Dépassionner les relations afin de favoriser une prospérité partagée

Coopération entre l’Algérie et la France via l’Europe

Malgré des divergences ne devant pas occulter la mémoire indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France, deux partenaires stratégiques, il fallait s’attendre à ce que le rapport du professeur Benjamin Stora soulève des passions, les cicatrices étant encore vivaces.

Cependant, tout en évitant d’instrumentaliser l’histoire pour des intérêts étroits, n’ayant de leçons de patriotisme à recevoir de personne, issu d’une grande famille de révolutionnaires, feu mon père ayant été emprisonné entre 1958/1962 à El Harrach et Lambèse, il s’agit comme je l’ai souligné il y a quelques années (2014) lors d’une conférence, au Sénat français à l’invitation de mon ami, du professeur Jean Pierre Chevènement ex-président de l’association Algérie/France et grand défenseur de l’Algérie, de dépassionner les relations afin de favoriser la stabilité des deux rives de la Méditerranée et de préparer ensemble notre avenir à l’horizon 2030, où l’on devrait assister à une profonde reconfiguration géostratégique au niveau de la région, ce qui nous impose d’entreprendre ensemble.

1- C’est que l’Europe via la France, malgré une baisse sensible des relations commerciales, reste un partenaire clef pour l’Algérie comme en témoigne la structure du commerce extérieur de l’Algérie pour 2019 et 2020. En 2019, la France était le 1er client de l’Algérie (14% du total), devant l’Italie (13%) et l’Espagne (11%). La Chine était en 2019 le 1er fournisseur de l’Algérie (avec une part de marché de 18%), suivie par la France (10%) et l’Italie (8%). Pour 2020, sur la liste des pays fournisseurs de l’Algérie, la France occupe la première place parmi les pays de l’UE avec 10%, suivie de l’Italie (7%), l’Allemagne (6,5%) et l’Espagne (6,2 %) contre 17% pour la Chine. En matière d’exportations, l’Italie est le premier client de l’Algérie avec un taux de 14,5% suivie de la France (13,7%) et l’Espagne (10%) contre 9% pour la Turquie et 5% pour la Chine. L’UE demeure le principal partenaire stratégique de l’Algérie en 2020 avec plus de 57%, alors qu’en 2020 les échanges commerciaux avec les pays africains ne dépassent pas les 3 milliards de dollars (1,5 Mds pour les exportations et 1,5 Mds pour les importations). Face à ces données du commerce extérieur, il faut reconnaître que les relations économiques entre l’Algérie et la France, malgré des discours de bonnes intentions, sont loin des attentes entre les deux pays se limitant essentiellement aux hydrocarbures pour la partie algérienne, les services notamment bancaires, l’agroalimentaire, les produits pharmaceutiques et les produits issus de l’industrie automobile pour la partie française, alors que les potentialités sont énormes. Il y a effectivement des aspects politiques qui freinent ces échanges. Certes les échanges commerciaux sont appréciables mais ils demeurent figés dans leurs structures, dérisoires comparés aux exportations et importations des deux pays. La France dans bon nombre d’affaires en Algérie est devancée par l’Italie et la Chine qui prennent des parts de marché de plus en plus importants. Mais les relations ne se limitent pas aux aspects économiques Sur le plan géostratégique, pour la France, l’Algérie est un acteur déterminant de la stabilité régionale et de l’approvisionnement en énergie de l’Europe. Dans plusieurs rapports entre 2018/2020 les autorités françaises ont tenu à souligner qu’ avec les tensions au niveau de la région qui influent par ricochet, sur la France via l’Europe, les autorités algériennes contribuant à la stabilisation de son voisinage immédiat, notamment au Sahel et que l’Algérie demeure un acteur-clé au niveau régional et international pour la sécurité. L’effort continu, de modernisation des équipements, ainsi que les nombreux effectifs de sécurité dont l’Algérie dispose, ont permis au pays de contrer de façon efficace les menaces terroristes. L’évolution de la crise libyenne, malienne et la situation complexe dans la région du Sahel ont amené l’Armée nationale populaire (ANP) à déployer des forces de sécurité supplémentaires aux frontières.

2- Dans le domaine économique, tous les pays, tout en respectant les accords internationaux, protègent une partie de leur production nationale grâce à l’Etat régulateur stratégique en économie de marché, pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques, à ne pas confondre avec le retour à l’Etat gestionnaire de l’ex-économie soviétique, comme le montrent les décisions récentes de bon nombre de pays développés et émergents avec l’impact de l’épidémie du coronavirus. Dans ce cadre l’Algérie entend lever les obstacles à la règle des 49/51% qui bloque l’attrait de l’investissement étranger ainsi que la lutte contre la bureaucratie et la corruption qui freinent l’attrait de l’investissement tant local qu’étranger. Sur le plan énergétique, l’Algérie à travers les canalisations Medgaz et Transmed est un acteur stratégique pour l’approvisionnement en énergie tant de la France que l’Europe. (voir nos interviews à l’American Herald Tribune du 28 décembre 2016 et au quotidien financier français la Tribune.Fr février 2017 et le 10/08/2020 à la télévision américaine Al Hurra. L’essentiel pour l’Algérie est de favoriser une accumulation de savoir-faire managérial et technologique, grâce à un partenariat gagnant-gagnant, l’Etat pouvant détenir des minorités de blocage pour des segments stratégiques, l’objectif étant une valeur ajoutée interne positive.. Et ce afin de mettre fin à la faiblesse du tissu productif en Algérie, l’économie algérienne étant une économie foncièrement rentière 98% d’exportations d’hydrocarbures brut et semi bruts et important plus de 80% pour les besoins des entreprises et des ménages. Mais ne soyons pas utopiques. Dans la pratique de affaires il n’y a pas de fraternité, de sentiments et l’Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c’est le cas de la France , les opérateurs qu’ils soient arabes, algériens chinois, français ou américains étant mus par la logique du gain et ils iront là où les contraintes socio- politiques et socio- économiques sont mineurs , ils peuvent réaliser ce profit maximum. Il faut être conscient que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d’Etat mais sur des réseaux décentralisés à travers l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération.

3- L’Algérie, sous réserve d’une meilleure gouvernance, de la valorisation du savoir, richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures, et de la levée des contraintes d’environnement et une plus grande visibilité et cohérence dans la politique socio-économique, évitant l’instabilité juridique et monétaire, a les potentialités pour passer d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures et devenir un pays pivot au sein de l’espace euro-méditerranéen et africain (notre interview American Herald Tribune USA 2018). L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen- Orient, la taille du marché intérieur estimée à environ plus de 44 millions de consommateurs, des richesses naturelles importantes, des ressources humaines, un endettement extérieur inférieur à 6 milliards de dollars et des réserves de change bien qu’en baisse, 44 milliards de dollars fin 2020 selon les prévisions du gouvernement (loi de finances 2020). N’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne dans le monde et notamment en France. Quelque soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile. Cependant, en cette ère de profondes mutations géostratégiques, économiques, sociales, cultuelles au niveau mondial, avec la consolidation des grands espaces, il est dans l’intérêt de tous les pays du Maghreb d’accélérer l’intégration économique, étant suicidaire de faire cavalier seul, si l’on veut attirer des investisseurs potentiels intéressés non par des micro- espaces mais par un marché de plus de 100 millions d’habitants. Dans une contribution parue le 28 avril 2011 à l’Institut français des Relations Internationales (IFRI) de Paris, France sous le titre «La coopération Europe/Maghreb», j’avais mis en relief que les échanges intra maghrébines ne dépassaient pas 3%, les résultats mitigés du processus de Barcelone, posant l’urgence d’une nouvelle conception des relations internationales. J’ai soutenu que l’espace qui me semblait le plus à même d’être opérationnel à moyen terme au niveau de la Méditerranée orientale est l’espace des 5+5+ Allemagne afin de réaliser une prospérité partagée conciliant développement et démocratie tenant compte des anthropologies culturelles et grâce à la société civile (réseaux décentralisés) qui à cote des Etats , des institutions internationales sera le vecteur dynamisant au XXIe siècle. Et dans une autre étude parue à l’IFRI en décembre 2013 «Les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb», j’avais posé l’urgence d’intégrer d’une manière intelligente cette sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui enfante la corruption, loin des mesures bureaucratiques autoritaires, qui contrôle une part importante de la masse monétaire en circulation et des activités économiques dépassant largement les 50%, limitant toute la politique économique des Etats, encore que servant de tampon social. En bref, l’intensification de la coopération entre l’Algérie et la France devant tenir compte de l’inévitable transition numérique et énergétique est souhaitable dans l’intérêt bien compris de chacun des deux pays qui doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale. La symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident, le dialogue des cultures et la tolérance sont sources d’enrichissement mutuel. Les derniers événements devraient encore mieux nous faire réfléchir, évitant cette confrontation des religions car autant, pour ne citer que les grandes religions monothéistes, l’islam, le christianisme que le judaïsme ont contribué fortement à l’épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d’extrémisme, populations juives et musulmanes notamment ayant cohabités pendant des siècles . Il ne s’agit nullement d’occulter la mémoire indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France. Il s’agit, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer ensemble l’avenir par le respect mutuel. Pour ma part, j’ai toujours souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée sous la vision d’un simple marché et qu’il faille favoriser un partenariat gagnant-gagnant. Et c’est dans ce cadre que doit rentrer la coopération entre l’Algérie et la France, qui pourrait inclure bien d’autres domaines que l’Economique, loin de tout préjugé et esprit de domination.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul