«Désir d’Afrique» de Boniface Mongo-Mboussa

Chemins d’écriture

Désir d’Afrique, l’un des titres les plus demandés de la bibliothèque africaine de l’éditeur.

L’ouvrage, paru pour la première fois en 2002 et préfacé par l’inénarrable Ahmadou Kourouma, propose un portrait de la littérature africaine en langues européennes à travers des analyses et des interviews d’écrivains. La personnalité de son auteur, sa connaissance approfondie du sujet et sa vision cosmopolite du fait littéraire ne sont sans doute pas étrangères au succès populaire que connaît cet ouvrage. «Chemin d’écriture» raconte le parcours de Boniface Mongo-Mboussa. «Il faut absolument lire de tout, sinon on meurt», aime répéter Boniface Mongo-Mbousa. Essayiste, critique littéraire, intellectuel, l’homme est l’un des esprits les plus fins et sans doute aussi les plus cosmopolites du champ littéraire africain. Boniface Mongo-Mboussa est un excellent connaisseur de ce qu’on appelle la littérature mondiale. Dans sa bibliothèque, les Russes cohabitent avec les Latino-Américains, les romanciers français et les penseurs allemands, sans oublier les auteurs issus du monde africain et ses diasporas auxquels il a consacré sa thèse de doctorat. Ecrivain prolifique lui-même, Mongo-Mboussa est l’auteur de trois livres et de centaines d’articles consacrés au fait littéraire en Afrique et dans le monde. Ce sont des écrits imprégnés d’un vaste savoir, mais aussi d’une infinie modestie, comme en témoigne le souci de cet auteur de se définir avant tout en tant que «lecteur» plutôt qu’en tant que «critique littéraire». «La position du lecteur, qui relève du plaisir personnel, est, aime-t-il le rappeler, une position plus humble que celle d’un critique littéraire». «Tout le monde peut être lecteur», ajoute-t-il.

Un lecteur pas comme les autres
Or, Boniface Mongo-Mboussa n’est pas un lecteur comme tout le monde. La lecture est une discipline, une passion chez cet intellectuel dont les débuts remontent à l’adolescence lorsque la lecture compensait l’absence du père trop tôt disparu. Né en 1962 au Congo-Brazzaville, celui-ci plonge dans la littérature dès son plus jeune âge. La découverte de Dostoïevski fut un tournant. «J’étais au lycée Lumumba, qui était un lycée révolutionnaire, raconte-t-il, mais à l’époque, il s’appelait le lycée Javouhey, qui était géré par les bonnes sœurs. Or les bonnes sœurs avaient gardé un espace, qui servait de couvent où il y avait une bibliothèque très très riche. J’emprunte à la bibliothèque Les Frères Karamazov. Je lis et je suis littéralement liquéfié. A part peut-être Shakespeare, je n’avais pas encore lu quelque chose d’aussi bouleversant.» En 1985, le bac en poche, le jeune Congolais débarque en Union soviétique. Selon la légende, c’était pour pouvoir lire Dostoïevski dans la version originale. Les sept années passées à Saint Pétersbourg, qui s’appelait alors Leningrad, furent selon les mots de l’intéressé, «les années les plus fécondes de sa vie intellectuelle». Mongo-Mboussa n’oubliera jamais la fascination des Russes pour leur patrimoine littéraire, le culte qu’ils vouent à Pouchkine («père de la littérature moderne russe») et les incroyables soirées poétiques où la vodka coulait à flots et la poésie aussi, déclamée sur tous les tons. Aux yeux du jeune exilé de Brazzaville, ces débordements avaient quelque chose de très congolais et lui rappelaient le foisonnement culturel de son propre continent. Après l’implosion de l’Union soviétique en 1991, le jeune Mongo-Mboussa cherche un point de chute pour achever son cursus en littérature. De culture francophone, il se retrouve tout naturellement en France. Tout en fréquentant les facs parisiennes, il déploie ses talents d’essayiste dans les pages des magazines littéraires et contribue à faire connaître la génération montante des écrivains africains, sans nécessairement partager toutes leurs prises de positions. Pour cette nouvelle génération, la littérature africaine n’existe pas et la négritude des pères fondateurs serait une «vieillerie identitaire». L’essayiste leur oppose «la puissance des racines».

Défense et illustration de la littérature africaine
Désir d’Afrique (2002), Indocilité (2005), Tchicaya U Tam’Si ou le viol de la lune : vie et œuvre d’un maudit (2014)… Ces trois essais littéraires ainsi que plus d’une centaine d’articles publiés au cours des deux dernières décennies ont fait la réputation de Boniface Mongo-Mboussa. Le viol de la lune est une biographie de Tchicaya U Tam’Si, monument de la littérature congolaise, dont l’écrivain a découvert la poésie «incandescente» pendant son long exil russe. Elle «illuminait mes nuits d’hiver», a-t-il écrit dans les pages d’ouverture de son livre. Indocilité est adapté de la thèse de doctorat qu’a soutenue Mongo-Mboussa en 1999 à l’université de Cergy Pontoise sur l’humour et l’ironie dans la littérature africaine. Mais c’est Désir d’Afrique, paru en 2002, qui demeure son grand livre, son opus magnum. Le titre affirme d’emblée le projet de l’auteur : brosser le portrait de l’Afrique désirable, riche de ses brillantes littératures, qui font la fierté des Africains. «Si on fait aujourd’hui quelque part le bilan des indépendances, le moment où on peut avoir des satisfactions, c’est la littérature, proclame l’écrivain. D’abord, sur le plan critique, les auteurs africains ont ouvert les yeux sur les fausses indépendances, surtout ce que nous avons fait des indépendances. Je pense que les plus grands critiques sont les Africains et surtout les écrivains africains. Et sur ce plan-là, ils ont rempli leur rôle parce que la critique est le ferment de la modernité. Sur le plan esthétique aussi, je pense qu’il y a des textes qui sont parmi les plus beaux du XXe siècle. Donc, la littérature africaine, de ce point de vue, 60 ans après les indépendances, a rempli une partie de son contrat.» Devenu un classique, Désir d’Afrique est un essai lumineux sur la montée en force de la littérature africaine en langues européennes, un essai nourri d’analyses et de rencontres avec les écrivains majeurs du monde noir. Dans le contexte de la querelle qui fait rage dans le champ littéraire africain entre anciens et modernes, le grand mérite de ce livre est peut-être d’avoir su rappeler avec force et intelligence que la littérature africaine n’est pas une vue d’esprit : elle existe bel et bien.
T. Chanda