Destination des passionnés de lecture à petit budget !

Bouquinistes tunisois

Le livre est avant tout un outil culturel populaire ! A Tunis, c’est une institution un peu particulière qui le démontre.

Ce sont nos fameux bouquinistes installés sur la rue des Tanneurs (Dabaghine) et d’Angleterre au centre-ville. Portes drapeau d’un héritage multiculturel d’auteurs qui remontent à des siècles. Dans ces petits commerces qui regorgent de milliers de trésors littéraires, on peut tomber sur des collections rares, des tomes impressionnants d’écrivains notables d’antan, des magazines, BD, journaux et archives, ayant marqué des événements historiques mondiaux inoubliables… D’autres bibliothèques sont posées sur les deux bords des allées de ces rues, des étalages à ciel ouvert, et ça déborde de bouquins dans tous les sens.
Ici, les livres anciens côtoient des éditions limitées. On tombe parfois sur des merveilles, de vieilles cartes postales, des gravures anciennes, des photos d’inconnus, et des inexplorés… En effet, s’il y a bien un endroit où le livre est accessible à tous, et à tous les prix, c’est dans ces petites ruelles qu’on peut les trouver. Les passionnés de lecture y font de la résistance ! Avec la hausse des prix dans les librairies, et le report de la foire du livre à cause de la crise sanitaire, ils sont désormais nombreux à se retourner vers les bouquins deuxième main… En nous adressant à Houcine Daboussi, un bouquiniste qui exerce ce métier depuis 25 ans, il nous a confirmé que «l’affluence d’une clientèle fidèle n’a pas baissé dans ces temps de crise économique».

Un rebond après la crise du confinement
Contrairement à ce que disent les préjugés, et les rumeurs qui circulent disant que certains marchands de livres vont mettre la clé sous le paillasson, ou encore les statistiques qui ont montré que les Tunisiens lisent moins qu’un livre par année, le bouquiniste Houcine Daboussi, a affirmé que les citoyens continuent à lire. A vrai dire, à notre surprise, en regardant quelques dizaines de minutes dans les étalages de bouquins anciens, les clients étaient nombreux à dénicher les bouquins que supportent leurs petits budgets… Plusieurs demandaient les essais de Montesquieu. Des jeunes lycéennes et étudiantes fouinaient à la recherche des grands classiques de la littérature française, des romans à l’eau de rose, ou encore, des essais de psychologie. D’autres mères de familles débarquent aussi pour acheter d’anciens ouvrages didactiques dédiés aux enfants, qui selon elles, sont plus stimulants intellectuellement que les nouveaux parascolaires…
En analysant cette affluence, Houcine Daboussi nous a révélé que les mesures restrictives liées à la lutte contre le coronavirus, comme le confinement ou encore le couvre-feu, ont bien joué en leur faveur. «Les jeunes notamment, privés de sortir le soir à cause du couvre-feu, se rendent plus fréquemment pour l’approvisionnement des bouquins pour la soirée. Quant aux filles, elles sont nos clientes les plus fidèles. Les garçons se font trop rares dans nos boutiques. Ils ont cette croyance de juger la lecture, comme une activité «de femme», explique-t-il. «Le plus grand problème confronté par les bouquinistes en ce moment, c’est que la plupart des livres sont importés d’Europe, ou d’Arabie Saoudite. Avec la dépréciation du dinar, ces petits trésors littéraires sont devenus plus chers, donc nos achats se font rares. Nous comptons actuellement, sur la liquidation des milliers de livres qu’abritent nos locaux depuis plus d’un siècle, en attendant des jours meilleurs…», ajoute-t-il.
Sur les autres sources de ses livres les plus anciens, le bouquiniste nous a confié qu’il existe des clients passionnés, qui viennent déposer des éditions limitées héritées de leurs ancêtres, pour la vente. A cet effet, ils nous a sorti un volume qui date de l’année 1866, du magistrat et historien tunisien, Ibn Abi Dinar, qu’il cache minutieusement dans un tiroir. «Il s’agit d’un livre hérité de son grand-père. Conservé délicatement dans un vieux tissu en velours en guise d’emballage, cette édition limitée est à vendre pour l’acheteur le plus généreux», commente-t-il en feuilletant ses pages jaunâtres. «Le texte de ce volume est gravé sur le papier par une presse typographique en bois. Il a une couverture en cuir véritable qui a subi quand même les marques du temps, ce qui lui donne plus de charme et encore plus de valeur». Quant au prix de ce bijou littéraire, il peut atteindre les milliers de dinars», nous a expliqué le marchand. «En effet, seuls les connaisseurs peuvent estimer sa réelle valeur. Les passionnés sont prêts à investir des sommes colossales, pour jouir de l’existence d’une édition rare et limitée parmi leurs collections de livres».

«Une clientèle fidèle, de jeunes femmes passionnées de lecture»
Nous nous sommes dirigés vers un autre bouquiniste, dont la petite boutique ressemble plus à un grenier où tout se vend et tout se négocie. Située entre des merceries, antiquaires, et des vendeurs ambulants, cet espace qui fait moins d’une dizaine de mètres carrés, dispose d’une dizaine de milliers de bouquins, romans, encyclopédies, et ouvrages… Son propriétaire, un quadragénaire qui a hérité le métier de son père, nous a confirmé également, que les bouquineurs continuent à affluer dans ces temps de crise. «Ma clientèle est essentiellement composée de filles à la fleur de l’âge, qui lisent généralement des romans de romance, ou encore les livres de philosophie», affirme-t-il.
«La plupart de mes clientes éprouvent un engouement spécial pour Nietzsche, qui attire tant de jeunes lectrices ! Sinon, pour les garçons, ils ne viennent que pour acheter des livres exigés dans leurs programmes scolaires». Concernant ce désintérêt ambiant des nouvelles générations pour la lecture, ce bouquiniste a lié ce fléau à la dégradation généralisée du niveau intellectuel de la classe politique. «Grâce à ces gens qui envahissent les plateaux de télé, les familles assistent quotidiennement à une décadence intellectuelle. La violence verbale est désormais normalisée. Des accusations immorales, échange d’insultes, et les émissions superficielles réalisent le taux d’audimat le plus haut.
S’y ajoute, la violence dans la rue et le transports commun… Tout cela est dû au manque de civisme, lié essentiellement au déficit culturel de notre société», explique-t-il. Ce monsieur, inquiet pour l’avenir des jeunes générations, recommande de sensibiliser sur l’importance de la lecture, et du livre, et son rôle dans l’amélioration de la vie citoyenne. Pour lui, sans cet outil irréprochable, le déclin de nos sociétés continuera. Pour lui, les femmes seront plus aptes à s’en sortir. «Éveillées dès leur jeune âge, elles résistent désormais à la médiocrité, et pensent sérieusement à garantir leur place dans la société, non seulement grâce aux études, mais aussi grâce à la culture et l’apprentissage précoce.»
Emna Bhira in Gnet news