Musées et galeries se réinventent en Afrique du Sud

Après la Covid-19

En Afrique du Sud, les conservateurs et les guides des musées ont vu leurs institutions être fermées durant le confinement strict qui a duré plusieurs mois. Désormais, la vision de leur métier s’est transformée, avec plus d’attention accordée à leur présence en ligne, et des visites de plus petits groupes dans leurs espaces d’expositions. Au Javett Art Centre de Pretoria, comme dans la plupart des établissements du pays, un protocole doit être suivi avant qu’un visiteur puisse accéder aux œuvres.

Il doit au préalable remplir un questionnaire en ligne, puis se plier à une prise de température. Une fois entré dans le bâtiment en béton situé sur le campus de l’université, il pourra parcourir les pièces du musée masque sur le nez, et à distance des autres visiteurs. Une nouvelle réalité à laquelle des amateurs d’arts et les étudiants ont dû s’adapter lors de la réouverture du musée en septembre dernier, mais qui a aussi chamboulé les habitudes des employés. « Nous avons dû totalement repenser notre façon de travailler », explique Gabi Ngcobo, la nouvelle commissaire d’exposition de l’institution. Malgré ses plus de vingt années passées dans le monde de l’art, cette professionnelle, arrivée au Javett Art Centre en novembre, a dû totalement revoir ses pratiques, à commencer par l’agencement des expositions.
« De façon architecturale, nous devons préparer l’espace autrement : dans les expositions que j’organise, il n’y a jamais de grosses foules, j’essaye toujours de laisser de la place pour pouvoir réfléchir, mais aujourd’hui cela devient un enjeu de santé publique » détaille la commissaire. « Il faut créer des espaces aussi ouverts que possible, où l’air puisse circuler, poursuit-elle. D’habitude, dans des lieux d’exposition, on essaye de limiter autant que possible l’entrée d’air extérieur, car on doit maintenir une certaine température. Mais on a de la chance, ici, d’avoir de la place, et de pouvoir utiliser différentes pièces. » Le Javett Art Centre fait partie de l’université de Pretoria, et repose sur sa relation avec les étudiants. Avec la majorité des cours désormais dispensés en ligne, le campus connaît beaucoup moins de passage.
« Cela nous a donc aussi fait réfléchir sur la façon dont on présente nos programmes en ligne. Nous avons toujours une marge de progression », s’enthousiasme celle qui est aussi enseignante et a été la commissaire de la dixième biennale de Berlin, en 2018. « Nous faisons par exemple plus attention au langage utilisé pour parler de l’art en ligne, pour essayer de n’exclure personne et de parler aussi aux jeunes.» Le centre d’art avait d’ailleurs tenté une nouvelle approche, avant l’arrivée de Gabi Ngcobo, pour rendre accessibles ses œuvres en pleine pandémie : une exposition en drive-in avait été organisée, où les conducteurs pouvaient admirer des sculptures en conduisant dans le parking. « Il faut aujourd’hui essayer de nouvelles choses, abonde en ce sens la passionnée d’art, même si tout ne fonctionne pas forcément, il faut accepter l’inconnu. »

Occuper les espaces physiques et numériques
Se risquer dans de nouveaux projets : c’est aussi le credo de la BKhz Gallery de Johannesbourg. La petite galerie d’art, ouverte en 2018 par l’artiste Banele Khoza, mise depuis ses débuts sur le numérique. Mais le coronavirus a encouragé le tout jeune commissaire d’exposition Oratile Papi Konopi à pousser ses idées encore plus loin, « car avec la restriction des mouvements, cela rend beaucoup plus difficile la visite d’atelier, l’organisation d’expositions, et toute la logistique : il faut donc s’adapter. »La galerie proposait déjà sur son site des visites en 3D d’expositions organisées entre ses murs. Grâce à un nouveau logiciel, le jeune professionnel de 23 ans peut désormais concevoir des expositions qui n’existent qu’en ligne, comme « Habit At », qui invite treize artistes à réfléchir sur leurs lieux de création et leurs habitudes. Il lui a fallu pour cela tâtonner et apprendre de nouvelles compétences : « J’ai l’habitude de déplacer des tableaux de façon physique, de les sentir entre mes mains, de voir la lumière se refléter dessus. Ici, il n’y a pas tous ces facteurs, c’est étrange, il suffit de presser un bouton et l’œuvre apparaît. » Ces projets en ligne ont aussi offert du temps pour organiser le déménagement de la galerie dans le quartier d’affaires de Rosebank, avec une réouverture prévue d’ici le mois prochain. Car un équilibre est à trouver entre le physique et le virtuel, selon ce commissaire : « une exposition entièrement en ligne a aussi des limites, cela fonctionne bien pour des photos, mais pour les peintures, on ne se rend pas compte des différentes textures, et ça ne rend pas justice aux sculptures. » Mais ces nouvelles expériences ont aussi du bon, selon Oratile Papi Konopi pour qui « cela a ouvert un boulevard aux nouvelles technologies. Nous sommes maintenant davantage conscients des différents espaces que l’on doit occuper.»

De nouveaux modèles de musées, loin des foules
La toute nouvelle Joburg Contemporary Art Foundation, qui a ouvert ses portes cette année, s’inscrit aussi dans cette dynamique de création de nouveaux modèles pour les musées. «Il n’y a pas de texte affiché dans cette exposition, donc vous n’êtes pas bombardés d’informations », explique Jodie Pather au petit groupe qui l’entoure, « et les œuvres reprennent leur place centrale. » La jeune guide de 24 ans, qui poursuit ses études en art, a été séduite par cette nouvelle expérience : pour pouvoir entrer dans cet ancien hangar à tramways restauré, il faut au préalable avoir pris rendez-vous sur Internet. Un maximum d’une dizaine de personnes peut assister, gratuitement, à chaque tour guidé. « Dans les autres endroits où j’ai travaillé, les gens ne faisaient que passer, il n’y avait pas vraiment d’échange. Ici, c’est beaucoup plus intime » confie-t-elle. Le mode de fonctionnement de cette fondation a été pensé avant la crise sanitaire, pour éviter les foules et laisser le temps de savourer chaque œuvre, mais il fonctionne à merveille en temps de pandémie. « Les visiteurs apportent quelque chose, et moi aussi, personne ne domine l’autre par ses connaissances, observe la jeune femme. C’est étrange en temps de Covid-19, où on est tellement séparés, de faire l’expérience de cet échange rafraîchissant. Et je suis sûre que quelqu’un qui n’a aucune connaissance en art peut aussi apprécier la visite, car il n’y a pas d’écriteau qui nous dise quoi penser d’une œuvre. On l’interprète à sa façon.» De quoi, selon Jodie Pather, créer un intérêt en temps de Covid-19 « car le virus a poussé gens à se poser des questions sur la façon dont ils voulaient occuper leur temps libre, et sur ce qu’ils peuvent faire en temps de pandémie sans risque : je pense que ce genre de modèle de musée attire, car c’est une visite active, de qualité, et en totale sécurité. »
C.B.