Hervé Le Tellier auteur de «L’Anomalie» lauréat

Prix Goncourt

Le plus prestigieux prix en langue française a été décerné, ce lundi 30 novembre, au romancier français Hervé Le Tellier, 63 ans.

C’est par visioconférence que le nouveau lauréat du prix Goncourt a été couronné pour « L’Anomalie » (éditions Gallimard), un roman hors du commun. Ce n’est pas en descendant l’escalier du restaurant parisien Drouot et devant une foule de journalistes excités, mais dans l’ambiance clinique d’une visioconférence avec 200 journalistes connectés que le nom du lauréat a été annoncé par le président du jury du prix Goncourt, Didier Decoin : « Le prix Goncourt 2020 a été attribué à Hervé Le Tellier pour L’Anomalie, avec huit voix contre deux pour L’Historiographe du royaume, de Maël Renouard. » La réponse laconique du lauréat, assis devant une porte brune et entre deux murs blancs : « Merci infiniment… » « Vertigineux », « facétieux », « le roman dont on a besoin maintenant »… Même avant le couronnement d’aujourd’hui, les adjectifs élogieux ne manquaient pas de la part des critiques littéraires pour résumer ce « roman 2.0 » très drôle.

Être confronté à son propre double
C’est à bord d’un Boeing d’Air France en difficulté et avec une galerie de personnages que l’auteur nous catapulte dans son histoire. Nous sommes en juin 2021 et les 243 passagers du vol Paris-New York 0006 sont stupéfaits d’être accusés par la CIA d’avoir atterri ensemble pour la deuxième fois en trois mois, avec un équipage identique et un avion pareillement endommagé, sur le sol américain. Or, il se trouve que leurs doubles sont déjà arrivés sur le sol américain au mois de mars… Chaque individu est donc confronté à son propre double et condamné à accepter cette part de lui-même qui, en temps normal, lui échappe.
Il y a l’écrivain désespéré, l’avocate carriériste, l’architecte frustré, le chanteur nigérian, la monteuse de cinéma… L’auteur fait vivre chaque personnage dans un univers littéraire différent, inspiré par exemple de l’auteur français de romans noirs Jean-Patrick Manchette, ou de l’auteur américain de romans policiers, Raymond Chandler. Onze personnalités permettent onze interprétations de la réalité, mais chacun se pose la même question : que faire quand l’autre l’Autre est comme soi-même ?

La littérature comme terrain de jeu
Oscillant entre style policier, références geeks, humour et apocalypse, le roman transpire la passion d’Hervé Le Tellier d’utiliser la littérature comme terrain de jeu. Cela lui permet d’expérimenter les structures et de défier les règles avec un personnage de tueur comme fil rouge. Et c’est le double littéraire de l’écrivain, Victor Miesel, l’auteur des Échecs qui ont raté, qui mène l’enquête dans ce roman de doubles lectures où le lecteur a le droit et le plaisir de se raconter sa propre histoire. Pour Hervé Le Tellier, les deux plus importantes idées de son livre – qu’il aimerait bien voir adapté au cinéma – sont « la duplication et la confrontation à soi-même». Né en 1957 à Paris, linguiste et mathématicien de formation, Hervé Le Tellier s’est d’abord fait connaître avec sa participation à l’émission Des papous dans la tête sur France Culture, où la littérature est transformée en jeu intellectuel et populaire.

Les univers inexplorés du langage
Depuis 1991, il est membre du mouvement littéraire Oulipo, créé en 1960 par Raymond Queneau, entre autres. Cet Ouvroir de littérature potentielle défend une écriture inventive et innovante afin de découvrir les potentialités inexplorées du langage. Parmi ses derniers romans figurent Moi et François Mitterrand (2016) et Toutes les familles heureuses (2017).
S. F.