Face aux nouvelles mutations mondiales, pour un nouveau management de Sonatrach

Sonatrach

J’ai appris avec une profonde tristesse, le décès de mon ami de près de 50 ans, Nazim Zouiouèche, sorti des plus grandes écoles européennes, une des meilleures compétences nationales dans le domaine de l’énergie, un des fondateurs de Sonatrach, qui a dirigé l’amont pendant plusieurs années avant de devenir PDG de Sonatrach, que j’ai côtoyé déjà en tant que jeune conseiller du ministre de l’Industrie et de l’Energie entre 1974-1979.

Nous avons toujours continué à travailler ensemble entre 1980/2019, notamment à l’élaboration de différentes études nationales, de différentes lois, sur l’électricité, des hydrocarbures, comme il a contribué, en tant qu’expert de renom, à éclairer l’opinion publique dans de nombreux interviews/contributions aux médias nationaux et internationaux et à différents ouvrages sur la stratégie énergétique que j’ai eu à diriger. Pour toute déontologie, je livre au lecteur une contribution dont une grande partie, je la dois à ses aimables conseils, sur l’urgence d’un nouveau management stratégique de Sonatrach.

1- Créée le 31 décembre 1963, Sonatrach a vu ses statuts modifiés à plusieurs reprises, avec pour souci de mettre en adéquation ses statuts.
Au niveau des prérogatives, ce n’est plus à Sonatrach d’octroyer les périmètres d’exploitation, mais selon la Loi en vigueur à une agence dépendante du ministère de l’Energie ALNAFT, entretenant donc des relations fonctionnelles avec cette structure autant qu’avec une autre agence, l’autorité de régulation chargée de suivre les mécanismes des prix. La nouvelle loi a fixé à au moins 51% la part de Sonatrach sur les périmètres octroyés par ALNAFT et moins de 49% aux compagnies pétrolières. Mais le partenariat a toujours existé même du temps du socialisme des années 1970. En nous en tenant à l’organisation du secteur des hydrocarbures, il y a lieu de distinguer plusieurs structures opérationnelles. Nous avons ensuite l’assemblée générale composée du ministre de l’Energie et des Mines, du ministre des Finances, du gouverneur, de la Banque d’Algérie, d’un représentant de la Présidence de la République.
L’article 9.3 précise que l’assemblée générale est tenue de se réunir «au moins deux fois par an en session ordinaire» et en «session extraordinaire à l’initiative de son président ou à la demande d’au moins trois de ses membres, du ou des commissaires aux comptes ou du président-directeur général de la Sonatrach». Au terme de chaque session, l’assemblée générale est tenue d’adresser son rapport au président du Conseil national de l’énergie qui est le Président de la République. Ensuite, nous avons le Conseil d’administration qui est composé notamment du président -directeur général de Sonatrach, du président-directeur général de Sonelgaz, des vice-présidents, du directeur général des hydrocarbures, du Ministère, un autre représentant du Ministère, de deux représentants du syndicat de Sonatrach. Enfin vient le comité exécutif qui est la véritable cheville ouvrière de Sonatrach.
Depuis fin avril 2018, nous avons l’organisation suivante sous la présidence du PDG scindé en deux comités : le Comité exécutif avec la direction Corporate Affairs, la direction transformation, la direction communication et le Comité d’éthique avec le cabinet avec la direction audit/risques, les services sûreté interne et les conseillers. Pour l’organisation en DSP, nous avons stratégie-planification-économie-Finances, Business/marketing-ressources humaines. Quant à l’organisation DC nous avons, Procurement/logistique, ressources nouvelles, Engineering/project management, le juridique, Digitalisation/système d’information, santé/sécurité/environnement et la recherche développement. Quant aux structures opérationnelles dirigés par des vice-présidents, chapotant également les nombreuses filiales, nous en avons cinq, au lieu de quatre auparavant l’Aval ayant été scindé en deux : activité exploration/production, transport par canalisation, activité liquéfaction et séparation, activité raffinage/pétrochimie et la commerciale. Sonatrach ayant des activités au niveau international, nous avons des holdings opérant à l’étranger dont il conviendra de déterminer la rentabilité pour le pays.

2- C’est que la croissance ou pas de l’économie mondiale et les facteurs géostratégiques sont les facteurs déterminants du cours du pétrole, assistant depuis 2010 à une déconnexion du cours du gaz qui est à la baisse ne suivant pas la tendance haussière procurant environ 33% des recettes de Sonatrach, joue comme un vecteur essentiel dans l’accroissement ou la diminution des recettes de Sonatrach. La gouvernance d’un pays est elle-même inséparable des mutations mondiales devant donc éviter d’isoler la micro-gouvernance de la macro-gouvernance qui sont inextricablement liées.
L’on confond ainsi Etat régulateur en économie de marché pouvant détenir des minorités de blocage pour certains segments jugés stratégiques, cette notion étant historiquement datée, avec le Tout Etat (Etat gestionnaire). Toute démarche scientifique et opératoire doit partir du général au particulier, afin de saisir les interactions et pouvoir procéder à des actions par touches successives. Le nouveau management stratégique doit avant tout diagnostiquer l’impact de l’environnement national et international sur Sonatrach et l’appréciation des domaines où l’interface Sonatrach/environnement peut être amélioré afin de rendre plus performante l’entreprise et la hisser au niveau de la concurrence mondiale. Aussi, l’analyse du fonctionnement de Sonatrach ne peut se comprendre sans la replacer à la fois dans la nouvelle configuration de la stratégie énergétique mondiale, tenant compte des coûts, pouvant découvrir des milliers de gisements mais non rentables financièrement, ces recherches ayant occasionné des coûts entre-temps non amortis, du nouveau défi écologique avec un changement notable du modèle de consommation énergétique qui se dessine entre 2020/2030.
L’organisation de Sonatrach est une organisation qui combine à la fois l’organisation hiérarchique et l’organisation divisionnelle, ce qui ne lui acquiert pas la souplesse de ses concurrents au niveau international, sans compter la rigidité du système bancaire et surtout les interférences politiques, ce qui est propre à toute entreprise publique même dans les pays développés. Sur le plan des résultats financiers, faute d’une clarté dans la gouvernance de Sonatrach, on ne discerne pas nettement ce qui est imputable à une bonne gestion interne et ce qui est imputable aux aléas internationaux qui sont déterminants.

