La bombe à retardement a déjà éclaté !

Le recours à la planche à billets était «nécessaire», selon la Cour des comptes

En 2017, la Banque d’Algérie a approuvé la décision du Gouvernement à l’époque de recourir à la création monétaire afin de couvrir les déficits publics et soutenir l’économie nationale, à long terme, en stimulant l’investissement public et favorisant la croissance.

En laissant la porte ouverte en fonctionnement à plein régime de la planche à billets, la Banque Centrale a négligé les dangers considérablement durables, de cette option, qui a été gelée par le gouvernement actuel en raison de ses répercussions désastreuses sur les finances publiques. Le résultat comptable pour l’année 2018 «très décevant» en est la preuve, selon le rapport d’appréciation sur l’avant-projet de loi portant règlement budgétaire de l’exercice 2018 de la Cour des comptes. Cette dernière a réitéré ses critiques sur les niches fiscales et la faiblesse des recouvrements fiscaux (ordinaires et pétroliers) qui ont eu un impact direct sur les recettes de l’Etat, en baisse constante par rapport aux dépenses publiques croissantes, aggravant le déséquilibre des comptes publics. Le manque de pragmatisme et de visibilité a plongé l’économie nationale dans l’austérité. L’Algérie est assise depuis 2017 sur une bombe à retardement qui risque d’éclater à tout moment.
Les premiers signes sont déjà là. Des signes cachés sous les effets de la crise sanitaire et financière plus conséquente et plus grave. Tenant compte de l’évolution des indicateurs de la gouvernance économique et de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale au sein de l’administration publique, les magistrats de la Cour des comptes dressent un bilan plutôt «morose et inquiétant» des finances publiques. Il a relevé plusieurs défaillances dans la politique de gestion de la trésorerie des entreprises publiques qui s’avèrent de plus en plus insolvables, malgré le soutien du Trésor public. L’une des répercussions non mesurée de l’utilisation du financement non conventionnel qui ne correspondaient pas à la capacité de ces entreprises à générer de la richesse. L’Etat a opté pour cette facilité financière sans émettre de garantie.
La Banque d’Algérie ne dispose pas de compensations (réserves d’or, de changes et des obligations d’Etat). L’économie du pays à l’époque était à la dérive en raison de la crise pétrolière constante, recul des investissements et cumul des déficits publics. L’Algérie a pris un énorme risque en optant pour la planche à billets sans aucune contrepartie. Elle a produit en seulement deux ans (entre la mi-novembre 2017 et fin janvier 2019), plus de 6.556,2 milliards de dinars, dont 3.114,4 mds de DA ont été injectés dans l’économie, soit près de la moitié, selon la BA. Majoritairement destiné à désendetter les entreprises publiques et poursuivre l’exécution de certains projets structurants, ce qui n’a servi à rien. Ces entreprises, entre autres, la Sonelgaz, l’Enie et l’Eniem font face, aujourd’hui, aux mêmes problèmes de gestion.
Il s’agit de l’une des anomalies relevée par le président de la Cour des comptes, Abdelkader Ben Maarouf, avant-hier, qui a pointé lors de son exposé devant la Commission des Finances et du Budget de l’APN, «l’efficacité des dépenses publiques et l’exécution des crédits alloués à certains secteurs constituent le noyau et une problématique dans la méthode de gestion des deniers publics», proposant la nécessité de revoir le système de gestion de ces sociétés. Il a mis en lumière l’impératif de «maîtriser le budget destiné à l’investissement public et le remboursement des crédits octroyés aux grandes entreprises, notamment dans le cadre du financement non conventionnel auquel a recouru le Gouvernement en 2018», expliquant, dans ce sens que «certaines défaillances dans les opérations d’investissement public, sont dues à la maturation des études ainsi que l’exécution et le suivi des programmes d’investissement».
Le recours à la planche à billet était sans modération aggravé la situation économique du pays qui fait face au dérapage du dinar, déficit commercial et budgétaire, baisses des indicateurs macro-économiques. Les craintes de spécialistes financiers qui préconisent une utilisation modérée se concrétisent. Le déficit du Trésor en 2018 baisse à 1.341 milliards de dinars, alors qu’il était financé de manière non conventionnelle à hauteur de 900 milliards de dinars. Quant au déficit budgétaire global, il a atteint «2082 milliards dinars en 2018, soit trois fois du déficit de 2017, en raison de la hausse sensible relevée dans les dépenses d’équipement (+ 74,1 %) malgré la croissance des revenus budgétaires de 5,5% durant la même période», a indiqué M. Ben Maarouf.
Ce qui a engendré comme suscité «l’augmentation de la dette publique qui a atteint 7.778 milliards DA, soit 38% du produit intérieur brut (PIB), ce qui représente une hausse de 4.178 milliards DA, tout au long des années 2017-2018», a-t-il précisé. Pour le président de la Cour des comptes, le recours à la planche à billet était «une nécessité», un risque à prendre face aux refus des gouvernants à l’époque d’opter pour l’endettement extérieur. Une décision qui ne justifie pas toutefois le maintien de la trajectoire budgétaire négative. La Cour des comptes n’a pas apporté d’explications ni de recommandations concernant la gestion du secteur public. M. Ben Maarouf a expliqué que «la Cour des comptes n’avait été destinataire du projet de règlement budgétaire de l’exercice 2018, qu’en septembre 2020». Faute de temps, «son institution n’a pas pu rédiger ses recommandations», a-t-il justifié ! Le désespoir peut-il conduire les institutions de l’Etat à opter pour le retour à la planche à billets? ! La crise du Covid-19 peut-elle être la motivation ? L’avenir nous le dira.
Samira Takharboucht