Enfin, une bouée de sauvetage !

Le fonds d’aide à la presse

Une question s’impose d’elle-même dans ce contexte où la presse broie du (papier) noir sans arriver à espérer des jours meilleurs, tant il est vrai qu’en la matière, chaque jour qui arrive rapproche la corporation de l’état de morbidité qui pourrait rendre sa fin irréversible : qui a intérêt à voir une presse à ce point affaiblie dans un contexte de turbulence interne et de menaces externes majeures ? Personne sans doute, sauf ceux qui croient bien faire, mais ne savent pas y faire, en intégrant l’entreprise de presse, à travers des mesures fiscales et parafiscales, dans la sphère économique.

Mais une éclaircie semble se profiler dans ce ciel de grisaille, la décision de débloquer le fonds d’aide à la presse qui est, à n’en pas douter, une mesure salutaire et la preuve que cette activité de valence culturelle et politique, ne saurait être une valeur marchande qu’on peut impunément destiner à la faillite. Il reste à définir le mode d’affectation du fonds d’aide, qui pourrait, sans tout à fait suffire à lui seul, à combler le gouffre qui sépare la corporation des conditions de sa viabilité économique et sociale, financer une partie du coût du fil Aps, les télécommunications, l’internet et, pourquoi pas aussi, les loyers des maisons de la presse dont les montants sont devenus désormais ruineux pour les éditeurs. Faut-il rappeler, en passant, que la seule fois où le fonds d’aide à la presse a été activé, il le fut par Ouyahia pour régler les dettes des chambres sécuritaires dont 80% étaient détenues par les journalistes de la télévision et de la radio nationales. Le fonds fut ensuite de nouveau bloqué sur décision de Sellal en 2014.
Il faut, par ailleurs, se faire définitivement une raison : la presse ne gagne pas d’argent, car le produit médiatique ne se vend pas, il se propose plutôt sur la bourse des valeurs culturelles et politiques sous sa forme pluraliste, laquelle forme a toujours mis, dans un dialogue intelligent et pacifique, les différentes sensibilités qui composent notre nation. Quel budget faut-il annuellement pour faire tourner, dans un circuit dynamique, les entreprises de presse et les imprimeries, tout en préservant les milliers d’emplois ? Voilà ce à quoi il convient de réfléchir, entre autres enjeux. Un profond malentendu s’est fait jour il y a des années, auquel a redonné goût aujourd’hui une espèce de chasse aux sorcières, ou une chasse aux niches fiscales à tout prix, mêlant torchons et serviettes, aventures commerciales et aventures intellectuelles. Il faut revoir le statut de l’entreprise de presse, cesser de lui faire payer un pourcentage au profit du cinéma, cesser de lui imposer la double déclaration CNAS qui est hors-la-loi, cesser de lui imposer un pourcentage à la formation, elle qui rattrape les déficits en formation de ses recrues depuis des décennies, et ramener sa tva à 7%, le gros de la publicité étant des avis d’appels d’offres qui coûtent cher aux communes.
Il faut cesser, enfin, de croire que l’épave qu’est aujourd’hui l’entreprise de presse puisse servir de bouée de sauvetage pour d’autres secteurs. Ces mesures accumulées peuvent soulager les épaules des entreprises de presse de la surpression qui s’exerce sur eux des nombreux fronts, faisant d’elles des entités surendettées, fuyant sans cesse en avant, incapables de croître, incapables d’espérer des lendemains meilleurs, incapables de recruter. Bref, condamnées à la lassitude et à la disparition. Vouloir financer la formation des journalistes par le fonds d’aide à la presse, c’est tacitement reconnaître la faillite des cursus universitaires qui forment chaque année des milliers de journalistes et de spécialistes de la communication dans toutes les universités et facultés du pays. Pour revenir à la Maison de la presse et au loyer prohibitif qu’elle a décidé de demander aux éditeurs, une solution peut être trouvée, sachant que la Maison de la presse a besoin de couvrir ses charges globales, le montant suffisant pour cela étant de deux milliards de centimes annuellement qui seraient versés par le fonds d’aide, et de la sorte canaliser les aides au lieu de les placer dans des créneaux où elles seraient atomisées, voire difficilement traçables.
Dans un autre registre, la distribution, grand chantier à cause duquel le fisc se tourne à tort vers les éditeurs au sujet du volume des ventes, est entre les mains d’individus – autrefois de véritables nababs de la distribution qui dictaient leurs lois informelles – qui tentent aujourd’hui de vivoter dans une activité où leur seule chance de s’en sortir est de vendre le journal au kilogramme. En laissant, dès le départ, la distribution entre les mains de personnes non identifiées, non fiscalisées, on a abandonné le secteur de la presse papier à l’informel ; ce qui a induit, à terme, l’émergence des titres à gros tirages aux dépens des titres à petits tirages, ces distributeurs favorisant leurs marges aux dépens du pluralisme médiatique qui n’était pas à leurs yeux une valeur lucrative. C’est dire que la presse écrite est en train de jouer sa survie en espérant trouver auprès des pouvoirs publics – c’est déjà le cas du Président – l’écoute et l’intelligence nécessaires afin d’imaginer et d’appliquer les solutions qu’il faut à tous les problèmes qui empêchent cette jeune presse de continuer à accompagner, efficacement, la marche de l’Algérie vers plus de démocratie et de progrès économique et social.
Larbi Balta