Sans vision stratégique, pas d’impacts économiques et sociaux durables

Désenclavement des zones d’ombre

L’Algérie s’étend sur 2 380 000 km2 dont 2 100 000 km2 d’espace saharien. La densité paraît faible, mais les 9/10e de la population sont concentrés sur les terres du Nord. Sa situation géographique est stratégique : en face de l’Europe, côtoyant la Tunisie, l’Atlantique Maroc/Mauritanie, la Libye, le Mali et le Niger comme point d’appui de l’Afrique sub-saharienne. L’objectif stratégique horizon 2020/2030 est d’éviter que plus de 95% de la population vive sur moins de 10% du territoire et avoir une autre vision de l’aménagement de l’espace.

Comme il s’agira impérativement d’éradiquer durablement pour des raisons à la fois de solidarité nationale mais sans populisme également d’efficacité économique, les zones d’ombre dans le cadre d’une vision stratégique afin d’éviter qu’une fraction de la population algérienne en cette fin de l’année 2020 vive dans un état déplorable semblable à celle de nos parents durant la période coloniale au moment où une minorité sans création de richesses s’accaparent une fraction importante du revenu national.

1- Les zones géographiques déshéritées ou zone d’ombre ne concernent pas seulement les zones éloignées mais se trouvent au sein de quartiers des grandes villes, dans les hauts plateaux, dans le Sud, des pans entiers de populations où domine la sphère informelle, les jeunes rasant les murs, avec des habitations lugubres, sans électricité, sans gaz, sans téléphone, sans centres de santé, sans écoles ou les enfants font des kilomètres pour rejoindre certaines structures éloignées sans cantines ni chauffage et sans transport, pas des routes goudronnées avec des pistes infréquentables en cas d’intempéries Je ne puis donc qu’adhérer, pour des raisons de justice sociale à cette stratégie où des algériens n’ont pas encore connu les bienfaits de l’indépendance depuis 1962. Alors que la population avec la forte pression démographique atteint plus de 44 millions en 2020 et plus de 50 millions horizon 2020. Nous assistons, hélas, à des constructions anarchiques avec le manque d’homogénéisation dans le mode architectural, un taux accéléré d’urbanisation avec des bidonvilles autour des grandes villes, avec le risque de l’extension de nouvelles formes de violence à travers le banditisme et de maux sociaux comme la drogue et la prostitution.
Il suffit de visiter toutes les wilayas, sans exception, pour constater des routes, des infrastructures et des ouvrages d’art qui ont coûté à la collectivité nationale plusieurs dizaines de milliards de centimes inutilisables en cas d’intempéries, des routes éventrées à l’intérieur des villes où la plupart des autorités se complaisent uniquement aux axes principaux visités par les officiels, des ordures qui s’amoncellent depuis des années à travers la majorité des quartiers périphériques, des logements que les citoyens refont, surtout les secondes œuvres avec des VRD non finies, des espaces verts qui font place à du béton, la construction d’unités dangereuses et polluantes près des villes, des sites touristiques, près des côtes, contenant plusieurs centaines de lits et qui déversent à la mer leurs déchets sans compter le manque d’eau pour l’hygiène. Cela témoigne d’actions urgentes dont la responsabilité ne concerne pas seulement un département ministériel, mais à la fois plusieurs ainsi que les collectivités locales. Cette situation peut avoir des conséquences très graves, avec la «bidonvilisation» sur le plan sécuritaire qui a un coût, d’où l’importance de l’aménagement du territoire et d’une véritable décentralisation économique pour un espace plus équilibré et solidaire. Ainsi, s’impose une réorganisation du pouvoir local dont la base sont les collectivités locales, pour une société plus participative et citoyenne renvoyant à l’urgence de la révision des codes régissant les collectivités locales.
Après l’APC providence» du tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale. C’est dans ce contexte, que la wilaya via les APC doit apparaître comme des éléments fédérateurs de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à l’APC que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement, devant par ailleurs et naturellement se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. De ce fait, cela implique pour l’Algérie de penser un autre mode de gestion, de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l’aménagement du développement et du marketing de son territoire. En fait, la pleine réussite du nouveau code communal implique de poser le rôle de l’Etat et son articulation avec le marché dans la future stratégie économique ce qui renvoie au mode de gouvernance. Pour accélérer le processus du développement durable dans ces régions, il faudrait réaliser une analyse sérieuse spatiale de la nature de ces zones d‘ombres et résoudre le problème car tout le problème tant des ressources humains que du financement, l’Algérie entre 2020/2023 devant connaître d’importantes tensions financières et budgétaires, le gouvernement ayant prévu un fonds spécial pour le développement des zones d’ombre.
L’implication de la société civile dans sa diversité régionale qui ont une connaissance exacte des besoins sociaux, non la société dite civile rentière, mais celle qui a la confiance des citoyens me paraît fondamentale pour éviter la dilapidation des deniers publics destinés à ces zones d’ombre. L’on devra distinguer ce qui doit être à la charge de l’Etat, la contribution des citoyens et comment attirer des entreprises fiables car le social pour le social a des limites et est éphémère dans le temps. Par exemple, on ne peut pour des îlots isolés financer les canalisations de gaz ou le branchement d’électricité par la voie classique. Le développement des énergies renouvelables peut y suppléer comme le développement des nouvelles technologies à travers la numérisation au niveau de ces zones permet sans créer de nouvelles structures administratives budgétivores de rapprocher l’État du citoyen. Lors de la dernière réunion gouvernement walis, il avait été prévu 11.815 projets de développement inscrits, au profit des zones d’ombre, avec une enveloppe de 207 milliards DA.
Qu’en est-il des réalisations effectives ? Mais il faut être réaliste éviter le saupoudrage sous la pression de la conjoncture car comme souligné précédemment on ne crée pas des activités par décrets vision bureaucratique du passé qui a conduit à un gaspillage important des ressources rares sans résoudre le problème du développement des régions : exemple les programmes spéciaux de wilayas. Ce sont les entreprises qui créent de la richesse et des emplois devant répondre aux critères fondamentaux, coûts, qualité et concurrence. Certaines zones géographiques ont des potentialités agricoles mais il faut des routes, des aires de stockage, de l’électricité et du gaz naturel pour les valoriser. D’autres ont des potentialités artisanales et industrielles à travers les mines, d’autres peuvent près des stations thermales favoriser le tourisme. Pour les zones frontalières, il s’agit pour les riverains d’imaginer des zones tampons de prospérité, de ne pas voir ces zones sous des angles négatifs d’assistance financière (assistanat) mais en privilégiant le co- développement.

2- Le développement durable des zones d’ombre doit s’inscrire dans le cadre d’une véritable stratégie économique posant la problématique de la refondation de l’Etat et d’ une nouvelle politique d’aménagement du territoire, l’Etat régulateur central agissant comme un chef d’orchestre, à ne pas confondre avec déconcentration, l’Etat central revoyant les problèmes qu’il ne peut résoudre aux collectivités locales. La refondation de l’État, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. La fin de l’État de la mamelle, puis de la légitimité révolutionnaire, signifie surtout que le pouvoir bienfaisant – ou de bienfaisances inaugurées comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politiques, et qui efface tout esprit de citoyenneté active – doit céder la place à l’Etat de droit où c’est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté.
Le passage de l’État de «soutien» à l’État de justice est de mon point de vue un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et politique entre la Nation et l’État. L’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale. Pour réaliser la symbiose Etat-citoyens, s’impose la décentralisation qui peut être définie comme un mode d’organisation de l’Etat qui confère aux collectivités locales un rôle et un statut économique, caractérisé par une autonomie relative mais non indépendant de l’Etat central chargé des grandes orientations stratégiques cette autonomie étant donc encadrée par l’autorité nationale et pour conséquence un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l’argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu’il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu’une solution nationale.
Aussi, ces actions opérationnelles impliquent de répondre aux questions fondamentales suivantes : compétences des régions ; règles de composition et de fonctionnement des assemblées et exécutifs régionaux – ressources des régions ; – relations avec le pouvoir central ; modalités de transfert aux pouvoirs régionaux et concertation entre régions. C’est que la diversité des situations locales impose une diversité de solutions pour s’adapter aux conditions locales spécifiques. (notre Interview au quotidien gouvernemental Horizon lundi 28/12//2020 «zones d’ombre – Abderrahmane Mebtoul, expert en économie: «une solution locale pour chaque problème local» La régionalisation économique suppose une clarté dans l’orientation de la politique socio-économique évitant des tensions et conflits entre le pouvoir local et central et des concurrences entre le centre et la périphérie. Cela implique un nouveau cadre de pouvoir avec des nouveaux acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux enjeux avec des nouvelles stratégies élaborée devant favoriser un nouveau contrat social national afin d’optimaliser l’effet de la dépense publique et rendre moins coûteux et plus flexible le service public et la création d’un nouvel espace public générateur une nouvelle opinion publique, voire une nouvelle société civile. Il s’agira de favoriser l’émergence de thématiques communes, des modes de propositions communs et des choix collectifs optimaux.
La décentralisation devra s’articuler autour de quatre à cinq pôles régionaux économiques relativement homogènes doit avoir pour conséquence un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l’argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu’il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu’une solution nationale. D’une manière générale, l’efficacité de ces mesures doivent favoriser les activités productives, ce qui implique la refonte des finances locales et des taxes parafiscales sans laquelle la politique d’aménagement du territoire aurait une portée limitée devant s’appuyer sur le système de péréquation entre les régions pauvres et riches et sur une véritable décentralisation qui doit être prise en compte dans la nouvelle révision des codes de wilayas et des codes communaux. La structure qui me semble la plus appropriée pour créer ce dynamisme, ce sont les chambres de commerce régionales qui regrouperait l’Etat, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche. L’action des chambres de commerce, lieu de concertation mais surtout d’impulsion pour la concrétisation de projets serait quadruple. La première action est de dynamiser les infrastructures de base et préparer des sites confiés à des agences de promotions immobilières publiques et privées.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul