Il faut démythifier et démystifier la sardine

Prix de la sardine

Les consommateurs de sardine ont raison de pleurer l’absence de celle-ci dans les étals des vendeurs de poissons. Ils ont d’autant raison que c’est frustrant de trouver cette même sardine à un prix prohibitif, qu’il s’agisse de 800 ou de 1.000 dinars.

A qui la faute ? A la spéculation qui ramène le peu de sardine qu’il y a sur le marché en 4e, voire 5e main ? A la saison qui, de janvier à juin, ne permet pas de pêche fructueuse et empêche les sardiniers sous-équipés d’aller chercher l’objet de leur désir dans les grands larges ? Au régulateur qui, face à la rareté de la sardine, peine à imposer des pratiques commerciales transparentes sur ce marché encore méconnu du poisson ? Il ne fait aucun doute que toutes ces raisons peuvent s’équivaloir dans la compétition qui se fait jour au sein des consommateurs pour incriminer telle cause plutôt qu’une autre. Dans cette quête d’éclaircissement sur le sort fait à la pauvre sardine, celle-ci se voit hissée, à la faveur d’une demande importante, au rang du merlan et de l’espadon, faisant d’elle une bourgeoise malgré elle, alors qu’elle a toujours courtisé les petites bourses, affichant son accessibilité et sa disponibilité pour être le poisson du peuple. La sardine, ne l’oublions pas, est un poisson saisonnier, qu’on le veuille ou non, qui, bien que disponible en hiver quand on sait aller le chercher, est abondant entre juin et janvier. Hors cette période, ce poisson ne peut satisfaire qu’une petite demande, se laissant gouverner par la loi commerciale qui régit l’offre et la demande, et va jusqu’à s’imposer à des prix que des bourses modestes ne peuvent approcher. Et les journalistes, surtout ceux des chaînes TV privées, qui, dans l’ignorance des déterminations réelles qui raréfient et renchérissent le poisson, s’en vont, en bons populistes, exacerber un sentiment d’abandon chez les consommateurs, en renforçant l’idée d’un complot ourdi depuis l’amont maritime jusqu’à l’aval commercial, pour empêcher la sardine de s’étaler généreusement dans les assiettes des familles algériennes. Entre journalistes, il faut se parler franchement. Ce n’est pas professionnel. Preuve en est que même si la sardine se vendait à 100 dinars le kilogramme en cette saison, cela ne servirait à rien, puisqu’il n’y aurait plus de disponibilité dans l’heure qui suit la mise sur le marché. En fait, entre la rareté qui est une donnée de base et le prix qui est un effet de rareté, le résultat est le même. Autrement dit, l’absence du produit ou sa disponibilité circonstanciée par des prix prohibitifs produisent le même résultat et forcent le même constat : la sardine, ce n’est pas entre janvier et juin, mais plutôt de juin à janvier. Par ailleurs, et pour ne pas paraître faire du «sardino-centrisme», il convient de dire que la vraie problématique ne concerne pas la sardine seule qui ne fait que poser une question de biologie halieutique, mais plutôt interroge la réalité culturelle de notre relation au poisson en Algérie. Pourquoi, en l’absence de la sardine ou sa cherté (qui revient au même), l’Algérien ne pense-t-il pas à se rabattre sur d’autres poissons ? Les ménagères ne savent-elle pas préparer autre chose que la sardine ? N’y a-t-il donc aucun autre poisson susceptible de se substituer, par le prix et l’apport nutritif, à cette sardine ? L’aquaculture n’est-elle pas en train de répondre, un tant soit peu, à la demande que la pêche marine n’arrive pas à combler ? La boîte de conserve de sardine qui est d’un apport calorique supérieur à celui de la sardine fraîche ne semble pas emballer les consommateurs, alors qu’une bonne préparation culinaire combinée de cette sardine en conserve peut s’avérer délicieuse et tout aussi consistante. La problématique est également celle de nos capacités de pêche et de production halieutique qui font l’objet, ces derniers mois, d’un projet de développement tous azimuts afin de pallier toutes les carences qu’il s’agisse de la construction et de la maintenance navales, de la formation des professionnels, du développent de la flottille de pêche au large et bien d’autres leviers qui devraient, à moyen terme, favoriser l’émergence d’un secteur de la pêche et de l’aquaculture plus performant à même de satisfaire la demande locale en poissons (la sardine y compris) et, pourquoi pas, d’envisager les marchés tiers. Il ne faut pas perdre de vue que la pêche, bien qu’intégrant un enjeu de sécurité alimentaire pour les Algériens, n’en est pas moins un secteur économique où l’initiative privée demeure prégnante, l’Etat ne pouvant que réguler et accompagner les opérateurs auxquels il apporte des facilitations diverses en matière juridique, administrative, fiscale et financière, et qu’il accompagne dans des projets de partenariat à l’international.
Ahmed Rehani