L’œuvre protéiforme de la Franco-Ivoirienne Véronique Tadjo

Chemins d’écriture

La Franco-Ivoirienne Véronique Tadjo est l’auteure d’une œuvre plurielle, qui se partage entre poésie, fiction, livres pour la jeunesse et peinture.

Entrée en littérature par la poésie, l’écrivaine a une vingtaine de livres à son actif. Ils puisent dans les contes et les légendes africaines pour dire le désordre du monde contemporain. Portrait d’une écrivaine nourrie de son héritage africain et profondément moderne. « J’écris pour beaucoup de raisons. J’écris probablement pour mettre de l’ordre dans mes idées, pour essayer de changer le monde, pour me consoler de n’avoir pas pu le faire. J’écris pour communiquer avec les autres, j’écris pour tendre la main aux autres. J’écris tout simplement pour habiter le monde.» Cette belle et émouvante profession de foi, nous la devons, à Véronique Tadjo, une des grandes dames des lettres africaines modernes. Née de père ivoirien et de mère bourguignonne, l’écrivain a grandi à Abidjan et a vécu dans les trois continents : Europe, Amérique et Afrique.
Elle partage sa vie aujourd’hui entre Londres et la Côte d’Ivoire, sa terre de prédilection où s’enracine son imaginaire. Véronique Tadjo est l’auteure d’une œuvre magistrale, atypique, partagée entre poésies, proses poétique, romans, récits, ouvrages pour enfants, essais et peinture. Un univers tout en échos et en résonances, avec des passerelles thématiques entre les différents publics. A la fois écrivaine et artiste, Tadjo illustre elle-même ses albums pour enfants, aux titres ô combien évocateurs – Mamy Wata et le monstre ou Le bel oiseau et la pluie ou encore Le Seigneur de la Danse, pour n’en citer que ces trois titres sur une quinzaine de textes pour enfants à son actif. «La peinture purifie mon cerveau», aime-t-elle répéter. Situant sa créativité à l’intersection de l’art et du verbe, elle a fait du décloisonnement des genres la marque de fabrique de son œuvre. Et d’ajouter : «Je trouve que je suis meilleure écrivaine quand je peins. Cela me permet de voir le monde d’une autre manière, d’utiliser des yeux différents. Pendant longtemps, on a pensé qu’il fallait se spécialiser et uniquement dans un genre. Je pense que c’est occulter la part multiple que nous avons en nous ».

Engagement et lyrisme
Venue à la littérature par la poésie, Véronique Tadjo s’est fait connaître en publiant en 1983 un bref recueil de poèmes, intitulé sobrement Latérite, qui lui valut le prix littéraire de l’Agence de Coopération culturelle et technique, prédécesseur de l’Organisation de la francophonie. Latérite, dont la dynamique narrative nous entraîne dans l’espace africain, est une invitation au voyage. Derrière les premiers épanchements lyriques, émergent déjà les thématiques qui traversent toute l’œuvre de Véronique Tadjo : villes néfastes, quête de l’amour pour affronter les violences du monde, nostalgie des temps anciens où, selon les mots de l’auteur, «les lignes et les couleurs épousaient le ciel dans leur clarté sereine». Il y a, dans ces pages, du Baudelaire, du Prévert, mais aussi des poètes de la négritude. Senghor, Césaire, Birago Diop que la jeune Tadjo avait découverts pendant ses années de formation à Abidjan, l’ont longtemps accompagnée sur le chemin de sa quête identitaire. «Leur engagement politique mêlé de lyrisme m’avait conquise», se souvient-elle.
On peut dire que l’engagement mêlé de lyrisme est le fil directeur de l’œuvre romanesque de Véronique Tadjo dont les titres les plus connus s’inspirent des crises majeures que le continent africain a vécues au cours des dernières décennies. L’ombre d’Imana, voyages jusqu’au bout du Rwanda (2000), qui fait entendre les récits des survivants du génocide des Tutsis, est une méditation sur le Bien et le Mal et les ténèbres de l’âme humaine. Reine Pokou (2005) est inspiré de la guerre civile ivoirienne. A mi-chemin entre conte et récit historique, ce livre s’interroge sur le thème de l’identité nationale, avec pour grille de lecture le mythe fondateur de la Côte d’Ivoire, celui de la reine qui sacrifia son fils en le livrant aux dieux du fleuve, afin que son peuple puisse gagner l’autre rive et fonder la nation baoulée.

Récit écologique
Enfin, En compagnie des hommes, paru en 2017, est un récit écologique doublé d’une réflexion sur la fragilité de l’homme, avec pour point de départ les ravages causés en Afrique de l’ouest par l’épidémie d’Ebola. Mais l’originalité de ce livre réside essentiellement dans sa construction chorale, comme l’explique l’auteur. « En compagnie des hommes est un récit polyphonique. On a des voix des gens qui ont participé dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola de 2014 en Guinée, Sierra Léone et au Liberia. C’est comme ça qu’on va entendre la voix d’un docteur, d’une infirmière, d’un administrateur, d’un jeune qui utilise la purine pour pouvoir se débarrasser du virus. On entend même la voix du virus, de la chauve-souris et cet arbre, le baobab, qui en fait raconte l’histoire parce que le baobab est le symbole d’une sagesse ancestrale.» Véronique Tadjo aime rappeler qu’elle n’est pas une romancière dans le sens conventionnel du terme. Héritière de la tradition orale africaine dont elle emprunte les procédés rhétoriques et les symboles, les Mamy Wata et les figures mythiques, elle réinvente les manières de dire le monde, jouant de la multiplicité des genres et des héritages. Sa prose est poétique, ensorcelante, à la hauteur de la promesse qu’elle avait faite à ses lecteurs dès son premier ouvrage : «Tu verras/Je suis une sorcière/Si tu écoutes ma parole/La rivière coulera en toi.».
T. Chanda
Aimer selon Véronique Tadjo, par Véronique Tadjo. Museo Editions, 2020. 88 pages, 14,50 euros.