Le 24 février 2021, cinquantenaire d’une nationalisation chargée de paradoxes !

L’événement du jour

Le 24 février 2021, 50ème anniversaire de la date-phare de la nationalisation des hydrocarbures en 1971 décrété par le défunt président Houari Boumediene avec sa fameuse phrase : «Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures», a été commémoré mercredi dernier aussi bien sur le plan symbolique et mémoriel que sur un plan d’évaluation du secteur des hydrocarbures et de sa place aujourd’hui dans l’économie nationale.

D’un côté, ce secteur névralgique,  et sa compagnie emblématique Sonatrach, est caractérisé depuis,  au moins une décennie, par une instabilité chronique de son personnel dirigeant,   que ce soit au niveau de sa tutelle le ministère de l’Energie, qui change de titulaire assez souvent, le dernier changement étant intervenu dimanche passé avec le départ de Abdelmadjid Attar,  pétrolier au long cours, et le retour de Mohamed Arkab, électricien au long cours, à son poste précèdent,  en récupérant, au passage, le département ministériel des Mines, le président de la République ayant jugé opportun de resserrer l’équipe gouvernementale par souci d’économie budgétaire et de recherche de synergie entre des secteurs fortement liés du point de vue vocation industrielle et du point de vue de l’efficience managériale. Premier grand paradoxe dans un secteur arrivé à maturité dans sa stratégie et son organisation depuis longtemps, du moins dans le principe. Du côté de Sonatrach, c’est le même constat qui s’impose depuis l’éclatement des scandales financiers à travers les affaires judiciaires de Sonatrach 1 et Sonatrach 2, et la valse ininterrompue de P-dg de la compagnie nationale qui ont inauguré, peut être à leur corps défendant, un cycle d’instabilité managériale déroutant pour les pétroliers et pour l’opinion publique de manière plus générale. C’est le deuxième grand paradoxe.
Le troisième paradoxe, au moment où les nationalisations ont produit déjà leurs effets multiples en matière de maîtrise par les cadres algériens des différents métiers liés à l’industrie pétrolière, est celui lié au déclin relatif des réserves de pétrole et de gaz et surtout celui lié à la baisse de la production que Sonatrach n’arrive pas à corriger. Et pourtant, l’esprit des nationalisations, il y a cinquante ans, était d’asseoir une souveraineté pleine et entière sur le domaine pétrolier et ce qu’il recèle comme richesses à valoriser au service du développement national intimement connecté, à l’époque, à un projet d’édification de l’Etat national.
Il est peut-être temps, en cette date- anniversaire à la forte symbolique nationale, de renouer avec «la formidable aventure humaine» que fut le 24 février 1971,  pour paraphraser un expert pétrolier algérien, Mourad Preure, qui s’exprimait dernièrement à la Radio nationale Chaîne III sur un ton où l’optimisme défiait l’amertume qu’il ressentait,  au vu de l’état des choses dans un secteur qu’il ne connait que trop bien ! Le Président  Abdelmadjid Tebboune, quant à lui, a salué les acquis en termes de valorisation et de qualification de la ressource humaine qu’il considère «comme facteur fondamental pour l’avancement du secteur des hydrocarbures»  dans son message à ses concitoyens à l’occasion de ce double anniversaire du 24 février 1956 pour la naissance de l’UGTA et le 24 février 1971 pour la nationalisation des hydrocarbures.
Autre paradoxe du jour, le Premier ministre Abdelaziz Djerad rappelait à Hassi R’Mel,  haut lieu du gaz naturel algérien, que la justice algérienne a lancé un mandat d’arrêt international contre un ex-P-dg de Sonatrach, responsable d’une acquisition scandaleuse d’une raffinerie de pétrole en Italie par Sonatrach non destinée à raffiner du pétrole algérien ! Excusez la grande myopie économique en la matière pour ce type de transaction entourée de la plus grande suspicion sur le plan de l’intégrité commerciale. Il y a un point positif à signaler dans ce tableau peu réconfortant sur les capacités de l’Algérie à construire du durable dans ce secteur, ce sont les avancées dans le domaine du raffinage où  Sonatrach est désormais en capacité d’exporter des excédents en carburants, elle qui était un importateur net pendant une bonne décennie.
Au moins, sur ce plan, le retour d’investissement de ces dernières années dans le raffinage est palpable. Reste à s’inspirer de cet exemple pour redresser la barre dans l’exploration et la production des hydrocarbures, véritable enjeu stratégique pour l’Algérie pour garder son statut de pays pétrolier dans la prochaine décennie, à partir de 2030. C’est sans doute une raison suffisante pour que le président de la République rappelle dans son message que « l’une des priorités du pays est de suivre le rythme des changements dans le secteur de la transition énergétique». C’est une directive claire des pouvoirs publics pour que Sonatrach trouve une nouvelle façon de s’intégrer  dans un modèle énergétique non à 100 % fossile, comme c’est le cas actuellement et qui mobiliserait d’autres ressources naturelles durables, le solaire en premier lieu.
Sonatrach en a les moyens à condition qu’elle casse les tabous du modèle énergétique fossile sur lequel elle a été construite. C’est dire que le défi de 2021 est semblable, dans son esprit et ses exigences éthiques, à celui de 1971. Comment compter sur ses compétences propres pour sortir de l’impasse du manque de perspective, assombrie qu’elle est par une année 2020 calamiteuse pour cause de crise sanitaire majeure déclenchée par l’apparition du Covid-19 ? C’est tout le débat sur la transition énergétique qu’il faut mener avec sérieux, loin des clichés galvaudés ici et là, consistant à nous dire que la solution à tous nos maux est dans la richesse de notre nature, plutôt  que dans le rapport économiquement pertinent et durable à cette nature que nous pouvons construire par nos propres forces.
Alors, il s’agit  de se poser les bonnes questions pour transformer les paradoxes bloquants en force de développement, comme ont su le faire nos aînés en 1971 devant une adversité nettement plus menaçante pour notre avenir économique et social à ce moment-là. C’est le message à retenir de 1971, même si les grilles de lecture ont changé entre temps. Mais les fondamentaux restent les mêmes. Les paradoxes existent pour bousculer les idées reçues. Et c’est tant mieux pour l’Algérie de 2021 qui veut s’inventer une nouvelle voie de développement !  Dans l’équilibre, l’efficacité et la sobriété. Pourquoi voir la contradiction des termes là où elle n’existe pas ? Il suffit de bien regarder les choses. Avec les lunettes de son temps !
Par Abdelali Kerboua