La révision de la Constitution consacre la décentralisation qui devra s’articuler autour de grands pôles régionaux

Afin de réaliser la symbiose Etat-citoyens

Dans ses articles 17, 18 et 19, l’avant-projet portant révision constitutionnelle soumis au référendum le 1er novembre 2020 consacre la décentralisation rentrant dans le cadre de «la réforme de l’Etat» pour un développement plus équilibré et solidaire afin de rapprocher l’Etat du citoyen. Il y a urgence pour nos gouvernants de comprendre le fonctionnement de la société loin des bureaux climatisés et donc sans tabou, d’aller vers la décentralisation économique à ne pas confondre avec l’avatar dangereux du régionalisme.

Contrairement aux idées de certains bureaucrates rentiers, qui ont peur de perdre une parcelle de leur pouvoir, la décentralisation renforce le rôle de l’Etat régulateur, améliore l’efficience économique et contribue à l’unité nationale par la cohésion sociale régionale
1.-.La décentralisation renvoie aux questions fondamentales suivantes : compétences des collectivités locales ; les règles de composition et de fonctionnement des assemblées et exécutifs de wilayas ; ressources ; relations avec le pouvoir central ; modalités de transfert aux pouvoirs locaux et enfin concertation entre wilayas pour les approches communes. D’une manière plus générale, la mise en place de la décentralisation doit avoir pour conséquence, un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l’argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu’il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu’une solution nationale. Selon les théories régionalistes, la diversité des situations locales impose une diversité de solution pour s’adapter aux conditions locales spécifiques.
Une réelle décentralisation suppose une clarté dans l’orientation de la politique socio-économique évitant des tensions et conflits entre le pouvoir local et central et des concurrences entre le Centre et la périphérie permettrait un nouveau cadre de pouvoir avec des nouveaux acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux enjeux avec des nouvelles stratégies élaborées. Elle devrait favoriser un nouveau contrat social national afin d’optimaliser l’effet de la dépense publique et rendre moins coûteux et plus flexible le service public. La création d’un nouvel espace public génèrerait une nouvelle opinion publique, voire une nouvelle société civile. Le débat permet l’émergence de thématiques communes, des modes de propositions communs et donc déterminerait des choix collectifs optimaux.
Une centralisation à outrance, favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c’est-à-dire une gouvernance qui s’impose par la force et l’autorité, loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société. Ces actions d’actualités ont été largement abordées vers les années 1980 et comment ne pas rappeler que j’ai eu l’honneur de diriger trois brillantes thèses de doctorat entre 1982/1983 sur la régionalisation économique en Algérie qui a permis d’asseoir un grand laboratoire national de recherche qu’a dirigé mon étudiant feu le professeur Ait Habouche Majid décédé prématurément.
Les expériences historiques montrent clairement que si la centralisation a été nécessaire dans une première phase, elle a atteint vite ses limites et que ce sont les pays qui ont développé des décentralisations réelles synchronisant gouvernance centrale et locale, qui ont le mieux réussi leur développement. Le pays le plus décentralisé au monde, ce sont les Etats-Unis d’Amérique, mais n’oublions pas les Landers allemands, les cantons suisses, les organisations des Etats de la Russie et de la Chine. La réorganisation du pouvoir local dont la base est la commune, pour une société plus participative et citoyenne s’impose, réorganisation fonction de la revalorisation de la ressource humaine renvoyant à l’urgence de la révision du statut de la fonction publique.
Après la «commune providence» du tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale. C’est dans ce contexte, que la commune doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à la commune que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement devant se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. Actuellement les présidents d’APC ont peu de prérogatives de gestion tout étant centralisé au niveau des walis alors qu’il y a lieu de penser un autre mode de gestion, afin de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l’aménagement du marketing de son territoire.
2.- Mais pour que la décentralisation ait un effet positif, afin de favoriser les activités productives, cela implique qu’elle s’articule autour de grands pôles régionaux homogènes (cinq à six) et comme support, la refonte des finances locales et des taxes parafiscales avec un système de péréquation entre les régions pauvres et riches. La structure qui me semble la plus appropriée pour créer ce dynamisme, ce sont les chambres de commerce régionales qui regrouperait l’Etat, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche.
L’action des chambres de commerce, lieu de concertation mais surtout d’impulsion pour la concrétisation de projets serait quadruple :
