Une démocratie participative impliquant la moralisation de la société

Les objectifs stratégiques 2021/2025 pour l’Algérie face à la crise

Dans toute société toujours en mouvement, n’existe pas l’immobilisme. Toute nation qui n’avance pas recule forcément. La situation socio économique actuelle implique un sursaut national reposant sur une démocratie participative car le statut quo et les replâtrages conjoncturels seraient suicidaires pour le pays qui a d’importantes potentialités de sortie de la crise.

L’on peut faire une des meilleures Constitutions et lois (ce mythe bureaucratique du juridisme), l’important étant d’analyser le fonctionnement de la société par la pratique sur le terrain. Comme l’a démontré brillamment l’économiste indien professeur Sen A. K., prix Nobel d’économie, Òpas de bonne économie sans vraie démocratie tenant compte des anthropologies culturelles, mais n’existant pas d’Etat standard mais que des équipements anthropologiques qui le façonnent. D’où l’importance d’institutions démocratiques, pour une société participative car pour faire respecter le contrat de coopération, s’impose une efficacité des institutions qui régissent des règles de coopération qui peuvent être informelles (comme les tabous, certaines traditions) ou formelles (écrites, codifiées comme le droit moderne). Mais attention, lorsqu’un Etat émet des lois qui ne correspondent pas à l’état de la société, celle-ci enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner, établies par un contrat de confiance beaucoup plus solide et crédible que celui que l’on veut lui imposer. Tout pouvoir a besoin de prospectives s’il veut éviter de coller à la réalité et éviter de naviguer à vue.
Les enjeux actuels et futurs des réformes passent par une évaluation à son stade actuel et ses environnements politiques, économiques, sociaux et internationaux, une identification des acteurs internes et externes impliqués dans le processus des réformes, une analyse des stratégies développées ou qui risquent d’être développées par les acteurs hostiles et une série de contre-mesures à mettre en œuvre par les acteurs favorables et anticiper les risques d’échec. L’objectif stratégique est une profonde moralisation, renvoyant à la refondation de l’Etat, pour ne pas aller vers cette décadence analysée par le grand sociologique Ibn Khaldoun, conciliant la modernité et son authenticité, l’efficacité économique et une profonde justice sociale. C’est que tout projet social, en démocratie, est porté par des partis politiques, fonction d’affinités idéologiques et économiques dont le but, pour être crédible, loin des slogans populistes, est d’améliorer la situation sociale des citoyens, de concilier efficacité économique avec une profonde justice sociale (pas l’égalitarisme), impliquant une économie forte, toute nation ne partageant que ce qu’elle a préalablement produit. Vouloir remplacer Mohamed par Abdelkader pour jouir d’une rente, ne résout en aucune manière les problèmes du pays, surtout après les révélations des salaires des députés du CNT et d’autres catégories sociales, une minorité.
Or, environ 70/80% de la population algérienne vivent difficilement de leurs salaires dont plus de 50% ont un revenu net inférieur à 50 000 dinars par mois. Sans compter les préjudices financiers occasionnés par certains responsables et oligarques rentiers, (environ 935 milliards de dollars de sorties de devises en biens services entre 2000/2019, plus de 100 milliards de dollars de transferts illicites de capitaux en devises au moyen de surfacturations sans compter la partie dinars au niveau interne), selon certaines estimations internationales, un responsable moral ne peut jouir d’une retraite à vie après avoir exercé deux à cinq années devant rejoindre son travail d’origine pour jouir d’une retraite méritée, comme dans tous les pays du monde étant pour une mission temporaire au service de l’Etat. Il ne peut prétendre à une rente à vie, sans compter les nombreux avantages octroyés, avec un salaire net entre 230 000 et 260 000 dinars/ mois (le brut variant entre 350 000/400 000 dinars) alors qu’un professeur d’université en titre ayant exercé pendant plus de 30/35 ans perçoit 160 000/170 000 dinars et un professeur de CEM et lycée entre 50 000/70 000 dinars net par mois. Certes, ce n’est pas du vol, mais avant de donner des leçons de morale de certaines personnes qui passent leur temps sur les plateaux de télévisions, il faut être moral et un Etat de Droit suppose que l’Etat soit droit.
C’est une condition indispensable, pour un large front national et de profondes réformes systémique, nécessitant une nouvelle politique et la moralisation de la société du fait que la bureaucratie et la corruption accentuent le divorce entre l’État et les citoyens, tout en constituant un frein à l’investissement national ou international productif. Cette moralisation est d’autant plus nécessaire que l’Algérie connaît de fortes tensions budgétaires et financières. La crise provoquée par le coronavirus a projeté une lumière crue sur un écosystème devenu fortement obsolète où les réserves de change sont passées de 194 milliards de dollars fin décembre 2013 à 42/43 milliards de dollars fin 2020 contre 62 fin 2019 où à cette tendance elles clôtureront à environ 20 milliards de dollars fin 2021. Qu’en sera-t-il pour 2022, en cas d’une non relance de la machine économique, la foi de Finances 2021 prévoyant un déficit budgétaire record dépassant les 20 milliards et selon le FMI nécessitant 110 dollars le baril pour l’équilibre du budget. L’on devra analyser la situation socio-économique sans passion : ni sinistrose, ni autosatisfaction source de névrose collective.
