Une forge de maréchal-ferrant en ruine

Traditions

On a vu ses ruines il y a quelques jours de cela et on a décidé de faire parler la forge devenue méconnaissable, il n’en restait que quelques pans des murs, des tuiles éparpillées, des poutres corrodées par les intempéries.

Lorsqu’on regarde ses vestiges, la forge semble vouloir vous tenir à témoin de sa longue histoire qu’elle vous raconte pour peu que vous vous donniez la peine de l’écouter attentivement au risque de laisser échapper quelques détails importants. A l’ère du tout fait, tout prêt, il n’y a plus de bêtes de somme : ânes, mulets, chevaux ou de trait. C’est pourquoi il n’existe plus de sentiments humains, de poésie, de maîtres du verbe et de la connaissance.

Du temps où il y avait de la vie
Les forges, parce qu’il y en avait beaucoup, une dizaine dans une petite ville, trois ou quatre dans un village. Il y avait une forte clientèle à satisfaire : des cultivateurs, des maçons, des ouvriers, des commerçants, des particuliers et d’autres dont l’âne ou le mulet était nécessaire pour le transport de tout. Pauvres bêtes mal nourries, maltraitées et qui servaient au transport de tout : terre, pierres, briques, tuiles, denrées alimentaires, personnes, bref, tout ce qui devait passer d’un lieu à un autre et obligatoirement pour permettre la vie.
Il n’y avait pas de vie sans bêtes de somme. Prenez par exemple la Casbah d’Alger où jusqu’à aujourd’hui ses éboueurs se servent des ânes. On suppose que lorsqu’elle a été construite il y a de cela quelque 4 à 5 siècles, on a sûrement fait appel au service des ânes pour le transport des matériaux, y compris les poutres en bois ou métalliques. Et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucune reconnaissance pour les services rendus par ces bêtes à une époque où il n’y avait pas d’autres moyens pour servir de véhicules. Le pire est que l’âne reçoit des coups de bâton sur la tête, la croupe pour l’obliger à marcher même lorsqu’il est fatigué. Ils transpirent et ils résistent et quand on évoque son nom on dit « hachakoum ». Très souvent donc, on lui change de fers aux pattes, communément appelés fers à cheval.
Vu le nombre à l’époque, il fallait que chaque bête attende son tour pour être ferrée. C’est le travail du maréchal ferrant qui savait parler aux bêtes quand il taillait les bas de leurs pattes usées, après avoir arraché le vieux fer à changer. Puis délicatement, il installe les nouveaux qu’il fixe à l’aide de clous de sa propre fabrication. En voyant la forge en ruine alors qu’on l’a connue en pleine activité, on a le cœur serré en raison du changement, mais mal qui s’est produit. Tous les outils : enclume, soufflet, pince, marteau, instrument spécial pour tailler ont disparu sous les décombres. Mais l’histoire est restée dans la mémoire collective. Quelques aînés prennent le soin de la transmettre aux jeunes.

Le dernier des maréchaux-ferrants
Après lui, il n’y a pas eu de relève. Ses enfants exerçaient d’autres métiers plus propres. Ce dernier maréchal ferrant appartient à une famille ayant exercé des siècles avant lui le même métier noble car sans lui les ânes ou les mulets ou les chevaux useraient leurs pattes et deviendraient handicapés. Le destin a voulu que ce dernier maréchal ferrant tombe dans la cour d’un moulin traditionnel, il est mort en chargeant sa bête de céréales moulues. Il paraît que la forge a été construire par son arrière arrière-grand-père, avec des murs en pisé qui une fois montés ont été couverts d’un toit en tuiles rondes. Les murs intérieurement et extérieurement ont été crépis avec de l’argile mélangée à de la chaux pour résister aux intempéries.
Triste histoire n’est-ce pas ! dit la forge abandonnée, alors que, au fil des générations, des milliers de bêtes ont défilé devant moi pour être ferrées et devenir aptes au travail. Dans une localité, à quelques dizaines de kilomètres il reste encore une forge de maréchal ferrant, car on y travaille la terre en se faisant aider par ces bêtes admirables citées même dans le Coran. Mais celui qui y travaille encore, y fait deux métiers : le matin il ouvre pour faire boucher dans la même boutique et le soir il devient maréchal ferrant. Et partout où elles ont fonctionné à plein temps, elles sont devenues aujourd’hui des ruines qu’on ne se donne même la peine de regarder pour les souvenirs et la méditation.
Abed Boumediene