Eviter l’illusion de la réussite du processus de privatisation, sans transparence et réformes structurelles

Face aux tensions économiques et sociales

Il ne faut pas mettre la charrette avant les bœufs et éviter des déclarations hâtives sur le processus de privatisation qui est avant tout un acte politique. Je me propose de livrer quelques remarques et propositions sur les finalités du processus de privatisation qu’il soit partiel ou total en Algérie. Cette présente contribution réactualisée étant une synthèse de ma communication suite à l’invitation de M. Steve Gunderson, président et directeur général du Council on Foundations (Conseil des fondations de Washington) et Miss Jennifer Kennedy «GCDF Gunderson Council Foundation» à des rencontres qui se sont tenues du 26 au 30 mai 2008 à New York (USA), co-organisées avec la fondation Bill et Melinda Gates et sponsorisées notamment par les importantes fondations Rockefeller, Ford, MacArthur, Andrew Mellon, Carnegie et Hewlett.

La privatisation partielle ou totale doit répondre à de nombreux objectifs qui ne sont pas tous compatibles et qu’il convient de hiérarchiser dans la formulation d’un programme de privatisation. Mon expérience en tant que président du Conseil national des privatisations entre 1996/1999 sous la période du président Liamine Zeroual dont j’ai une profonde estime et les différentes tournées aux USA, en Europe notamment dans les pays de l’ex- camps communiste, m’amène, pour le cas le cas de l’Algérie, à formuler les objectifs, pouvant varier et être adaptés en fonction du contexte international, social et économique interne et de l’activité ou de l’entreprise, ce qui suppose la résolution de neuf contraintes qui doivent être levées afin d’éviter la méfiance des investisseurs sérieux , en premier lieu l’instabilité juridique perpétuelle, la rénovation de toutes les structures du ministère des Finances à travers sa numérisation, fiscalité, domaine, banques, douane et mettre fin à une bureaucratie centrale et locale paralysante renvoyant à la refonte du système sociopolitique.
– Premièrement, les filialisations non opérantes par le passé dont l’objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c’est le fondement de la réussite tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale.
– Deuxièmement, le patrimoine souvent non défini (absence de cadastre réactualisé) pose la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser.
– Troisièmement, des comptabilités défectueuses de la majorité des entreprises publiques et des banques, (la comptabilité analytique pour déterminer exactement les centres de coûts par sections étant pratiquement inexistantes et les banques ne répondant pas aux normes internationales, rend difficile les évaluations d’où l’urgence de la réforme du plan comptable actuel inadapté. L’inexistence du marché boursier (paradoxe en Algérie, pour la première fois de par le monde, on essaie de créer une bourse étatique, des entreprises d’Etat achetant des entreprises d’Etat) comme l’atteste la léthargie de la Bourse d’Alger rend encore plus aléatoire l’évaluation dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d’année en année, voire de mois en mois par rapport au seul critère valable, existant un marché mondial de la privatisation où la concurrence est vivace.
– Quatrièmement, la non-préparation de l’entreprise à la privatisation, certains cadres et travailleurs ayant appris la nouvelle dans la presse, ce qui a accru les tensions sociales. Or, la transparence est une condition fondamentale de l’adhésion tant de la population que des travailleurs à l’esprit des réformes liées d’ailleurs à une profonde démocratisation de la société.
– Cinquièmement, la non clarté pour la reprise des entreprises pour les cadres et ouvriers supposant la création d’une banque à risque pour les accompagner du fait qu’ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial, la base de toute unité fiable doit être constituée par un noyau dur de compétences.
– Sixièmement, la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids de créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettées, surtout pour la partie libellée en devises sans un mécanisme transparent en cas de fluctuation du taux de change. Pour ce cas précis, l’actuelle politique monétaire instable ne peut encourager ni l’investissement productif ni le processus de privatisation. Pour combler le déficit budgétaire plus de 21,75 milliards de dollars en 2021, contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars et un déficit global du Trésor prévu de 3614,4 milliards de dinars, soit 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% artificiellement, qui en principe est comblé par l’élévation de la production et productivité interne, le PLF 2021 fait les projections de 142 dinars pour un dollar en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023 (environ 190 euros), contre 157 dinars le 6 décembre 2020 et 200 dinars sur le marché parallèle, donnant en tendance 250 euros sur le marché parallèle, sous réserve de la maîtrise de l’inflation qui en cas de hausse entraîne la hausse des taux d’intérêts des banques freinant l’investissement productif. Avec 98% des recettes en devises avec les dérivés provenant des hydrocarbures permettant des réserves de change qui tiennent la cotation à plus de 70%, si fin 2021, les réserves de change clôturent à 10/15 milliards de dollars, la Banque d’Algérie devrait coter le dinar à environ 200 dinars et le cours sur le marché parallèle actuellement de 200 dinars un euro s’envolerait à plus de 250/300 dinars un euro. Dans ce cas, il est illusoire tant d’attirer l’épargne de l’émigration via les banques que l’on veut installer avec des coûts en devises, que de capter le capital argent via la sphère informelle, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques. Comment voulez-vous qu’un opérateur, quelque soit sa tendance idéologique avec cette instabilité monétaire, investisse à long terme sachant que la valeur du dinar va chuter d’au moins 30% sinon plus dans deux à trois années.
– Septièmement, les délais trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l’entreprise, les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert, au Conseil des participations, puis au Conseil des ministres et la délivrance du titre final de propriété, ce qui risque de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux mobiles vont s’investir là où les obstacles économiques et politiques sont mineurs, le temps étant de l’argent.
– Huitièmement, la synchronisation clairement définie permettrait d’éviter les longs circuits bureaucratiques et revoir les textes juridiques actuels contradictoires, surtout en ce qui concerne le régime de propriété privée, pouvant entraîner des conflits interminables d’où l’urgence de leur harmonisation par rapport au droit international. Les répartitions de compétences devront être précisées où il est nécessaire de déterminer qui a le pouvoir de demander l’engagement d’une opération de privatisation, de préparer la transaction, d’organiser la sélection de l’acquéreur, d’autoriser la conclusion de l’opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de s’assurer de leur bonne exécution.
– Neuvièmement, analyser lucidement les impacts de l’Accord d’Association de libre échange l’Europe, toujours en négociations pour un partenariat gagnant-gagnant, qui a des incidences économiques sur les institutions et les entreprises publiques et privées qui doivent répondre en termes de coûts et qualité à la concurrence internationale.

En résumé, la privatisation partielle ou totale ne peut être opérée sans le retour à la confiance et une volonté politique d’une libéralisation maitrisée, un texte juridique n’étant pas suffisant (ce n’est qu’un moyen) et devient un leurre, s’il n’y a pas d’objectifs cohérents clairement définis. La levée des entraves bureaucratiques, une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socioéconomique, la levée des contraintes du foncier, des banques, de la sphère informelle, la fiscalité, la stabilité juridique, monétaire étant des critères essentiels pour tout investisseur national ou étranger où dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments.
(Suite et fin)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul