Apprenons à le valoriser !

Temps des loisirs

Jadis, on occupait le temps en accomplissant la moindre tâche utile : couper du bois, garder les chèvres, aller faire des provisions en prévision des mauvais jours.

Avec le temps, on a vu apparaître des contes d’auteurs et des contes philosophiques appelés aussi romans aux multiples fonctions : attirer l’attention sur un fait majeur, instruire les lecteurs par des histoires intéressantes qui apportent de quoi se cultiver, se distraire et mieux comprendre la vie. Revenons aux contes populaires, pour dire qu’ils ont été composés dans un langage recherché et adapté au public. Pour qui veut apprendre tout sur les convenances sociales, la structure sémantique du texte, la concordance des temps et des modes, il faut référer aux contes populaires qui en sont des modèles comme les fables écrites.

Les contes touaregs, par produit du terroir

Ils ont été produits par des auteurs, aujourd’hui anonymes mais maîtres de la langue et de la sagesse des Touaregs de tous les temps. Pour inventer un conte, il faut connaître sa société d’origine dans tous ses hauts et ses bas, être capable d’apporter un plus à la connaissance, avoir conscience de l’utilité du conte pour l’éducation des jeunes en particulier. On ne sait pas quand ces contes ont vu le jour, aucune référence temporelle ne les accompagne. Ils sont d’un temps et de tous les temps. La transmission est également difficile chez ce peuple touareg obligé de se déplacer d’un point d’eau à un autre, est-ce par famille ou par tribu, sinon par affinité. Même la scolarisation des enfants est difficile, on ne sait pas si les maîtres d’école accompagnent les enfants itinérants. Ceci montre la difficulté ou l’ingéniosité de la population qui ne laisse pas perdre les contes. Ceux-ci peuvent avoir transcrit tous les produits de la littérature en caractères, d’écriture tifinagh. N’oublions pas qu’à côté des contes, il y a les maximes, les proverbes, les adages populaires, les légendes populaires ; c’est tout l’héritage populaire. Voici un exemple : celui d’un mari qui envoie sa femme chez elle pour tester les siens sur leurs capacités à trouver des réponses justes à une énigme à trois propositions : «1 : la chose que rien n’égale en goût, 2/ la chose la plus amère au monde, 3/ la chose la plus rapide au monde. Elle pose l’énigme et dès qu’elle avait obtenu la réponse des parents, elle revient voir le mari pour lui en faire part : le miel est la réponse à la première proposition, pour la 2e elle répond par la coloquinte, pour la 3e c’est le clin d’œil. A ces propos, le mari avait répondu par «non» en ordonnant à sa femme de retourner chez ses parents pour leur demander de repenser l’énigme pour trouver la bonne réponse : «Il fallait trouver pour la 1re qu’il n’y a pas de meilleur que des enfants qui jouent sur un tapis sous la tente, il n’y a pas non plus amer que de voir mourir un des siens, il n’y a pas plus rapide qu’une balle échappée d’un fusil». Ce conte intitulé : «Une énigme simple comme bonjour» n’est pas aussi simple qu’on le pense, étant donné les efforts à déployer pour trouver les bonnes réponses, celles qui correspondent au milieu et à la culture de la population. Chaque peuple a sa culture et ses références culturelles. Ainsi pour d’autres peuples, les réponses sont particulièrement significatives. Le meilleur serait une bonne action en faveur des pauvres dans le besoin, ce qu’il n’y a pas de plus amer qu’un malheur dans tous ses états, il n’y a pas de plus rapide qu’un éclair, sinon la lumière qui renvoie à l’idée d’amour. Ce compte se termine par un non : Ramda Ajla Ideles, qui ne semble pas être le nom de l’auteur du texte, mais le traducteur du targui en français. Il en est de même de tous les autres. Cela s’explique par des références temps, renvoie à l’idée «des temps anciens».

Des animaux en majorité sauvages comme personnages atypiques

Chaque animal présente les traits de caractère d’un homme. Les auteurs de contes comme les fabulistes font appel aux animaux pour faire jouer des comédies ou scènes de la vie réelle. «L’âne justicier» a joué admirablement son rôle. Lui-même s’est proposé pour mettre fin à un animal sauvage et ce, à la demande des notables du village. C’est un chacal habitant dans une grotte avec sa femelle ; la famille chacal fait des ravages. L’âne partit un jour en direction de la grotte et fait soin de s’allonger, faisant l’endormi devant la grotte. La femme chacal l’ayant vu la première appela son mâle, «c’est un régal qui nous a été envoyé du ciel», lui a-t-elle dit. Les deux animaux ne se nourrissent que de chair, n’avaient pas mangé depuis des jours. Le chacal s’approcha de la bête de somme quand tout à coup celle-ci, voyant le chacal derrière elle, elle lui lança une ruade qui l’envoya au loin, la tête et les membres fracassés. A ce moment, la dame chacal prit la fuite et disparut. La région venait d’être débarrassée de cette famille de carnivore qui avait semé la terreur. En guise de récompense, l’âne fut dispensé de porter des fardeaux sur son dos, pendant un an. Par ailleurs, les contes dans leur immense diversité donnent à chacun le soin de juger à bon escient des situations hors du commun, quelquefois même bizarroïdes. «Les mains touarègues» est le titre du conte qui présente un personnage étrange. Extrêmement riche, il passe son temps à compter les pièces d’or qui lui arrivaient chaque jour et à force de compter, ses doigts se sont déformés. Il possédait tout, mais cherchait tout le temps à trouver ce qu’il y a de plus que ce tout. Le riche fit appel à un sage qui lui donna de bons conseils : faire la balance entre la vie solitaire dans son univers où l’argent coule à flot et le contact humain. «Selle ton chameau et va à la rencontre des hommes». Finalement ce plus qui dépasse qu’il a cherché à trouver pour être heureux, c’est le contact humain. Les sacs d’or comptés tous les jours et l’enferment ont fait de lui un grand malheureux. Le conte se termine par le proverbe suivant : «Rapprochez vos cœurs et éloignez vos tentes».
Il n’y a point de personne qui n’ait pas besoin de l’autre, quelle que soit la distance qui sépare leur domicile. Cette histoire nous rappelle celle de «Ainsi parlait Zarathoustra» de Nietzche où Zarathoustra a décidé un jour d’aller vivre seul dans un lieu isolé et loin des hommes, à la manière de Robinson Crusoé. Au bout d’un an, Zarathoustra est devenu malheureux et il a fini par se rendre compte que pour être heureux, il faut vivre avec les autres, que l’homme est né pour vivre avec les autres, il est comme les rayons du soleil qui, du matin au soir réchauffe les autres. Quant à ces contes touaregs, il faut leur consacrer un temps suffisant de réflexion pour comprendre qu’ils sont porteurs de sens. On a tort de les négliger, comme on a négligé tous les contes, légendes maximes, adages, proverbes des autres régions d’Algérie, ils représentent toute la sagesse populaire de chez nous, produit du génie du peuple. Ces contes remontent aux temps anciens, peut-être même à des millénaires en arrière, l’expression. Il y a bien longtemps vivait un homme immensément riche et puissant qui sert d’entrée au conte «Les mains touarègues» est significatif à ce sujet. «Les voyages forment la jeunesse» est le titre d’un de ce recueil. Deux voyageurs décident de partir au loin pour voir du monde. En chemin, ils se jaugent et découvrent qu’ils sont l’un trop intelligent et l’autre rusé. Il s’agit d’un chien et d’un chacal qui partent pour un long voyage. En chemin, ils rencontrent un ours. Et pour lui échapper, il a fallu faire appel à la ruse du chacal. Les deux animaux symbolisent les hommes comme tous les animaux sauvages et domestiques qui ont joué des rôles difficiles dans les contes et les fables pour faire allusion aux hommes.
Abed Boumediene Contes touaregs, Veronique Laghy Delatour, interprète : Slimane Ajla Ed. la Serge des Hespérides, 176 page, 2013.