Les Tunisiens dénoncent l’ingérence de la France

Crise politique et économique en Tunisie

La Tunisie est dans une impasse politique depuis plus d’un mois. Le 5 janvier 2021, Hichem Mechichi décidait de limoger le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine et d’assurer l’intérim de ce poste. Charfeddine est un des responsables les plus proches du Président Kaïs Saïed, qui n’a pas du tout apprécié la mesure prise par son chef du Gouvernement qu’il avait nommé six mois auparavant. Le 16 janvier, Hichem Mechichi est revenu à la charge et a annoncé un remaniement ministériel qui touchait 11 portefeuilles sur les 25 que compte le Gouvernement. Pour le Président tunisien, cette mesure a sonné comme une déclaration de guerre.

Si les 11 nouveaux ministres ont obtenu la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple dirigée par Rached Ghanouchi président du parti islamiste Ennahda devenu le principal allié de Hichem Mechichi, ils ne peuvent prendre leurs fonctions sans passer par le devoir de prêter serment devant le Président de la République qui a refusé catégoriquement leur promotion en reprochant à Mechichi d’avoir nommé uniquement des hommes dont certains font même l’objet de soupçons de corruption. Une chose est certaine, le Président de la République ne peut pas sortir de la Constitution. «Cela aurait des conséquences terribles car il y a un risque de plonger le pays dans la guerre civile et le chaos», a fait savoir un constitutionnaliste. Selon des sources médiatiques de nombreux tunisiens sont furieux et en colère dans la situation actuelle que traverse le pays.

«La France n’a rien à voir dans nos affaires»
«Occupez-vous de vos problèmes!». Des dizaines et des dizaines de Tunisiens ont répondu présents à l’appel de la «Campagne tunisienne pour le boycott et la lutte contre la normalisation avec l’entité sioniste» pour manifester devant l’ambassade de France contre son ingérence dans les affaires internes du pays. Samedi 13 février 2021 une grande manifestation a eu lieu devant l’ambassade de France à Tunis à l’initiative de l’organisation dépendance communiste. D’après une vidéo publiée sur Facebook, les porte-paroles de l’organisation dénoncent «l’ingérence de la France dans les affaires intérieures de la Tunisie», suite au soutien apporté par Jean-Yves Le Drian au chanteur tunisien Noomane Chaari violemment attaqué dans son pays. Ce dernier avait annoncé en juillet 2020 le projet d’une chanson avec l’artiste israélien Ziv Yehezkel intitulée «Paix entre voisins», et dont la publication du clip sur YouTube le 10 décembre a déclenché un tollé en Tunisie. «La France, un pays colonialiste!», lançaient-ils d’une seule voix. Ainsi, rassemblés sur l’avenue Habib Bourguiba, les manifestants estiment que la France n’a pas réussi à se réformer et à réinventer une nouvelle diplomatie loin des sentiers battus de son histoire coloniale. «La France est toujours la même, un pays colonialiste!», scandent-ils. Intervenant sur la place où se déroulait le rassemblement, Ghassen Ben Khelifa, un porte-parole de la campagne, rappelle «le soutien déplacé apporté par Michèle Alliot-Marie en sa qualité de ministre française des Affaires étrangères, au régime de Ben Ali contre les manifestants qui réclamaient son départ lors de la révolution de 2011. À ce titre, il a dénoncé l’achat de dizaines de blindés et de voitures 4X4 en France, destinés à réprimer les manifestations en Tunisie. Rappelant le combat mené par tous les mouvements anti-impérialistes dans le monde, M. Ben Khelifa a assuré que les Tunisiens ne se soumettront jamais, tout comme leurs aïeux, au néocolonialisme et à ses laquais à l’intérieur de la Tunisie. «Occupez-vous de vos problèmes!» De son côté, Hassan Benyahia, autre porte-parole de l’organisation, a demandé à Jean-Yves Le Drian de cesser toute ingérence en Tunisie. «Occupez-vous de vos problèmes», lance-t-il, soulignant que la Tunisie est un pays souverain et ses enfants sont bien capables de s’en occuper seuls. Par ailleurs, le militant a dénoncé le soutien apporté par le chef de la diplomatie française à un chanteur inconnu en mal d’audience en Tunisie et met au défi la France, si elle est sincère dans sa démarche, d’encourager la normalisation des pays arabes avec Israël, de libérer, immédiatement et sans condition, le militant pro-palestinien d’origine libanaise, Georges Ibrahim Abdallah, détenu illégalement depuis 2001 dans les prisons de l’Hexagone. En décembre 2011, dans un entretien accordé à France 24, Yves Bonnet, patron de la DST au moment de l’arrestation de Georges Ibrahim Abdallah, évoquait le rôle joué par les États-Unis et Israël dans son maintien en détention. La France a subi tout au long de cette affaire d’énormes pressions diplomatiques pour que celui qui a assassiné non pas des diplomates, mais en réalité un agent de la CIA et un membre du Mossad en France, dans le sillage des massacres de Sabra et Chatila, reste en prison, souligne-t-on. «Il faut se souvenir du contexte, aussi, des massacres de Sabra et Chatila, dont les coupables n’ont jamais été punis», ajoutait-il, regrettant qu’aujourd’hui, la France garde cet homme derrière les barreaux alors qu’elle a libéré Maurice Papon. Le 2 février 2021, dans une lettre adressée au sénateur Richard Yung en réponse à sa question sur la situation du chanteur tunisien, Le Drian écrit : «Les menaces auxquelles Noomane Chaari fait face ne sont pas tolérables. Nous ne ménageons pas nos efforts pour faire connaître notre position à cet égard, notamment dans le cadre de nos contacts avec les autorités tunisiennes». Avant d’ajouter que «l’œuvre de Chaari est particulièrement bienvenue, car elle contribue au rapprochement des peuples à travers les échanges culturels, et cela malgré la défiance qui a pu prévaloir pendant plusieurs décennies entre Israéliens et Arabes, et qui persiste encore malgré la dynamique de rapprochement qui existe entre Israël et certains États arabes», a-t-on informé encore.
Oki Faouzi