Eviter l’illusion de la réussite du processus de privatisation, sans transparence et réformes structurelles

Face aux tensions économiques et sociales

Il ne faut pas mettre la charrette avant les bœufs et éviter des déclarations hâtives sur le processus de privatisation qui est avant tout un acte politique. Je me propose de livrer quelques remarques et propositions sur les finalités du processus de privatisation qu’il soit partiel ou total en Algérie. Cette présente contribution réactualisée étant une synthèse de ma communication suite à l’invitation de M. Steve Gunderson, président et directeur général du Council on Foundations (Conseil des fondations de Washington ) et Miss Jennifer Kennedy «GCDF Gunderson Council Foundation» à des rencontres qui se sont tenues du 26 au 30 mai 2008 à New York (USA) et co-organisée avec la fondation Bill et Melinda Gates et sponsorisée notamment par les importantes fondations Rockefeller, Ford, MacArthur, Andrew Mellon, Carnegie et Hewlett.

La réussite de ce processus complexe est intimement lié à l’avancée de profondes réformes structurelles tant politiques qu’économiques et sociales afin d’éviter le passage d’un monopole public à un monopole privé prédateur plus néfaste que la léthargie actuelle des entreprises publiques en majorité en déficit structurel avec des changements d’organisations et des assainissements répétés depuis les années 1980 à ce jour, plus de 100 milliards de dollars, supportés par le Trésor public, plus de 95% de ces entreprises tant revenues à la case de départ.

1- Contribuer à l’atténuation des déficits publics et l’instauration d’une économie productive hors hydrocarbures
L’on ne doit pas confondre privatisation et démonopolisation complémentaire, tous deux, processus éminemment politique, allant vers le désengagement de l’Etat de la sphère économique afin qu’il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché. La privatisation est un transfert de propriété d’unités existantes vers le secteur privé et la démonopolisation consiste à favoriser l’investissement privé nouveau. L’objectif de la démonopolisation et celui de la privatisation doivent renforcer la mutation systémique de la transition d’une économie administrée vers une économie de marché concurrentielle. Le premier objectif d’une bonne privatisation est son impact sur la réduction du déficit budgétaire. En effet, l’expérience de ces dernières décennies, plusieurs dizaines de milliards de dollars ont été consacrés à l’assainissement des entreprises publiques entre 1991/2020 dont plus de 80% sont revenues à la case de départ, montant de quoi créer tout un nouveau tissu productif et des millions d’emplois productifs. La majorité des entreprises publiques ont un actif net inférieur au quart de leur capital social et une trésorerie inférieure à un mois de leur chiffre d’affaires avec un endettement croissant auprès des banques publiques malades de leurs clients dont l’effectif est négligeable alors qu’il faille créer chaque année 350 000/400 000 emplois qui s’ajoutent au taux de chômage actuel.
Ce déficit structurel cumulé avec l’envolée des dépenses improductives, peu de rigueur dans la gestion et corruption comme le montre l’expérience récente que l’on voile grâce aux recettes des hydrocarbures qui sont en baisse, remet en cause la stabilité des équilibres macro-économiques éphémères. A ce jour, l’on ne s’est pas attaqué aux causes qui rongent le corps social, enfermant le pays dans la stagflation (cumul de la croissance négative de l’inflation et du chômage). A cet effet, la privatisation, qui n’est certes pas la panacée, est un moyen d’atténuation des déficits budgétaires et des dépenses publiques par l’optimalisation des dépenses. Le deuxième objectif est que la privatisation est l’élément incontournable de la dynamisation des exportations hors hydrocarbures. En effet, au vu de données, et en fonction de différents scénarios, il est démontré que seule une dynamisation des exportations hors hydrocarbures qui restent plafonnées à moins de un milliard de dollars (moins de 2% avec 50% de déchets ferreux et non ferreux depuis des décennies) est à même de permettre au pays une croissance durable, l’actuelle stratégie industrielle étant déconnectée des nouvelles mutations mondiales. En effet, reposer le développement tant sur les monopoles, source de surcoût et de gaspillage (les grosses sociétés nationales organisation des années 1970) et sur une ressource éphémère fluctuante, peut conduire le pays à une impasse, voire à une réédition des scénarios d’endettement des années 1986 et de 1994. La privatisation peut constituer une alternative dans la mesure où seule une entreprise privée de par ses mécanismes souples de gestion est à même de s’adapter rapidement aux aléas tant commerciaux que d’ordre monétaires et financiers d’où l’urgence à l’avenir de saisir les évolutions erratiques des cours des monnaies, notamment le yen, le dollar et l’euro ainsi que les mécanismes boursiers.
Le troisième objectif est de contribuer à l’instauration d’une économie de marché concurrentielle loin de tout monopole qu’il soit public ou privé. Il n’existe pas d’économie de marché à l’algérienne mais des spécificités sociales avec des règles universelles, la domination de la propriété privée des moyens de production. La gestion des entreprises publiques sont rigides par définition, malgré souvent la bonne volonté des gestionnaires soumis à des interférences administratives. Seule la privatisation est à même d’être le moteur de la croissance de l’économie nationale car favorisant l’émergence de structures concurrentielles, de nouveaux comportements fondés sur le risque et une nouvelle culture de l’entreprise. Ainsi, les nouveaux managers naissants s’adapteront au changement tant interne qu’externe du fait que la nouvelle logique de la politique économique reposera sur la demande (la sanction étant le marché) et non plus exclusivement sur l’offre comme dans l’ancien système de gestion centralisé. Les faillites, les alliances favoriseront donc cet esprit d’entreprise sans lequel il ne peut y avoir une croissance durable mettant fin à cette illusion de versement de salaires sans contreparties productives, de création d’emplois fictifs que certaines statistiques officielles ne décodent toujours pas.

2- L’importance de l’Etat régulateur pour une économie de marché à finalité sociale
Il appartiendra à l’Etat régulateur, garant de la cohésion sociale, de faire respecter le contrat entre les employeurs et les salariés afin que la logique du profit ne porte atteinte à la dignité des travailleurs. Mais en n’oubliant jamais que la plus grande dévalorisation morale dans toute société et d’être un chômeur ou un assisté. L’important n’est pas de travailler chez le privé national, international ou chez l’Etat, l’important pour nos enfants est de trouver un emploi durable. Car le secteur public économique a montré ses limites. Longtemps perçu comme le porteur du progrès social, il est considéré aujourd’hui comme un gaspilleur de ressources. Ce secteur public serait quelque part devenu «antisocial» ou perçu comme tel. Une telle image se répercute directement sur l’Etat qui demeure très attaché à la sauvegarde des équilibres sociaux. Par ailleurs, la quasi-dépendance de notre économie de la conjoncture pétrolière incite à développer notre degré de liberté pour la résolution de l’équation financière externe, le problème étant de remplir les conditions auxquelles sont subordonnés les apports internationaux de capitaux, d’accès aux nouvelles technologies et de pénétration de marchés.
De cet axe d’analyse, il en ressort que des évolutions déterminées devraient intervenir pour démarquer et reformuler le rôle de l’Etat. En d’autres termes, l’Etat entrepreneur et exploitant direct doit s’effacer peu à peu pour laisser place à un Etat exerçant la puissance publique et qui sera conforté dans ses missions naturelles d’arbitrage et de régulation par un front économique interne. Ce front devrait permettre aux différents acteurs économiques de réhabiliter leur rôle stratégique dans une vision nouvelle du développement. Ceci implique le transfert du secteur public à un statut privé de façon à passer d’un système productif foncièrement extensif à un système intensif, le but essentiel étant de mieux gérer les entreprises et de maximiser la création de richesses. En parallèle à ce nouveau «deal» entre l’Etat et les entrepreneurs, une série d’évolutions et de réformes liées à l’environnement économique est à même d’une part de créer un climat de confiance afin de susciter l’intérêt des investisseurs nationaux et étrangers et d’assurer la crédibilité de l’Etat d’autre part. Dans ce cadre, la bureaucratie, héritage d’une économie administrée, constitue une des contraintes les plus fortes dont l’éradication est absolument nécessaire pour insuffler au marché la dynamique et la fluidité attendues. Sur le plan du système financier, il est fondamental de promouvoir l’adaptation du système bancaire et de la fiscalité.
La mise à niveau du système bancaire est un des axes de promotion à privilégier, car c’est au sein de cette sphère que les rythmes de croissance seront arbitrés à titre principal. L’objectif à viser, est d’aboutir à un système bancaire affranchi des ingérences, plus efficient et plus en harmonie avec les exigences d’une intermédiation financière performante et orienté vers l’économie de marché de capitaux. Jusqu’ici, la situation financière des banques publiques a constitué une contrainte qui a inhibé toute velléité de restructuration. Aussi, il y aurait lieu de dégager un scénario pour leur sauvegarde et leur insertion dans la stratégie globale de privatisation. Pour ce qui est du système fiscal, celui-ci doit être plus incitatif tout en autorisant une grande rigueur dans son application en vue de la lutte contre l’évasion fiscale par la mise en place d’un système d’information et de communication plus moderne et moins sujet à interprétation. Il est également proposé d’améliorer la lisibilité de la politique générale de l’Etat par référence notamment à une nouvelle loi cadre de planification budgétaire. Il est enfin préconisé de simplifier et regrouper dans un cadre plus cohérent, l’organisation institutionnelle chargée d’exécuter une politique désormais plus claire de libéralisation de l’économie et pourquoi pas un grand ministère de l’Economie scindé en plusieurs secrétariats d’Etat techniques.

3- Les différentes techniques de privatisation à ne pas confondre avec le partenariat public-privé PPP
Les difficultés innombrables que rencontre la cession pour être surmontées demandent des techniques appropriées, devant être pragmatiques avec des études cas par cas ne pouvant procéder à des généralisations. Grosso modo, on peut recenser huit techniques de privatisation qui n’est pas une liste exhaustive, qui souvent dans la pratique connaissent des combinaisons par des études cas par cas :
a) l’offre publique de ventes d’actions mais qui se heurte à une difficulté : l’absence de marché de capitaux ;
b) vente privée d’actions ;
c) l’apport d’investisseurs privés dans une entreprise publique après apurement du passif ;
d) découpage, segmentation ou restructuration de l’entreprise en plusieurs de ses composantes qui sont vendues séparément ;
e) distribution de bons vendus à l’ensemble de la société permettant la création de fonds d’investissement :
La méthode de vente de bons d’échange, chaque citoyen recevant des bons de privatisation d’une certaine valeur moyennant une redevance d’enregistrement permet l’adhésion populaire sous réserve de bien organiser ces fonds d’investissement par des comités de surveillance ; g) une toute autre solution de privatisation avec transfert de propriété est la privatisation de l’entreprise par voie de reprise totale par les salariés. Elle est satisfaisante théoriquement plus que pratiquement. Ces entreprises manqueront de fonds propres et auront des problèmes d’augmentation de capital. En outre, on connaît les difficultés managériales des entreprises publiques en Algérie. Il y aura peu de chance qu’elles puissent trouver en leur sein des équipes de gestionnaires capables d’affronter un marché concurrentiel. Cette technique paraît en revanche adaptée au secteur des petites entreprises de services, comme il y aura lieu de prévoir la formule de cession aux cadres mais qui suppose la création d’une banque à risque pour les accompagner transitoirement ; h) enfin sous réserve d’un programme de privatisation clair, une autre technique est la reconversion de la dette extérieure en prises de participation. Cependant dans la pratique, nous avons également des privatisations sans transfert de propriété : où pour les grandes entreprises, l’on peut utiliser les techniques de privatisation par lesquelles l’Etat confit au secteur privé national, étranger ou mixte, la gestion de ces entreprises, mais renonce dans l’immédiat à en céder la propriété.
(A suivre)
Professeur des universités, Expert international, Dr Abderrahmane Mebtoul