Maître britannique du roman d’espionnage

Décès de John Le Carré

Le maître britannique du roman d’espionnage John Le Carré est décédé à l’âge de 89 ans d’une pneumonie, a annoncé son agent dimanche.

«C’est avec une grande tristesse que je dois annoncer que David Cornwell, connu dans le monde sous le nom de John le Carré, est décédé après une courte maladie (non liée au Covid-19) en Cornouailles samedi soir, le 12 décembre 2020. Il avait 89 ans. Nos pensées vont à ses quatre fils, à leurs familles et à sa chère épouse, Jane », a indiqué Jonny Geller, PDG du groupe Curtis Brown, agence artistique basée à Londres. « Nous avons perdu une grande figure de la littérature anglaise », a-t-il ajouté, louant son « grand esprit », sa « gentillesse », son « humour » et son « intelligence ». « C’est avec une grande tristesse que nous devons confirmer que David Cornwell – John le Carré – est décédé d’une pneumonie samedi soir après une courte bataille contre la maladie », a confirmé sa famille dans un message relayé par son agent. John Le Carré avait accédé à un succès international après la parution de son troisième roman, L’Espion qui venait du froid (1964), qu’il écrivit à 30 ans, « mangé par l’ennui » que ses activités de diplomate à l’ambassade britannique de Bonn en Allemagne lui procuraient.
Le roman, vendu à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde, raconte l’histoire d’Alec Leamas, un agent double britannique, passé en Allemagne de l’Est. Son adaptation au grand écran, avec Richard Burton dans le rôle-titre, marque le début d’une longue collaboration avec le cinéma et la télévision. La carrière de John le Carré comme agent secret avait été ruinée par l’agent double britannique Kim Philby qui avait révélé la couverture de nombreux de ses compatriotes au KGB. John Le Carré – David Cornwell, de son nom véritable – avait alors dû démissionner du MI6. Mais coutumier de l’auto-dérision, il confessera plus tard avoir été de toute façon un mauvais espion. Il s’amuse aussi à raconter que ses supérieurs l’avaient autorisé à publier L’Espion, car le livre est, prétend-il, « pure fiction du début à la fin ».
Un homme en colère Avec la fin de la Guerre froide en 1991, John Le Carré se met à brocarder les dérives du nouvel ordre mondial construit sur les ruines du mur de Berlin : mafia, trafic d’armes et de drogue, blanchiment d’argent et terrorisme. Son 18e roman, La constance du jardinier, adapté lui-aussi au cinéma, dénonce les abus des multinationales pharmaceutiques dans un Kenya post-colonial « pillé, corrompu et en pleine déliquescence ». Dans Un traître à notre goût (2011) ou encore dans une Vérité si délicate (2013), l’écrivain livre une satire féroce contre les maîtres du monde aux manœuvres depuis les salons tamisés des ambassades, des ministères et des banques. John Le Carré, dont les livres occupent les têtes de gondole dans les aéroports du monde entier, était un homme jaloux de son intimité, préférant les falaises de sa maison en Cornouailles aux mondanités du monde littéraire.
Il y a quelques années, il avait engagé deux détectives dans l’idée de démarrer une autobiographie, les sommant de rassembler « un dossier » sur lui et sa famille, pour établir la vérité. « Parce que je suis un menteur, élevé pour ça, entraîné à ça par un service qui ment pour vivre » et réinventant constamment sa propre vie, dit-il leur avoir expliqué. Mais ils reviennent bredouilles. Il se résout à l’exercice en 2016 avec la publication de quelques souvenirs dans Le tunnel aux pigeons. Il remonte ainsi à sa petite enfance pour expliquer la colère qui l’habite: né le 19 octobre 1931 à Poole, petite station balnéaire du sud de l’Angleterre, il est abandonné à 5 ans par sa mère à un père tyrannique doublé d’un escroc dont il fera le portrait à peine déguisé dans Un pur espion (1986).
« Les gens qui ont eu des enfances malheureuses sont assez bons pour s’inventer eux-mêmes », aime-t-il à dire. Marié deux fois, il avait quatre fils et treize petits-enfants. En 2011, il avait légué toutes ses archives à la bibliothèque de Bodley fondée au début du XVIIe siècle à Oxford, où il étudia les langues dans les années 1950. « Pour Smiley, comme pour moi, Oxford est notre maison spirituelle », explique-t-il. « Et même si j’ai le plus grand respect pour les universités américaines, la bibliothèque de Bodley est l’endroit où je reposerais le plus heureux possible ».
RFI avec AFP