départ dans des conditions extrêmes de ces joueurs d’exception de France renseigne, en outre, sur les dangers qu’ils avaient bravés pour aller, eux également, participer à la libération de la patrie.

Balle au pied, emblème national en bandoulière
A leur manière, balle au pied, ces footballeurs militants participaient à la lutte de libération nationale. L’idée de départ était d’avoir une équipe de football qui puisse symboliser «l’image d’un peuple en lutte pour son indépendance». «Avec le recul du temps, je peux dire qu’aucun d’entre nous ne regrette. Nous étions militants, nous étions révolutionnaires. J’ai lutté pour l’indépendance. C’étaient nos plus belles années», lance fièrement Mohamed Maouche. En ratant son évasion avec le premier groupe en avril 1958, il avait été arrêté par la police française et emprisonné, mais ne sera pas jugé comme déserteur. Cela ne l’empêchera pas de rejoindre le groupe à Tunis en novembre 1958 où ils sont déjà une trentaine de footballeurs algériens à entrer dans la Légende. La véritable mission de cette équipe du FLN commençait alors avec les tournées effectuées chez les pays frères et amis qui ont accepté de braver l’interdiction de la Fifa pour qui les Algériens étaient considérés comme des «factieux du football». Pendant deux ans, l’équipe combattante a émerveillé les publics des pays où elle s’était produite avec un total de 91 matches, 65 victoires, 13 nuls et 13 défaites. Kermali et ses «frères d’armes» avaient inscrit 385 buts et encaissé 127 buts. «Nous étions d’abord djounouds et ensuite footballeurs. C’est important de le souligner, car notre «fuite» n’était pas pour aller jouer au football. C’était pour démontrer aux Français que tout le peuple algérien était derrière la révolution», estime Rachid Makhloufi.

Des matches et des batailles pour l’Indépendance de l’Algérie
«Ces rencontres étaient livrées la plupart du temps à des sélections de plusieurs villes qui ressemblaient comme deux gouttes d’eau aux équipes nationales. Je me souviens que nous avons battu la Yougoslavie 6-1. Un exploit qui avait marqué les esprits», rappelle Mekhloufi. Sur les 30 joueurs, l’équipe type du FLN était souvent composée de Boubekeur, Bekhloufi, Zitouni, Soukane Mohamed, Defnoun (Settati), Arribi, Rouai, Brahimi (Kermali), Mekhloufi, Bentifour, Bouchouk (Soukane Abderrahmane), sans oublier les remplaçants qui pouvaient faire le bonheur de n’importe quelle équipe. «Les membres composant cette glorieuse équipe étaient non seulement de niveau mondial, mais formaient l’une des plus fortes équipes du monde. Et si on avait participé à un Mondial on serait allé loin», affirmait Mekhloufi. Ces propos suffisent à résumer toute la valeur de cette légendaire équipe du FLN, qui a contribué, sinon activement participé, à sa manière, à l’indépendance de l’Algérie.

«Nous ne sommes pas des héros»
La glorieuse équipe du Front de libération nationale (FLN) fait partie de l’histoire de l’Algérie au regard du rôle important qu’elle a joué dans la révolution, en faisant connaître la cause nationale à travers le monde, selon d’anciens membres de cette fantastique équipe. «L’équipe du FLN a écrit de belles pages de l’Histoire de l’Algérie, et elle a joué un très grand rôle dans la médiatisation de la révolution. Elle a réussi à représenter dignement notre pays à travers le monde», a affirmé l’ex-star du football national, Rachid Mekhloufi. Pour Mekhloufi, sélectionné pour le Mondial de 1958 avec l’équipe de France, en compagnie de Mustapha Zitouni, mais qui n’ont jamais honoré leur convocation, le match face à la Yougoslavie, disputé le 29 mars 1961 à Belgrade, devant 80 000 spectateurs, restera gravé à jamais dans sa mémoire. «Je me souviens de cette rencontre historique où nous avons réussi à battre la Yougoslavie sur le score de 6-1. Nous avons réalisé une prestation de haute facture. C’était vraiment extraordinaire», s’est-il remémoré. En dépit de son statut de «star» à l’époque de la création la glorieuse équipe du FLN, Mekhloufi estime que le collectif et l’amour du pays prenaient le dessus. «Nous étions complémentaires. Certes, chacun avait ses qualités propres à lui, mais le plus important c’était ce nationalisme, cet amour du pays, du drapeau, cet amour de la révolution. C’est ce qui a fait notre force. Nous formions un bloc uni, et ce qui nous a permis de développer un football merveilleux, de défendre merveilleusement nos couleurs. Donc, la responsabilité était la même pour tous». Amar Rouai, ancien joueur du SCO Angers, était l’un des premiers joueurs à être contacté par Mohamed Boumezrag, le fondateur de l’équipe du FLN. «En septembre 1957, je reçois la visite de Boumezrag qui m’invita à faire partie de cette équipe, je n’ai pas hésité un instant à répondre favorablement par amour pour l’Algérie, c’était pour moi plus qu’un devoir», a affirmé Rouai. Pour lui, l’équipe du FLN a permis de faire connaître au monde entier «la cause algérienne et sa révolution». «Il nous fallait absolument créer quelque chose qui puisse porter la voix de la cause algérienne à l’extérieur. La création de cette équipe du FLN était une idée géniale». Toutefois, Amar Rouai refuse que les joueurs de l’équipe du FLN soient qualifiés de héros, après tous les sacrifices donnés au pays. «Il ne faut pas croire que nous sommes des héros, je refuse cette qualification, nous n’avons fait que notre devoir envers notre pays, c’était une manière pour nous de combattre le colonisateur. Les héros sont ceux qui sont morts au champ d’honneur, Rebbi yarhamhoum». Rouai poursuit que les joueurs de l’équipe du FLN «étaient constamment au service de la révolution», soulignant que les objectifs assignés au début de la création de cette équipe «ont été atteints». «Nous avons sillonné différentes régions du monde, et c’était important pour faire entendre notre revendication qui est celle de l’indépendance du pays. Que se soit en Europe, dans les pays arabes, et même en Chine, la révolution algérienne s’est fait connaître, et c’était déjà un grand acquis pour nous». «Hisser le drapeau national dans les différents stades dans lesquelles nous avons joué, et entendre notre hymne, était pour nous des moments de très forte émotion. C’était extraordinaire». Pour Mohamed Maouche, l’équipe du FLN «a réussi à porter haut l’image de l’Algérie combattante à travers le monde». L’ancien joueur du Stade de Reims estime que l’équipe du FLN a réussi à «donner un impact politique à la révolution». «Bentifour était le premier à être contacté par Boumezrag pour composer l’équipe, il était le plus âgé d’entre nous, ensuite il y avait Aribi, avant que les autres ne soient contactés», révèle Maouche.
Kouider Djouab