Bilan et perspectives 2021/2024

Situation économique et sociale en Algérie

L’épidémie du coronavirus et la chute du cours des hydrocarbures a mis en évidence la vulnérabilité de l’économie algérienne assise essentiellement sur la rente des hydrocarbures qui irrigue toute la société. Dire qu’aujourd’hui que la situation économique et sociale en Algérie est préoccupante constitue un euphémisme, expliquant actuellement les vives tensions sociales (voir notre interview parue dans le quotidien international lemonde.fr Paris- 05/02/2021).

L’illusion d’une rente éternelle vivant de l’illusion de la rente éternelle, du fait d’une panne d’idées ne peut que conduire le pays à l’impasse.

1- Quelle est la situation de l’économie algérienne ?
Le constat de la situation actuelle concerne la gouvernance où les différents scandales financiers en Algérie, touchent l’ensemble des secteurs publics et privés, dépassant souvent l’entendement humain du fait de leur ampleur. Un ancien Premier ministre ayant présidé aux destinées du pays pendant plus de 20 ans qui demandait à la population l’austérité, déclare publiquement qu’il se livrait à la vente de lingots d’or au marché noir suite aux cadeaux reçus de l’étranger pour services rendus, accentuant le divorce Etat-citoyens. Ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l’Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures où le président de la République Abdelmadjid Tebboune récemment en janvier 2021 a mis en relief le résultat mitigé de l’action gouvernementale. Aussi, s’impose une nouvelle politique et la moralisation de la société du fait que la corruption constitue un frein à l’investissement national ou international créateur de valeur ajoutée Selon Transparency International dans son rapport de janvier 2021 pour l’Algérie, la majorité des institutions administratives et économiques sont concernés par ce cancer de la corruption.
L’on sait que les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un «haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé, et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. Qu’en est-il du classement sur la corruption de l’Algérie de 2003 à 2020 : 2003 : 88e place sur 133 pays ; 2010 : 105e place sur 178 pays ; 2015 – 88e sur 168 pays ; 2019 – 106e sur 180 pays. Pour le rapport de janvier 2021, pour 2020, l’Algérie est classée à la 104e place sur 180 pays avec une note de 36 sur 100. Sur le plan de la situation financière, la balance commerciale connaît une détérioration avec le risque de se dégrader au fur à mesure que le dinar algérien se déprécie, le prix du baril baisse et l’investissement public réduit, encore qu’il faille tenir compte de la balance des paiements la sortie de devises des services ayant fluctué annuellement entre 2010/2019 de 10/11 milliards de dollars.
Cependant, la dette publique globale (intérieure et extérieure) est relativement faible permettant encore des marges de manœuvres. La dette publique totale est passée de 10,5% du PIB en 2015 à 22,9% en 2016, 37% en 2018 et 48,6% en 2019. Le stock de la dette extérieure est passé de 21,1 milliards de dollars (33,1% du PIB) en 1986 à 29,5 milliards de dollars (70% du PIB) en 1994 et 17,9 milliards (17,4% du PIB) en 2005 et à 5,7 milliards (2,3% du PIB) en 2019. Quant au service de la dette, il était de 9 milliards de dollars (82% du PIB) en 1994 à 5,5 milliards (16,7% du PIB) en 2005 et 0,2 milliards (2,1% du PIB) en 2019.
Quant à l’évolution des réserves de change elles ont évolué ainsi :
– 1999 : 4,4 milliards de dollars,
– 2005 : 56,2 milliards de dollars,
– 2008 : 143,1 milliards de dollars,
– 2009 : 147,2 milliards de dollars,
– 2010 : 162,2 milliards de dollars,
– 2011 : 175,6 milliards de dollars,
– 2012 : 190,6 milliards de dollars,
– 2013 : 194,0 milliards de dollars,
– 2017 : 97,33 milliards de dollars,
– 2018 : 79,88 milliards de dollars,
– 2019 (avril) : 72,60 milliards de dollars fin 2019 : 62 milliards de dollars,
– fin 2020, avant l’épidémie du coronavirus, les prévisions de la loi de finances complémentaire sont de 44,2 milliards de dollars contre 51,6 prévu dans la loi initiale Le FMI avant la crise prévoyait 33,8 milliards de dollars fin 2020, le trésor français 36 milliards et fin 2021, début 2022, entre 12/13 milliards de dollars.

Selon le rapport de la banque mondiale de janvier 2021, les réserves de change, contredisant les prévision du PLF 2021,pour 2021/2013, sont de 19,2 mois d’importation en 2017, 15,5 mois en 2018, 13,6 en 2020, des prévisions de 5,7 mois d’importation en 2021 et 3 mois d’importation en 2022 donc une cessation de paiement courant le premier semestre 2022. Sur le plan budgétaire le PLF2021 prévoit les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) qui se situent à environ 64,98 milliards de dollars au cours de 128 dinars un dollar au moment de l’établissement de la loi. Les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) sont estimées à 41,62 milliards de dollars, soit un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du Trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB.
Concernant le taux de croissance, le produit intérieur brut (PIB) à prix courants, devant noter que la valeur du PIB en dinars ou dollars courants pouvant être trompeuse de plusieurs manières, en particulier lors de comparaisons entre deux ou plusieurs années, pouvant être peut gonflée à cause de l’inflation, ou l’inverse à la baisse à cause de la déflation et pour l’Algérie en monnaies étrangère du fait de la dévaluation du dinar, a évolué de 2000 à 2020
– 2000 5,0%
– 2005, 6,1%
– 2010,
– 2015 3,7%
– 2018, 1,4 %
– 2019, 0,8%.
Et en 2020 moins 6,5%, donc une croissance inférieure à la pression démographique, selon la Banque mondiale dans son rapport du 21 janvier 2021, pour 2021, +3,8% et 2,1% en 2022, l’industrie représente moins de 6% du PIB entre 2019/2020 et la majorité du tissu économique est constitué de PMI/PMI peu innovantes, ne maitrisant pas les nouvelles technologies. Selon les données du ministère de l’Industrie et des Mines, de novembre 2019, à la fin du premier semestre 2019, une grande partie du tissu économique est constituée de PMI-PME au nombre de 1.171.945 entreprises dont 99,98% pour le secteur privée, les sociétés par actions sont moins de 5%. Les personnes morales –secteur privé, souvent de petites Sarl, sont au nombre de 659.573, les personnes physiques 512.128 dont 243.759 professions libérales, 268.369 activités artisanales et pour le secteur public 344 personnes morales. Par taille 97% sont des TPE de moins de 10 salariés (1.136.787 unités) 2,6% entre 10 et 49 salariés, avec 30.471 et seulement 0,4% avec 4.688. Or contrairement à certains commentaires ignorant les règles élémentaires de l’économie, un taux de croissance positif en T1 en référence à un taux de croissance négatif en t0 donne un taux de croissance faible, pour l’Algérie en 2021 entre 0 et 1% en termes réel.
C’est que nous avons assisté à la non-proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen malgré une recette en devises ayant dépassé les 1.000 milliards de dollars entre 2000/2019 et une importation de biens et services en devises ayant dépassé les 935 milliards de dollars (le solde étant les réserves de change au 31/12/2019) sans compter les dépenses internes en dinars en moyenne 2/3% alors qu’il aurait dû dépasser les 8/10% :mauvaise gestion ou corruption ou les deux à la fois. Si l’on applique un taux de surfacturation de 15% pour la partie devises, entre 2000/209 les sorties illicites de capitaux dépasse les 140 milliards de dollars soit trois fois les réserves de change au 31/12/2020 Aussi ces indicateurs économiques sont fonction des déterminants du cours des hydrocarbures où le cours actuel du Brent coté le 04 février 2021 à 59,03 dollars le Brent et 55,47 dollars le Wit est cependant volatil les investisseurs se montrant préoccupés par les signaux, même faibles, d’un retour du Covid-19 en Chine et avec plus d’intensité aux USA et en Europe.
Selon le rapport du ministère de l’Energie de janvier 2021, le chiffre d’affaires de Sonatrach non inclus les dérivées, à ne pas confondre avec le profit net, devant retirer les couts et la part des associés, a été fin 2020 de 20 milliards de dollars, et 22 milliards de dollars avec les dérivées, avec avec une forte baisse en volume physique,(moins 11%). Les revenus de l’Etat, ont été au cours de 128 dinars un dollar de 14,5 milliards de dollars de fiscalité pétrolière versé au Trésor public durant l’année 2020, en baisse de 31% rapport au montant de 2019. Pour la Banque mondiale le secteur des hydrocarbures représente 94 % de ses exportations de produits 98% et l’équilibre budgétaire, est estimé à 106,3 dollars entre 2020/2021, la BM prévoyant 42 dollars en 2021 48 dollars en et 2022, et pour 2022, le ministre de l’Energie annonçant 60 dollars, pour 2021, écart énorme.
Dans ce contexte d’incertitude, avec ce manque de visibilité de la politique socio économique, une bureaucratie étouffante qui enfante la corruption et la sphère informelle (plus de 50% de l’activité économique et 33% de la masse monétaire en circulation avec des banques déstructurées qui croûlent sous le poids des créances douteuses et la majorité des entreprises publiques structurellement déficitaires, avec des comptabilités défectueuses, il est illusoire d’attirer tant l’investissement local à forte valeur ajoutée que l’investissement étranger et encore moins comme annoncé par les pouvoirs publics de dynamiser la privatisation partielle avec une bourse en léthargie où l’on a construit un stade sans de véritables joueurs. L’Algérie, avec l’accroissement des dépenses improductives, ne peut continuer à naviguer à vue sans vision stratégique, à fonctionner sur la base d’un cours supérieur à 100 dollars le baril, où selon le FMI le cours budgétaire inscrit dans les différentes lois de finances 30 à 40 dollars étant un artifice comptable, le prix d’équilibre était estimé de 104,6 dollars en 2019 et à plus de 110 dollars pour les lois de finances 2020/2021.

2- Qu’en est-il de la dévaluation du dinar et l’impact sur le pouvoir d’achat ?
Selon le rapport de la banque mondiale de janvier 2011, le produit intérieur brut par habitant est passé de 4.077 dollars en 2017 à 4.120 dollars en 2018, à 3.942 dollars en 2019 et 3.232 en 2020, étant prévu à 3.323 dollars en 2021 et à 3.534 dollars en 2022 traduisant une détérioration du pouvoir d’achat, encore que le PIB par tète d’habitant voile d’importantes disparités par couches sociales. Comme plus de 85% des entrants des entreprises privées et publiques proviennent de l’extérieur ainsi qu’’une grande partie de la consommation des ménages, la dévaluation du dinar induit un processus inflationniste qui se répercute également sur le pouvoir d’achat.
Ainsi, la cotation du dinar est passée en 1970, à 4,94 dinars un dollar, en 1980 à 5,03 dinars un dollar, en 1990 : à 12,02 dinars un dollar, en 1995 à 47,68 dinars un dollar, en 1999 : 66,64 dinars un dollar,
-2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro,
– 2010 : 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro,
– 2015 : 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro,
– 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro,
– 2019 : 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro,
– 04 février 2021 à 133,3555 dinars et 160,0775 dinars un euro et pour le PLF2021 : 142 dinars pour un dollar en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023.
Donc, il n’y pas de signe d’amélioration de la situation économique et devant assister à l’amplification de l’inflation du fait que la rentabilité d’un projet PMI/PME ne peut avoir lieu pas avant trois années et 7/8 années pour les projets hautement capitalistiques si le projet est mis en œuvre en 2021.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul
(A suivre)