premièrement, dynamiser les infrastructures de base et préparer des sites confiés à des agences de promotions immobilières publiques et privées ; – deuxièmement, mettre à la disposition des sociétés une main-d’œuvre qualifiée grâce à un système de formation performant et évolutif allant des ingénieurs, aux gestionnaires, aux techniciens spécialisés et ce, grâce aux pôles universitaires et des centres de recherche, évitant ce mythe d’une université par wilaya. Exemple la chambre de commerce offrira un poste pour 10 candidats en formation, les 90% non retenus ne constituant pas une perte pour la région.
L’apprentissage en dynamique est un capital humain pour de futures sociétés qui s’installèrent dans la région, une société installée payant des impôts qui couvriront largement les avances en capital de la formation avancée. Cette formation devra être adaptée pour tenir compte de la norme qualité standard, le label qualité étant exigé pour tout exportateur (y compris le Maghreb) en direction de la CEE, des USA ou de l’Asie. Ainsi, nous assisterons à une symbiose entre l’université et les entreprises. Car les sociétés ont besoin de l’accès aux chercheurs, aux laboratoires pour les tests d’expérimentation et l’université a besoin des sociétés comme support financier et surtout d’améliorer la recherche.
Les étudiants vivent ainsi la dialectique entre la théorie et la pratique ; la troisième action est de favoriser des entreprises souples reposant sur la mobilité et les initiatives individuelles. Des tests ont montré que l’initiative personnelle, pour certains produits, permet d’économiser certains équipements (donc d’avoir un amortissement moindre dans la structure des coûts) et de faire passer le processus de sept minutes (420 secondes) à 45 secondes, soit une économie de temps de plus de 90% améliorant la productivité du travail de l’équipe.
Ce qu’on qualifie d’équipes auto-dirigées ; la quatrième action, la chambre de commerce intensifie les courants d’échange à travers différentes expériences entre les régions du pays et l’extérieur et l’élaboration de tableaux de prospectifs régionaux, horizon 2020/2030. La mise à la disposition des futurs investisseurs de toutes les commodités nécessaires ainsi que des prestations de services divers (réseau commercial, loisirs) est fondamentale. Cette symbiose entre ces différentes structures et certains segments de la société civile doit aboutir à des analyses prospectives fondamentales, à un tableau de bord d’orientation des futures activités de la région, afin de faciliter la venue des investisseurs.
3. Pour l’Algérie, il s’agit d’éviter que plus de 80% de la population algérienne vive dans des grandes villes et villes moyennes, l’urbanisation anarchique ayant un coût économique et social. Car l’Algérie risque de terminer avec moins de 40 milliards de dollars de réserves de change fin 2020. Le taux d’intégration des entreprises publiques et privées ne dépasse pas 15% et il faudra au moins 7/8% de taux de croissance sur des filières nouvelles où le monde s’oriente vers la transition numérique et énergétique, sur plusieurs années, pour réduire le problème lancinant du chômage où le flux additionnel qui s’ajoute au taux de chômage existant varie entre 350 000/400 000 demandes par an.
Le soutien aux entreprises qui n’ont pas d’avenir structurellement déficitaires qui seront appelées forcément à disparaître dont les aides s’assimileraient à des subventions déguisées est suicidaire et reporte les véritables solutions dans le temps (notre interview quotidien horizon 13/10/2020). C’est qu’une nation ne peut distribuer plus que celle qu’elle produit quitte à accélérer la dérive économique et sociale. Mais la décentralisation dépasse l’aspect purement interne, renvoie à des enjeux internationaux, devant s’inscrire dans le cadre de l’espace euro-méditerranéen et africain, qui est l’espace naturel de l’Algérie et pour les riverains d’imaginer des zones tampons de prospérité, de ne pas voir ces zones sous des angles négatifs d’assistance financière (assistanat) mai d’où l’importance d’une mutualisation des dépenses tant pour le co-développement que pour les aspects sécuritaires, car la mission de l’ANP, selon l’avant-projet de révision constitutionnelle à travers sa modernisation, considère que le pilier étant la ressource humaine, afin de maîtriser les nouvelles technologies est de protéger l’indépendance de la nation et la sécurité de nos frontières.
En résumé, l’Algérie est un grand pays, s’étendant sur 2 380 000 km2 dont 2 100 000 km2 d’espace saharien. Sa situation géographique est stratégique : en face de l’Europe, côtoyant la Tunisie, l’Atlantique Maroc/Mauritanie, la Libye, le Mali et le Niger comme point d’appui de l’Afrique sub-saharienne. Cela n’est pas anodin que les Etats-Unis d’Amérique, la Russie et l’Europe considère l’Algérie comme un acteur clef de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine comme vient de le rappeler conjointement le Premier ministre espagnol et le ministre des Affaires étrangères français lors de leurs visites à Alger en octobre 2020.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul