La privatisation partielle via la bourse d’Alger est-elle réalisable ?

Sans vision stratégique, stabilité juridique, monétaire et des comptes transparents

Face aux tensions budgétaires où le déficit budgétaire selon le PLF 2021, serait de 21,75 milliards de dollars en 2021 au cours de 128 dinars un dollar, au moment de l’adoption de cette loi, contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars et un déficit global du trésor prévu de 28,26 milliards de dollars et au manque de dynamisme du secteur public, les assainissement supportés par le Trésor public ayant largement dépassé 100 milliards de dollars entre 2000/2020, certains responsables évoquent la privatisation partielle tant pour certaines entreprises publiques que pour quelques banques par la bourse d’Alger.

Je me propose de livrer quelques remarques et propositions sur les finalités du processus de privatisation, qu’il soit partiel ou total à travers mon expérience en tant que président du Conseil national des privatisations entre 1996/1999 sous la période du président Liamine Zeroual m’amène à formuler cinq conditions de la privatisation via la bourse d’Alger supposant une clarté dans les objectifs et les moyens de mise en œuvre. Premièrement : il ne peut y avoir de bourse fiable sans une vision stratégique des réformes. Paradoxalement avec pour seul souci de combler le déficit budgétaire, sans vision stratégique, certains responsables évoquent la privatisation par l’apport du privé au moment où avec l’impact de la crise du coronavirus et le monde dont les ondes de choc selon le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE sur la croissance mondiale se feront sentir jusqu’en 2021, sous réserve de la maîtrise de l’épidémie, la majorité des entreprises ayant recours aux Etats pour leur survie.

La majorité des entreprises publiques souffrent d’un déficit structurel, endettées vis-à-vis des banques, certaines dont les techniques de production sont obsolètes ne répondant pas aux nouvelles technologies et aux normes internationales. Certes, le constat est le manque de dynamisme du secteur public, les assainissements supportés par le Trésor public ayant largement dépassé 100 milliards de dollars à prix constants entre 2000/2020 du coût des différentes restructurations entre 1980/1999 qui s’ajoutent aux assainissements pour la période 2000/2020. Ce ne sont que des annonces car étant un processus éminemment politique, toute décision sur un sujet aussi sensible et complexe doit avoir d’abord l’aval du Conseil des ministres certainement après consultation du conseil de sécurité car engageant la sécurité nationale. L’on ne doit pas confondre privatisation et démonopolisation complémentaire, tous deux, processus éminemment politique, allant vers le désengagement de l’Etat de la sphère économique afin qu’il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché.

La privatisation est un transfert de propriété d’unités existantes vers le secteur privé et la démonopolisation consiste à favoriser l’investissement privé nouveau. L’objectif de la démonopolisation et celui de la privatisation doivent renforcer la mutation systémique de la transition d’une économie administrée vers une économie de marché concurrentielle. Un texte juridique n’est pas suffisant, ce n’est qu’un moyen) et devient un leurre, s’il n’y a pas d’objectifs cohérents clairement définis avec pragmatisme et un retour à la confiance. La privatisation ne peut intervenir avec succès que si elle s’insère dans le cadre d’une cohérence et visibilité de la politique socio-économique globale et que si elle s’accompagne d’un univers concurrentiel, un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux, mettre fin à l’instabilité juridique, la rénovation de toutes les structures du ministère des Finances à travers sa numérisation, fiscalité, domaine, banques, douane. Comme il faut dans le cadre de la politique économique globale, analyser lucidement les impacts de l’Accord d’association de libre échange l’Europe, toujours en négociations pour un partenariat gagnant-gagnant, de la zone de libre échange avec l’Afrique, avec le monde arabe, ainsi que tous les accords internationaux, ne pouvant exporter que si l’Algérie possède des entreprises publiques ou privées concurrentielles en termes de coûts/qualité.

