Evolab-Industrie pharmaceutique entre ambitions et contraintes bureaucratiques

Focus sur l’actualité économique

A la faveur de la crise sanitaire de la pandémie de la Covid-19 et des pistes de recherche de solutions en Algérie pour en sortir, l’industrie pharmaceutique réoccupe le devant de la scène économique.

On parle ainsi le plus sérieusement du monde de capacités nationales de fabrication locale de vaccins anti-Covid-19 à partir d’ententes avec des partenaires étrangers, en particulier le laboratoire russe Gamaleya, producteur du vaccin anti-Covid-19 et fournisseur effectif à notre pays d’une première livraison de 50.000 doses, histoire, au passage, de respecter dans les délais les instructions présidentielles émises pour organiser et lancer une campagne de vaccination générale, avant la fin du mois de janvier 2021. C’est désormais fait. C’est là une ambition légitime de l’industrie pharmaceutique nationale, mais cela risque d’être l’arbre qui cache la forêt, comme on dit souvent s’agissant de situations où la réalité s’éloigne des descriptions officielles qu’on lui colle, pour une raison ou une autre. Cette réalité, vous la palpez de près en visitant les fabricants de médicaments in situ dans leurs usines. C’est le cas d’Evolab-Industrie pharmaceutique, laboratoire pharmaceutique située dans la commune d’El-Bouni dans la wilaya d’Annaba. Cette entreprise de production pharmaceutique lancée en 2014 avec l’ambition de produire vingt molécules de médicaments pour le traitement de différentes pathologies n’a pas fini, à ce jour, de manger son pain noir et ce n’est pas l’apparition du Coronavirus, il y a de cela une année, qui a arrangé les choses, loin s’en faut. Aujourd’hui, Evolab-Industrie pharmaceutique livre une vraie bataille commerciale et de positionnement sur le marché pour se maintenir, malgré les difficultés colossales qui existent sur le marché du médicament où d’énormes barrières à l’entrée existent, qu’elles soient d’ordre formel ou d’ordre occulte. Le commun des mortels sait et a entendu souvent parler du «monopole des barons du médicament» qui régulait «à leur manière» ce marché orienté essentiellement vers l’importation et les revenus colossaux qu’elle génère pour ceux qui en maîtrisent les règles non écrites. Ce contexte verrouillé n’a pas découragé des entrepreneurs ayant le goût du risque de se lancer et de tenter leur chance. C’est le cas de Hami Med Tahar, fondateur d’Evolab en 2014, qui a organisé son affaire sous forme de SARL et l’essentiel de son temps, il le passe à essayer de satisfaire les exigences règlementaires pour obtenir le fameux sésame, la décision d’enregistrement (DE dans le jargon du secteur) qui vous permet de lancer la production d’une molécule et qui est une résultante d’un processus bureaucratique complexe où interviennent depuis une date récente le ministère de l’Industrie pharmaceutique et l’Agence nationale des produits pharmaceutiques dans un processus combiné où la décision a une seule caractéristique : elle est centralisée à Alger. Ces difficultés et lenteurs bureaucratiques font que ce laboratoire pharmaceutique produit seulement deux médicaments en 2021 et a reçu la DE pour deux autres en attente de l’autorisation d’importation des molécules de base, les approvisionnements en matière première dans ce secteur et dans beaucoup d’autres, ont été fortement perturbés par la crise sanitaire de la Covid-19. Cette situation inattendue a mis l’entreprise dans une situation financière très tendue avec une chute de 80% de son chiffre d’affaires et une incapacité avérée à honorer dans les délais impartis les échéances bancaires de remboursement de son crédit d’investissement auprès de sa banque domiciliataire, le CPA, comme cela ressort d’une lettre adressée au wali d’Annaba le 1er février dernier et dans laquelle il est fait expressément des difficultés que connaît l’entreprise en termes francs. «La société a été impactée en plein fouet par la pandémie du Covid-19, incidence immédiate : une baisse de 80% du chiffre d’affaires et un recul considérable des ventes. Nos engagements bancaires dont les mensualités sont importantes ne sont pas respectées, suite à la situation faible de notre trésorerie» Cette situation, comme il est dit dans cette missive remise en mains propres au wali d’Annaba, a entraîné une «détérioration de la confiance mutuelle entre nous en tant qu’opérateur économique et la banque». «L’entreprise arrive, malgré cela, à maintenir en poste un effectif inchangé de 70 personnes dont les compétences-clés sont de formation scientifique élevée en pharmacie et en biologie notamment. Evolab a mis sur le marché une série de compléments alimentaires, non soumis à la DE, très appréciés par sa clientèle, lui permettant d’augmenter son chiffre d’affaires et de combler, un tant soit peu, le manque à gagner induit par les retards en matière d’enregistrement des molécules de médicaments prescrits par les médecins dans le cadre de la nomenclature des médicaments agrées par l’ANPP. Au fond, les problèmes que connait Evolab-Industrie pharmaceutique sont symptomatiques du mal organisationnel que connaît la Pharmacie en Algérie et que l’on retrouve un peu partout, surtout dans les laboratoires de création récente, comme c’est le cas de cette entreprise de la wilaya d’Annaba. Ces problèmes peuvent être dépassés en levant les obstacles bureaucratiques dans un marché très réglementé, et c’est normal quand il s’agit de santé publique. Ceci n’empêche pas de réfléchir à des formes d’organisation de l’Autorité sanitaire fondée sur les principes de décentralisation de la décision d’enregistrement, de régionalisation de l’ANPP en rapprochant ses structures des opérateurs pharmaceutiques sur une base territoriale géographiquement optimisée, enfin une débureaucratisation tous azimuts de l’industrie pharmaceutique en dotant le ministère de l’Industrie pharmaceutique des moyens de sa politique déclarée, celle qui consiste à développer cette industrie-clé sur une base nationale où la synergie entre public et privé ne serait plus un vain mot. Au service du citoyen qui doit trouver le médicament dont il a besoin à tout moment et en tout lieu, à commencer par l’officine de son quartier. C’est le sens d’une cartographie des besoins à mettre en œuvre en toute urgence. En aidant les opérateurs économiques à y contribuer par leurs investissements, même si le retour sur investissement dans ce secteur ne relève pas du court terme. La bureaucratie y est pour quelque chose. Les opérateurs du secteur vous en diront un mot. Et plus !
Abdelali Kerboua