Les facteurs déterminants du cours des hydrocarbures

Face aux enjeux géostratégiques

Evitons de fonder une politique économique sur des modèles appliqués aux pays développés, déconnectés des réalités nationales.

Devant l’ex-Premier ministre et les membres de son gouvernement et des cadres de la nation, dans une conférence sur l’évolution du cours des hydrocarbures et son impact sur l’économie algérienne, au Club de Pins, le 26 novembre 2014, revenant d’une tournée internationale où j’avais eu un débat à Radio France Internationale avec le professeur Antoune Halff alors directeur de la prospective à l’AIE fin octobre 2014, j’avais proposé un comité de crise avec des mesures opérationnelles de réformes au sein du Conseil économique et social en léthargie depuis des années où j’ai un témoin à savoir M. le Président de la République Abdelmadjid Tebboune alors ministre de l’Habitat qui était présent. Induit en erreur par certains experts ou intellectuels organiques aux ordres, les responsables ne nous ont pas écoutés et nous payons aujourd’hui les conséquences de cette imprévision.

1- Les onze déterminants du cours des hydrocarbures
Les hydrocarbures en 2020 représentent avec les dérivées pour l’Algérie environ 98% des recettes en devises de l’Algérie irriguant tout le cors social : taux de croissance via la dépense publique, taux de chômage, taux de l’inflation fonction des importations comblant le déficit de l’offre, et les réserves de change, n’oubliant pas que 33% proviennent du gaz naturel à travers le GNL et les canalisations Medgaz via l’Espagne et Transmed via l’Italie. Le cours du pétrole le 26 février 2021 à 64,61 dollars et le Wit à 61,69 dollars et celui du gaz naturel sur le marché libre le MBTU à 2,780 dollars pour un cours euro/dollar à 1,2083. Je recense 11 facteurs déterminant le cours des hydrocarbures.

Premièrement, l’élément central de la détermination du prix du pétrole est la croissance de l’économie mondiale. Aucun expert ne pouvant prévoir au-delà de 2025, du fait des importantes nouvelles mutations du modèle de consommation énergétique. Selon le rapport Perspectives de l’Économie Mondiale, en cas de la maîtrise de l’épidémicité du coronavirus, le taux de croissance pour 2021 se situerait à 5% contre un taux négatif de plus de 6% en 2020. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente : ainsi, un taux de croissance de 5% en 2021 par rapport à un taux négatif de 6% en 2020 donnerait en termes réels un taux de croissance entre 0 et 1%. Mais le plus inquiétant c’est le prix de cession du gaz traditionnel qui a chuté de près de 70% ayant atteint son cours le plus bas en douze ans en raison de l’affaiblissement de la demande, de nouveaux producteurs, des réserves russes plus de 45 000 milliards de mètres cubes gazeux, 30 000 pour l’Iran, plus de 15 000 pour le Qatar, du gaz de schiste américain ainsi que l’entrée de nouveaux producteurs comme le Mozambique en Afrique, avec des prix concurrentiels hors de portée pour l’Algérie, du Qatar, de l’Iran et de la Russie en direction l’Asie, le marché naturel de l’Algérie étant l’Europe ou avec l’expiration des contrats à long terme l’Europe a fait savoir à l’Algérie qu’elle devra s’aligner sur le marché spot.

– Deuxièmement, le respect des accords de l’OPEP mais qui ne représente pour le pétrole qu’environ 35% de la commercialisation mondiale, 65% se faisant hors OPEP, étant utopique pour l’instant de parler d’un marché mondial de gaz, plus de 65% étant des marchés régionaux segmentés se faisant par canalisation. Rappelons les accords décidés en décembre 2016 à Vienne où la répartition des quotas de l’Opep a été la suivante : l’Algérie 1,089 million de barils jour, avec une réduction de 50.000 barils/jour son quota passe à 1,039 million barils/j, L’Angola passant de 1,751 million barils/jour à 1,679 barils/j, l’Arabie Saoudite passant de 10, 544 million barils/j à 10,058 barils/j, les Emiraties Arabes Unies passant de 3,013 barils/j à 2,874 barils/jour, l’Equateur passant de 548.000 barils/jour à 522.000 barils/j, le Gabon de 202.000 barils jour à 193.000 barils/jour, l’Iran de 3,975 millions barils/jour à 3,797 millions barils/j, l’Irak de 4,561 millions barils/j à 4,351 millions barils/j, le Koweït de 2,838 millions barils/j à 2, 707 millions barils/j, le Qatar (pays essentiellement gazier 3e réserve mondiale de gaz traditionnel après la Russie et l’Iran), 648.000 barils/j à 618.000 barils/j, le Venezuela, paradoxe le premier réservoir de pétrole mondial avant l’Arabie Saoudite mais un pétrole lourd actuellement en semi-faillite, de 2,067 millions de barils/j à 1,972 millions de barils jour. Les autres pays hors OPEP concernés par l’accord conclu sont : la Russie 300.000 barils jour de réduction dont la production russe de pétrole, le Mexique (2,1 Mb/j en octobre/novembre 2016), le Kazakhstan (1,7 Mb/j), Oman (1 Mb/j), l’Azerbaïdjan (0,8 Mb/j) la Malaisie (0,7 Mb/j), la Guinée équatoriale (0,2 Mb/j), le Soudan du Sud (0,1 Mb/j), le Soudan (0,1 Mb/j) et le Brunei (0,1 Mb/j). Par la suite, lors de la dernière réunion des pays membres de l’OPEP, ainsi que 10 autres pays (OPEP+), à Vienne le 6 décembre 2019, un accord a été conclu pour la réduction de la production de pétrole de 1,7 million de barils/jour (Mb/j) à partir du 1er janvier 2020 et jusqu’au 31 mars 2020, soit 1,7% de l’offre mondiale. Cet accord représente une réduction additionnelle de 503 000 Mb/j par rapport à l’accord de décembre 2018 reconduit en juillet 2019. Récemment, le groupe des treize membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) plus dix alliés producteurs (dont la Russie), identifié sous l’acronyme Opep+, se sont mis d’accord pour «restituer progressivement» sur le marché les quelque 2 millions de barils par jour prévus en début d’année 2021, en commençant par 500.000 barils quotidiens en janvier 2021. Cette décision fait donc passer le volume de pétrole brut retiré volontairement du marché par l’alliance de 7,7 Mbj à 7,2 Mbj au 1er janvier et amende l’accord précédent d’ avril 2020, qui prévoyait une marche plus haute à 5,8 Mbj, jugée par beaucoup trop conséquente au vu d’un marché toujours déprimé par la pandémie de Covid-19. Dans les faits, l’essentiel de cette baisse est assuré par les deux plus grands producteurs de ce groupe hétérogène : la Russie et l’Arabie Saoudite. Il faut signaler, les rivalités au niveau de l’OPEP dont certains ne respectent pas les quotas, de la rivalité Iran-Arabie Saoudite (plus de 35% de la production OPEP), ainsi qu’une chute de la production drastique du Venezuela pourtant première réserve de pétrole du monde, certes avec un pétrole lourd. L’Arabie Saoudite, au sein de l’OPEP, est le seul pays producteur au monde actuellement qui est en mesure de peser sur l’offre mondiale, et donc sur les prix, tout dépendant d’une entente entre les USA et l’Arabie Saoudite, la Russie et l’Arabie Saoudite, pour déterminer le prix plancher, encore que cette entente pourrait se déplacer dans un proche avenir avec une entente avec l’Iran, avec la nouvelle politique du gouvernement américain.

– Troisièmement, du côté de l’offre, nous assistons à une hausse plus rapide que prévue de la production de pétrole (non conventionnel) des USA qui a bouleversé toute la carte énergique mondiale. Ils sont passés de 5 millions de barils/jour de pétrole à un niveau fluctuant entre 8,5 et plus de 10 millions de barils jour entre 2014/2020. Les Etats-Unis, importateurs par le passé, devraient devenir le plus grand producteur de pétrole brut (tenant compte de la consommation intérieure) devant l’Arabie Saoudite et la Russie. Selon The Telegraph, les Etats-Unis devraient pénétrer fortement le marché mondial avec des quantités sans précédent de gaz naturel liquéfié (GNL) 30 projets sont en cours de réalisation, grâce au gaz et le pétrole de schiste pesant ainsi sur le marché mondial du GNL.

– Quatrièmement, la stratégie expansionniste russe dont le géant Gazprom, pour le gaz (45.000 milliards de mètres cubes gazeux de réserve) à travers le North Stream et le South Stream (ce dernier gelé actuellement) d’une capacité prévu de plus de 125 milliards de mètres cubes gazeux pour approvisionner l’Europe, sans compter les nouvelles canalisations vers l’Asie. La Russie a besoin de financement, les tensions en Ukraine n’ayant en rien influé sur ses exportations en Europe où sa part de marché a été de 30% entre 2013/2020. Un accord circonscrit à l’OPEP, sans la Russie, ne suffirait pas à peser sur les cours. Dès lors la stabilisation du cours du pétrole passe par une entente septembre, Russes et Saoudiens qui au cours des différentes réunions OPEP+ ont appelé à un contrôle de la production. Cependant récemment, la Russie a accru sa production et ouvert de nouveaux gisements en Sibérie ou dans l’Arctique, témoignant d’une stratégie agressive. En outre, les compagnies russes assument des coûts en roubles (dont le cours a chuté), mais vendent en dollars, de sorte qu’elles restent rentables aux alentours de 30 à 40 $. Idem avec la réduction des coûts des gisements de pétrole et gaz de schistes moyens américains dont la rentabilité est entre 50/55 dollars pour les petits gisements, 40 /45 dollars pour les gisements moyens et pour les grands gisements 30/35 dollars.

– Cinquièmement, du retour sur le marché de la Libye, sous réserve d’une stabilisation politique avec les nouveaux accords de Genève, 42 milliards de barils de pétrole, plus de 1 500 milliards de mètres cubes gazeux, pour une population ne dépassant pas 6,5 millions d’habitants, pouvant aller facilement vers 2 millions de barils/jour, de l’Irak avec 3,7 millions de barils jour, réservoir mondial à un coût de production inférieur à 20% par rapport à ses concurrents, pouvant aller vers plus de 8 millions/jour. Et surtout l’Iran s’il Y a accord sur le nucléaire avec la nouvelle administration américaine ayant des réserves de 160 milliards de barils de pétrole lui permettant facilement d’exporter entre 4/5 millions de barils jour, le deuxième réservoir de gaz traditionnel mondial, sans compter qu’il aura alors accès aux quelque 100 milliards de dollars bloqués dans les banques étrangères, qui pourront augmenter ses exportations et attirer les investissements étrangers.

– Sixièmement, les nouvelles découvertes dans le monde notamment en offshore notamment en Méditerranée orientale (20.000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région) et en Afrique dont le Mozambique qui pourrait être le troisième réservoir d’or noir en Afrique et les nouvelles technologies permettent l’exploitation et la réduction des coûts des gisements marginaux de gaz et pétrole de schiste d’environ 30/40%, et n’oubliant l’important gisement qui est rentré en production du Kazazthan fin 2016.                 (A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul