L’artisan de La casbah en voie de disparition

Alger

L’artisanat traditionnel, autre fois répandu dans La Casbah d’Alger, est aujourd’hui menacé de disparition devant la grande baisse du nombre d’artisans, la dégradation du cadre urbain de la Médina et l’absence de soutien à ces professions qui souffrent en silence depuis de nombreuses années.

Le visiteur de la Casbah d’Alger, classée au patrimoine mondial de l’humanité en 1992, peut relever que les artisans encore en activité se comptent sur les doigts d’une main et se trouvent majoritairement dans la haute Casbah, particulièrement à la rue Sidi Driss Hamidouche ou aux alentours de la mosquée Sidi Ramdane, où les bâtisses sont encore relativement en bon état de conservation et où les ruelles sont sécurisées. Rencontrés par l’APS, des artisans affirment qu’ils sont à peine une dizaine encore en activité, dans l’ébénisterie d’art, la dinanderie et la céramique, et que ces métiers tendent à disparaitre devant la dégradation du cadre urbain de la médina et le manque d’intérêt des jeunes qui se sont détournés de ses métiers qui manquent de moyens et de soutien des pouvoirs publics.
Aigri après de nombreuses désillusions, le dinandier El Hachemi Ben Mira confie sa tristesse en voyant ce qu’est devenu sa Casbah natale et ses métiers regrettant qu’ils ne sont plus que deux à perpétuer cette tradition aujourd’hui dans de petites échoppes même s’il a lui-même formé une trentaine de jeunes. Avec beaucoup de nostalgie, il évoque une époque où les rues prenaient le nom des métiers qui y étaient exercés et où ils étaient une trentaine de dinandiers à travailler le cuivre pour les besoins des fêtes familiales et pour l’usage quotidien. Après 58 ans de métier, El Hachemi Ben Mira, qui a appris le métier dans l’atelier de Mohamed Zoulou près de Zoudj Aayoun, constate que les artisans de la Casbah sont «une espèce en voie de disparition» en énumérant ceux qui nous quitté et ceux qui ont arrêté leurs activités. Refusant de demander toute forme d’aide il continue à proposer ses créations, bijoux, luminaires et ustensiles de cuisine et de bain, et des antiquités remontant à la période ottomane chinés chez les habitants. Dans la haute Casbah, la céramiste Bahia Rouibi a rouvert son atelier après plusieurs mois de fermeture et propose des objets de décorations et de petits souvenirs aux visiteurs.
Depuis huit ans elle réalise des carreaux de zelidj et des tableaux en céramique en plus d’alimenter parfois des chantier de décoration ou de construction de rares particuliers préférant le produit de l’artisan à celui de l’industrie. Bahia Rouibi, qui loue un petit atelier, regrette d’être confrontée à autant de difficultés liées au «prix exorbitant de la matière première importée et l’absence d’implication des artisans dans les projets publics de restauration». Autre artisan rencontré dans la haute Casbah, Khaled Mahiout, spécialisé dans l’ébénisterie d’art et la restauration du bois qui a hérité ce métier de son père.
Dans son atelier de la rue Sidi Driss Hamidouche, il travaille avec son fils pour réaliser des portes, des rampes, des colonnes et autres miroirs en plus de restaurer des pièces anciennes pour les mosquées, hôtels et particuliers. Agé de 70 ans, il évoque une époque où La Casbah était auto suffisante en matière d’artisanat et estime que le renouveau de la médina doit également passer par la mise en valeur de ses métiers. Malgré la dégradation du cadre urbain et la rareté des visiteurs, une autre famille a décidé d’ouvrir un restaurant traditionnel en 2019, baptisé «La nostalgie». Karim le gérant de cet établissement installé dans la maison familiale et qui propose des tables installées dans les escaliers d’une venelle, considère son projet comme une petite pierre à l’édifice de la mise en valeur des lieux. Il plaide cependant pour «l’ouverture des nombreuses échoppes fermées et à sécuriser les lieux pour insuffler une nouvelle dynamique touristique».
R. C.