3- Quels sont les axes directeurs d’un nouveau management stratégique de Sonatrach horizon 2030 ? Le modèle doit prendre en compte l’épuisement inéluctable des réserves d’hydrocarbures à terme, fonction de cinq facteurs, du vecteur prix international, du coût d’exploitation, de la durée de vie du gisement, des découvertes technologiques et des énergies substituables. Il s’agira donc d’élaborer un modèle de simulation donnant plusieurs variantes en fonction des paramètres et variables, fonction de contraintes qu’il s’agira d’éliminer pour éviter des effets pervers, gérer étant prévoir surtout pour cette entreprise stratégique pour le pays. La démarche devra être de type itératif.
Elle consistera à itérer les séquences en plusieurs étapes : fixer les objectifs d’amélioration des performances reliés à chaque fonction ou à chaque système de gestion, selon une démarche descendante et en vérifier le réalisme (ratios, contexte) ;
– évaluer l’ordre de grandeur des impacts attendus (gains, qualité, délais, coût…) selon une démarche ascendante ;
– évaluer les moyens et les délais nécessaires (ordre de grandeur) et enfin vérifier qu’à chaque objectif fixé peuvent être associés des indicateurs de performance faciles à mettre en œuvre.
Cette simulation permettra la mise en place de deux ou trois scénarios d’amélioration des performances de Sonatrach tenant compte de l’évolution erratique tant du cours du dollar, de l’euro que du cours du pétrole et du gaz, permettant d’identifier chaque action, décrire le contenu, évaluer les moyens, les délais, les coûts associés à l’action, vérifier le niveau de gain attendu éventuel, rédiger une fiche descriptive de chaque action accompagnée d’un tableau récapitulatif des moyens, coûts et gains attendus et enfin établir un tableau récapitulatif des indicateurs de performance à prévoir. Pour cela, il s’agira principalement d’analyser.
L’ensemble des règles juridiques influençant le secteur énergétique (environnement légal et institutions publiques), les circuits Banques primaire- banque centrale, Sonatrach pour les conditions de paiement afin d’accélérer la rapidité des opérations, évaluer les structures d’appui professionnelles existantes, les structures d’appui techniques et de formation, l’identification de la stratégie des entreprises concurrentes et des institutions internationales et leurs facteurs-clés de succès pour une comparaison nécessaire de la stratégie internationale des grands groupes pétroliers et gaziers.
Cela implique la prise en compte de la comparaison des comptabilités, organisation, filialisation, les récents fusionnements, la concurrence des énergies substituables, de l’environnement avec des activités non polluantes en incluant donc de nouveaux coûts nécessaires tenant compte de cette nouvelle contrainte internationale, la part de marché des pays OPEP et des pays non OPEP, la spécificité régionale du gaz dont la part du marché en Europe du gaz algérien est en déclin, et ses concurrents directs avec l’Iran, le Qatar, la Russie et la Norvège. La description des opérations devrait permettre d’identifier les gisements de productivité et les niches de gains de coûts (comparaison avec des compagnies tests), volume, rentabilité et analyser la stratégie des principales institutions similaires dans le monde sur les plans : technologie, standards et normes, sous-traitance et enfin le conventionnement et ce, afin de réduire les coûts et d’avoir une stratégie agressive afin de prendre des parts du marché tenant compte de la concurrence.

4- Sur le plan comptable, Sonatrach, bien qu’existe une direction de l’audit au niveau de la direction générale, établit souvent un bilan consolidé où l’on ne cerne pas correctement les centres de coûts du fait de ce que les économistes appellent les comptes de transfert, pouvant voiler la mauvaise gestion d’une division. Par ailleurs, au niveau des unités de production , la comptabilité établit une valeur globale pour des ventes similaires de certains produits, résultante de la consolidation de produits exportés au prix international et de produits écoulés sur le marché interne à un prix largement plus bas. Aussi faute de comptes physico-financiers à prix constants, les ratios de gestion sont d’une signification limitée pour apprécier la performance.
Il en résulte l’urgence de mettre en place des comptabilités analytiques et de mieux adapter les structures organisationnelles à la mission et aux contraintes de Sonatrach, de définir la structure des responsabilités et de concevoir un système d’information efficace, comme indiqué précédemment, fonctionnant sur le principe de réseaux afin de discerner les centres de coûts en temps réel et de s’adapter aux règles internationales du droit des affaires afin d’éviter les nombreux litiges qui engendrent des coûts additionnels. Un audit des immobilisations corporelles et incorporelles s’impose en urgence pour Sonatrach. Il est à rappeler que sur le plan strictement comptable, les immobilisations corporelles comprennent le terrain, les constructions, les installations techniques, matériel et outillage industriels, ainsi que les installations générales, agencements, matériels de transport, matériel de bureau et matériel informatique, mobiliers et emballages récupérables.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul