Les secrets de sa colossale fortune

Agatha Christie

Une nouvelle biographie sur la reine du polar revient sur l’énorme business qu’elle a généré avec son œuvre et ses centaines de millions de livres vendus.

Elle préférait de loin parcourir le monde plutôt que de gérer la paperasse et les droits d’auteur… Mais Agatha Christie a rapidement compris que ses livres lui offraient ce qu’elle chérissait le plus au monde : le confort et la liberté, aussi s’entoura-t-elle toute sa vie de conseillers et de spécialistes qui firent d’elle une vraie poule aux œufs d’or, la première de l’histoire de l’édition mondiale. À la fin de sa vie, au milieu des années 1970, elle laisse à ses héritiers une fortune de 600 millions de livres sterling soit l’équivalent de près de 5 milliards d’euros aujourd’hui, révèle la nouvelle biographie que lui consacre Béatrix de L’Aulnoit, Les Mille Vies d’Agatha Christie, aux éditions Tallandier.
Et une œuvre impressionnante comprenant pas moins de 66 romans, 154 nouvelles et une vingtaine de pièces de théâtre. Il faut dire qu’Agatha Christie était une véritable stakhanoviste de l’écriture, publiant au moins un livre par an, et parfois quatre parutions en douze mois. « Je suis une machine à saucisses », résumait-elle à sa façon, pour se moquer de son rendement mécanique, efficace et juteux. La romancière mènera une vie tambour battant, divorçant d’un mari volage pour convoler avec un archéologue courant le monde… Tout cela a un prix, les romans vont le financer, aussi bien pour assurer son train de vie que pour payer des extra. « Je me disais, j’aimerais bien transformer la serre en véranda, où l’on pourrait s’asseoir à l’aise, racontait-elle un jour.
Combien cela me coûterait-il ? Je me faisais faire un devis, m’installais devant la machine à écrire, prenais ma tête à deux mains, et, en moins d’une semaine, une histoire s’élaborait dans mon esprit. Le moment venu, je la rédigeais et j’avais ma véranda… » Dès les années 1920, elle s’entoure d’un agent littéraire entreprenant, Edmund Cork, qui lui fait entrevoir des publications aux États-Unis, les reproductions en feuilletons et les droits d’adaptation dramatique… La machine à cash se met rapidement en route : dans les années 1930, elle est propriétaire de trois maisons à Londres, d’une autre en Syrie, sans compter son domaine de Greenway, une superbe demeure géorgienne à colonnes sur les rives du Dart qu’elle fait rénover à grands frais où s’entassent peu à peu les meubles de famille, des coffres achetés dans des souks et ses collections chichiteuses de porcelaine. Elle vivra là ses plus beaux jours, servie par une cuisinière, deux femmes de chambre, un maître d’hôtel et quatre jardiniers…

Empire multimédia Après la Seconde
Guerre mondiale, c’est le jackpot : ses livres, qui ne dépassaient pas les 8 000 ventes, flirtent désormais avec les 40 000 exemplaires écoulés, tandis que les éditions de poche partent comme des petits pains aux États-Unis. Ses conseillers préconisent de créer la société Agatha Christie Limited, détenue par le Christie Settlement Trust, qui gère les revenus et les droits d’auteur, en versant un salaire à la romancière équivalent à 150 000 euros annuel. Il s’agit du premier empire multimédia de l’époque, avec 10 % des droits des contrats signés pour les deux principaux agents de la romancière. « En 1961, écrit sa biographe Béatrix de L’Aulnoit, l’Unesco annonce qu’Agatha Christie, présente dans deux cents pays, est l’autrice de langue anglaise la plus vendue dans le monde. Les années 1940 ont été celles des romans policiers, les années 1950 celles du théâtre. Les années 1960 vont être celles de Hollywood d’où arrivent d’incessantes demandes d’adaptation pour le cinéma ou la télévision. »
Hercule Poirot et Miss Marple, créés par l’auteur, vont désormais fasciner la planète à travers les écrans… Ce seront aussi les années de problèmes avec le fisc. En 1957, les autorités américaines contestent le montage du Trust, elle doit s’acquitter d’une amende équivalant à près de 2,5 millions d’euros, tandis que le fisc britannique la surveille également de près… « Je ne sais jamais combien j’ai, je ne sais jamais combien j’aurai, se défend-elle. Mon comptable trouve toujours quelque problème vieux de plusieurs années qui n’a jamais été régularisé… » Plus de quarante ans après sa mort, la société Agatha Christie continue à prospérer : gérée par l’arrière-petit-fils de la romancière, les héritiers possèdent toujours 36 % des parts du montage, le reste ayant été cédé à une société de production pour un montant resté secret… Entre les BD, les jeux vidéo, les séries télé multi-rediffusées et les films produits par Hollywood, les royalties continuent d’affluer dans les caisses. Sans compter les ventes de livres qui séduisent toujours le public, plus de deux milliards d’exemplaires écoulés à ce jour… Qui a dit que le crime ne payait plus ?
M. F.