Le secret du braconnage de l’outarde révélé

Pratiqué par les émirs du Golfe

Jugé en appel dans une affaire de corruption, l’ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a fait une déclaration inattendue en révélant, le samedi 9 janvier 2021, en audience devant les magistrats de la Cour d’Alger, avoir reçu en cadeau des lingots d’or, offerts par des émirs du Golfe, durant leurs périodes de chasse à l’outarde, organisées par la Présidence de la République.

D’autres responsables ont reçu le même cadeau, selon l’ex-Premier ministre qui a enfoncé le clou en précisant avoir vendu ses lingots d’or au marché noir. Ce fait sans précédent dans les annales judiciaires de l’Algérie, ouvre la boîte de Pandore des actes délictueux qui ont pu concerner le secteur de l’environnement. Pour l’heure, c’est le braconnage qui est projeté dans l’actualité. Classé mondialement à la troisième place des activités illégales, après le trafic d’armes et de drogue, le braconnage est considéré comme l’une des causes essentielles dans la diminution, voire l’extinction de certaines espèces. Les experts algériens qui ont rédigé le 5e rapport national sur la biodiversité (février 2015, ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement) ont averti que la préservation de la faune algérienne passe par la lutte contre le braconnage. Ils ont cité «à titre d’exemple, certains mammifères, comme les antilopes (l’oryx, l’addax…) qui sont de disparition récente, suite à un braconnage aux effets dévastateurs». Selon eux, pour l’outarde, le braconnage est «quasi organisé», et profite de la non-application du dispositif réglementaire. Leur constat est confirmé par l’aveu de l’ex-Premier ministre. Des cadeaux ont été offerts par des émirs des pays du Golfe aux responsables algériens en échange de la permission de chasser l’outarde dans un cadre quasi-officiel. La chasse de cette espèce inscrite sur la liste des espèces animales menacées de disparition, fixée par l’article 3 de l’Ordonnance du 15 juillet 2006, est interdite en Algérie. L’infraction est punie d’un an à trois ans et d’une amende de 200 000 DA (un peu plus de 1 240 euros) à 500 000 DA (un peu plus de 3 100 euros). En cas de récidive, la peine est portée au double. La règle de l’impunité dont bénéficient les braconniers venus des pays du Golfe, a eu, au moins, deux exceptions : en novembre 2004, quatre Koweïtiens ont été arrêtés et condamnés, en vertu de la loi sur la chasse, à de faibles peines, certes, pour chasse illicite à l’outarde dans le désert algérien ; et entre 2012 et 2016, deux Emiratis, deux Saoudiens et deux Koweïtiens ont été arrêtés, dans le sud algérien, et rapatriés vers leurs pays d’origine après avoir été condamnés à des amendes. En décembre 2004, la presse a rapporté que, sur décision du président de la République, aucune autorisation ne serait plus délivrée aux personnalités étrangères pour la chasse d’espèces protégées au Sud du pays. Mais, comme l’ont rapporté les médias, la chasse à l’outarde à l’aide de faucons, passe-temps favori des cheikhs du Golfe, ne s’est pas arrêtée. Sur la base des témoignages des populations locales, les journalistes ont, à maintes reprises, dénoncé cette situation. Convois de 4×4, camions-citernes pour l’eau potable et pour le carburant, stock de nourriture, serviteurs, générateurs d’électricité, matériel de télécommunications ; ainsi équipés et forts de leurs pétrodollars, les émirs ont écumé depuis les années 1980, comme s’ils avaient carte blanche, des zones entières devenues leur chasse gardée. Avec leurs fauconniers, spécialement transportés par avions pour ces parties de chasse-massacre, ils ont tué des quantités énormes d’espèces. Des chargements entiers d’outardes et de gazelles ont été expédiés vers les pays du Golfe. Les œufs des outardes ont été ramassés et emportés pour pratiquer l’élevage et réintroduire cette espèce supprimée dans les pays du Golfe, par ces mêmes pratiques. Une convention a été signée en janvier 2013, entre l’Algérie et le Qatar, pour la création d’un centre de multiplication de l’outarde (houbara) dans la zone de Ghassoul (wilaya d’El Bayadh) dans le sud algérien. La partie qatarie s’est engagée à «appliquer la législation algérienne ainsi que les conventions internationales relatives à la conservation des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui sont en vigueur». Cette convention est en vigueur jusqu’en 2023. En février 2019, la presse a fait état d’une opération de lâcher de 1 500 individus de l’espèce outarde (houbara) dans la plaine de Lajdar (El-Kasdir wilaya de Naâma), dans le cadre d’un programme de coopération algéro-émiratie. Maigre compensation. La Tunisie n’est pas épargnée par le braconnage. Des écologistes tunisiens ont signalé l’atterrissage dans le désert, au début de cette année, de plusieurs appareils en provenance d’un pays du Golfe, chargés de véhicules tous terrains, un hélicoptère, des caméras thermiques, des armes et des faucons de chasse. Ils accusent un ministre tunisien d’être derrière ce braconnage qui cible la faune désertique en Tunisie.
M’hamed Rebah