– Deuxièmement, la bourse d’Alger est en léthargie depuis sa création, ayant construit un stade sans joueurs et paradoxe, ayant introduit par injonctions administratives certaines entreprises publiques déficitaires achetant des entreprises déficitaires oubliant que dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments. ll s’agira de lever la contrainte majeure qui est la bureaucratie centrale et locale paralysante, renvoyant à la refonte du système sociopolitique, avec pour objectif la décentralisation autour de quatre à cinq pôles régionaux qui ne saurait signifier déconcentration «Mondialisation, réformes et privatisation» ouvrage A. Mebtoul Office des Publications Universitaires -Alger- 2 volumes, 500 pages, 1981 reproduit dans Editions Amazon Paris-2018. Il ne peut y avoir de bourse fiable sans la concurrence, évitant les instabilités juridiques renvoyant à un Etat de droit. Nos responsables sont-ils conscients qu’existe un marché mondial de la privatisation où la concurrence est vivace où le facteur déterminant est la demande avec la prise en compte du goodwill (demande potentielle) et pas seulement l’offre et éviter que certains prédateurs soient intéressés que par les biens immobiliers et non pas par l’outil de production.
– Troisièmement : une bourse doit se fonder sur un système bancaire rénové. Or, le système financier algérien depuis des décennies est le lieu par excellence de la distribution de la rente, les hydrocarbures est un enjeu énorme de pouvoir. La dynamisation de le bourse passe forcément par la refonte du système financier. En effet, malgré le nombre d’opérateurs privés, nous avons une économie de nature publique avec une gestion administrée, la totalité des activités quelques soient leur nature se nourrissant de flux budgétaires, c’est à la capacité réelle du trésor. On peut considérer que les Banques en Algérie opèrent non plus à partir d’une épargne puisée de marché, mais par les avances récurrentes (tirage : réescompte) auprès de la Banque d’Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public sous forme d’assainissement pas seulement pour la période récente mais devant compter les coûts de la restructuration entre 1980/1990. Cette transformation n’est pas dans le champ de l’entreprise mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente, les hydrocarbures) et dans cette relation, le système financier algérien est passif. Plus de 90% de ces entreprises sont revenues à la case de départ montrant que ce n’est pas une question de capital argent, la richesse réelle supposant la transformation de stock de monnaie en stock de capital et là est toute la problématique de développement.
– Quatrièmement : il ne peut y avoir de bourse sans la résolution des titres de propriété qui doivent circuler librement segmentés en actions ou obligations renvoyant d’ailleurs à l’urgence de l’intégration de la sphère informelle par la délivrance de titres de propriété comme il ne peut y avoir de bourse des valeurs fiables sans des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales par la généralisation des audits et de la comptabilité analytique afin de déterminer clairement les centres de coûts pour les actionnaires. Cela pose la problématique de la refonte du système comptable et de l’adaptation du système socio-éducatif, n’existant pas d’engineering financier. Le poste services au niveau de la balance des paiements avec des sorties de devises varie entre 2010/2019 entre 9/11 milliards de dollars par an qui s’ajoute aux sorties de devises des biens d’importations. Existant quelques rares exceptions, il se trouve que les comptes des entreprises publiques et privées algériennes de la plus importante à la plus simple dans leurs état actuel sont en contradiction avec les audits les plus élémentaires. A titre d’exemple, Sonatrach a besoin d’un nouveau management stratégique à l’instar de la majorité des entreprises algériennes, avec les comptes clairs afin de déterminer les coûts par section. Or, nous assistons à l’opacité de la gestion de Sonatrach qui se limite à livrer les comptes globaux consolidés sans distinguer si le surplus engrangé est dû à des facteurs exogènes, prix au niveau international ou à une bonne gestion interne.
– Cinquièmement : pour attirer les opérateurs tant nationaux qu’internationaux, s’impose la stabilité monétaire, juridique et la résolution des dettes et créances douteuses. Or, les Banques publiques croulent sous le poids de créances douteuses et la majorité des entreprises publiques sont en déficit structurel, surtout pour la partie libellée en devises supposant des mécanismes transparents en cas de fluctuation du taux de change. A titre d’exemple, nous assistons à une instabilité monétaire qui ne permet pas des prévisions à moyen terme sur la rentabilité des actifs.
Pour la période de 2001 au 18 décembre 2020, nous avons la cotation suivante :
-2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro :
-2005, 73,36 dinars un dollar, 91,32 dinars un euro :
-2010, 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro :
-2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro :
-2016 :100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro :
-2017 : 110,96 dinars un dollar et 125,31 dinars un euro :
-2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro :
-2019 :119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro et le 18 décembre 2020, 132,1909 dinars un dollar et 161, 3919 dinars un euro.
La dépréciation simultanée du dinar par rapport au dollar et l’euro, principales monnaies d’échange, ne répond pas aux valeurs en bourse où la cotation est inversement proportionnelle, ayant pour but essentiel de combler artificiellement le déficit budgétaire, assimilable à un impôt indirect. Ainsi, le gouvernement actuel projetant pour 2023 environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar et en prenant un écart de 50% par rapport au marché parallèle, nous aurons environ 300 dinars un euro minimum en 2023 sous réserve de la maîtrise de l’inflation, sinon l’écart serait plus important, avec une projection de 240/250 euros fin 2021 en cas d’ouverture des frontières et l’inévitable hausse des taux d’intérêts des Banques primaires pour éviter leurs faillites. Avec 98% des recettes en devises y compris les dérivés provenant des hydrocarbures permettant des réserves de change qui tiennent la cotation à plus de 70%, si fin 2021, les réserves de change clôturent à 10/15 milliards de dollars fin 2021, début 2022, la Banque d’Algérie devrait coter le dinar à environ 200 dinars et le cours sur le marché parallèle qui est coté le 18/12/2020 à 210 dinars un euro, s’envolerait à plus de 250/300 dinars un euro. Dans ce cas, il est illusoire tant d’attirer l’épargne de l’émigration via les Banques que l’on veut installer avec des coûts en devises, que de capter le capital argent de la sphère informelle via la finance islamique.

Comment voulez-vous qu’un opérateur se présente en bourse sachant que la valeur du dinar va chuter d’au moins 50% sinon plus dans deux à trois années, dépréciant ses actifs ? En résumé, il faut ne faut pas vivre d’utopie. Sans vision stratégique, la stabilité politique, juridique, monétaire et des comptes transparents, la privatisation partielle via la la bourse d’Alger est difficilement réalisable devant répondre aux normes internationales et se pose cette question : combien a-t-elle coûté pour son fonctionnement depuis sa création en 1997 (22 ans), sans résultats probants ? Entrer en bourse c’est comme jouer au casino, espérant gagner et non perdre. Des entreprises performantes doivent rentrer en bourse, dictées par la logique du profit, pour amorcer le mouvement afin de permettre de constituer un indice boursier consistant en volume et en qualité.

Aussi, la privatisation partielle par la bourse d’Alger, processus complexe, avec des enjeux économiques, sociaux et politiques, afin d’éviter la dilapidation du patrimoine public au profit de spéculateurs intéressés surtout par le patrimoine immobilier, implique la transparence, des objectifs précis, la levée des entraves bureaucratiques et la réforme du foncier, du système bancaire, domanial, douanier, fiscal, assurer la stabilité juridique, monétaire et intégrer la sphère informelle qui représente, hors hydrocarbures plus de 50% de la superficie économique, par des mécanismes économiques et non bureaucratiques, sont les critères essentiels pour tout investisseur national ou étranger.
A. Mebtoul