Les librairies allemandes font de la résistance

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Angela Merkel et les présidents des 16 Länder ont décidé, contrairement au mois de mars, de laisser les librairies ouvertes pour ce second confinement.

Il y a des courants d’air dans la librairie Baumgärtner à Kehl, la petite ville du Bade-Wurtemberg juste en face de Strasbourg. « Nous laissons en permanence portes et fenêtres ouvertes. Ce n’est pas très agréable, mais nous sommes tellement soulagés cette fois-ci de pouvoir rester ouverts, alors nous enfilons un gros pull pour travailler.» Lors du premier confinement en mars, les libraires allemands (à l’exception des Länder de Berlin et de Saxe-Anhalt) avaient dû fermer pendant plus de 4 semaines. Le soulagement est donc immense quand, la semaine dernière, Angela Merkel et les ministres-présidents des 16 Länder présentent les nouvelles mesures de restrictions anti-Covid-19. Cette fois-ci, confinement soft et même régime pour tout le monde : toutes les librairies du pays ont le droit de rester ouvertes, de même d’ailleurs que tous les petits commerces, grandes surfaces et les magasins de détail. En mars, seuls les commerces de première nécessité étaient restés ouverts.

Stratégie antivirus
Chez Baumgärtner, une librairie familiale de 250 m2 dans la zone piétonne du centre-ville de Kehl, on a mis en place une stratégie antivirus : distributeurs de gel à l’entrée, obligation de porter le masque, nettoyage régulier des stylos et des surfaces et surtout, on veille à ce que les clients ne s’approchent pas trop les uns des autres. 10 m2 de surface par client, c’est la règle décidée au niveau fédéral pour les magasins. La clientèle se sent en sécurité et continue de venir acheter ses livres à la librairie. Christina Baumgärtner, la propriétaire, est triste pour ses collègues français sur l’autre rive du Rhin. « C’est tellement absurde cette décision de fermer les librairies et ça juste au moment où les gens songent déjà à faire leurs achats de Noël, le plus gros chiffre d’affaires annuel pour les libraires. Je ne comprends pas qu’un président qui dit à ses concitoyens ‘‘Lisez !’’ prenne cette décision si contraire à ce qu’il professe. Je souhaite à mes collègues français de tenir bon. J’espère vraiment que le gouvernement français assouplira très vite cette mesure, sinon certains auront du mal à survivre.» Christina Baumgärtner se souvient de cette période de tunnel et de stress intense au mois de mars : « Toute la famille a serré les coudes. Mon mari et moi avons travaillé du matin au soir à enregistrer les commandes, nos quatre fils sont allés faire les livraisons à domicile. Parfois, une centaine par jour. Nos employés étaient au chômage partiel. Nous avons peaufiné notre site Internet et nos clients fidèles se sont montrés très solidaires.»

«Ils ont découvert la valeur du contact humain»
Les Allemands, explique-t-on dans les maisons d’édition où l’ont dit avoir souffert au final moins qu’on ne le redoutait, se sont tournés vers leurs libraires quand Amazon a décidé de donner la priorité des livraisons aux produits de première nécessité, alimentation, papier toilette, articles d’hygiène. « Beaucoup de gens, souligne-t-on chez Rowohlt, la grande maison d’édition basée à Hambourg, ont compris qu’on peut commander un livre chez son libraire, se le faire livrer à domicile ou le récupérer sur le pas de la porte de la librairie le lendemain. Ce qu’ils ignoraient avant la pandémie. Après le confinement, nombreux sont ceux qui sont restés fidèles aux petits libraires. Ils ont découvert la valeur du contact humain, la qualité des conseils et la rapidité du service.» Le service de distribution allemand, avec plusieurs grossistes qui effectuent les livraisons d’un jour sur l’autre, a continué de fonctionner. Si certains, à Berlin en particulier, affirment avoir profité du confinement de mars, la plupart disent avoir travaillé d’arrache-pied et s’en être sorti sans trop de casse. « Ce sont les grandes chaînes de librairies qui ont le plus souffert, explique Christina Baumgärtner. Avec leurs immenses surfaces de magasins aux loyers très élevés dans les centres-villes, leur personnel en chômage partiel et leur clientèle plutôt anonyme qui passe, ils étaient très désavantagés par rapport à nous les petits libraires de proximité.»
P. H.