Car les mêmes causes et comportements produisent les mêmes effets, posant l’urgence du redressement de l’économie nationale actuellement en berne. Pour l’Algérie, la gestion volontariste depuis l’indépendance, les enjeux de pouvoir internes, la crise économique, sociale et culturelle, et enfin les contraintes externes de plus en plus pesantes ont abouti à des changements, qui ont révélé une réalité bien amère : l’absence dramatique d’une véritable stratégie nationale tant par rapport au mouvement social interne super médiatisé, qui a fait émerger de nouveaux comportements et aspirations, qu’aux nouvelles mutations mondiales. Il ne faut pas vendre des rêves utopiques. Face à l’épidémie du coronavirus, le monde de demain 2021/2030/2040 ne sera plus jamais comme avant, étant à l’aube d’une quatrième révolution économique et technologique, fondée sur deux fondamentaux du développement, la bonne gouvernance et l’économie de la connaissance (l’intelligence artificielle, le digital et la nécessaire transition énergétique) ne devant jamais oublier que toute nation qui n’avance pas recule, n’existant pas de situation statique, certains responsables vivant toujours de l’illusion de la rente éternelle.
Les exigences d’un État fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d’autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique. La cohésion de ces espaces et leur implication dans la gestion de leurs territorialités respectives enclencherait alors une dynamique de complétions positives et rendrait la maîtrise plus facile que la centralité politique. L’autonomie des pouvoirs locaux ne signifie pas autonomie de gouvernement, mais un renforcement de la bonne gouvernance en fortifiant le rôle de la société civile, que seules des actions d’intérêt commun doivent légitimer, et non le soutien de l’État. La refondation de l’État, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. Le passage de l’État de «soutien» à l’État de justice est de mon point de vue un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et politique entre la nation et l’État. Cela passe par la fin des relations de clientèles via la rente car l’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale.
La compétence n’est nullement synonyme de postes dans la hiérarchie informelle, ni un positionnement dans la perception d’une rente. Sa légitimité se vérifie surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu’elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux afin de réaliser les aspirations d’une Algérie arrimée à la modernité tout en préservant son authenticité. L’implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l’avenir des générations futures, est une manière pour l’État, de marquer sa volonté de justice et de réhabiliter sa crédibilité en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d’arbitre de la demande sociale. Car le défi en ce XXIe siècle sera de s’adapter au nouveau monde, en transcendant nos différents et mobiliser toutes les énergies. Le monde de demain subira de profondes mutations politiques, militaires, socio-économiques et énergétiques, déclin des hydrocarbures traditionnels, développement des énergies renouvelables, l’hydrogène 2030/2040, avec de nouveaux segments engendrant de la valeur ajoutée nouvelle, déclassant les activités traditionnelles.
Nous devrions assister à d’autres relations sociales, de nouveaux comportements et d’autres méthodes de travail avec le développement des vidéo conférences, le télétravail pour certains métiers et des recompositions territoriales autour de grands espaces régionaux pour une population mondiale de 8,9 milliards d’habitants en 2030 et 9,8 milliards en 2050. C’est que nos sociétés ont été perturbées depuis l’entrée en puissance des nouvelles technologies à travers Facebbok qui contribuent à refaçonner les relations sociales, les relations entre les citoyens et l’Etat, par la manipulation des foules, pouvant être positif ou négatif lorsque qu’elle tend à vouloir faire des sociétés un Tout homogène alors qu’existent des spécificités sociales des nations à travers leur histoire. Ces nouvelles dictatures peuvent conduire à effacer tout esprit de citoyenneté à travers le virtuel, l’imaginaire et la diffusion d’images avec pour conséquence une méfiance accrue par la manipulation des foules, lorsque des responsables politiques formatés à l’ancienne culture ne savent pas communiquer. Mais des dangers guettent le futur monde qui sont la guerre alimentaire et son corollaire l’eau, la guerre numérique (cyber attaque) qui modifiera notre mode de vie. Autre défi majeur, la guerre écologique, cette dernière pouvant conduire avec le réchauffement climatique à des déplacements de populations avec l’élévation du niveau des mers et la sécheresse, avec d’importants flux migratoires et des millions de morts, dont l’impact actuellement du coronavirus ne serait qu’un épiphénomène.
En résumé, sans moralisation de la société, et une société participative impliquant les citoyens, il est utopique de mettre en place un développement durable. Face à la crise, des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale et économique s’imposent tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter. Face aux enjeux géostratégiques, le monde devant connaître d’importants bouleversements horizon 2021/2030, impose à l’Algérie une stratégie d’adaptation tant politique, économique que militaire, avec pour soubassement le dialogue productif entre toutes les composantes de la société dans sa diversité. Il existe un lien dialectique entre sécurité et développement, la future politique devra forcément s’orienter vers plus décentralisation autour de quatre ou cinq grands pôles régionaux et donc éviter la centralisation bureaucratique à outrance du passé. Face aux tensions budgétaires et géostratégiques, pour l’Algérie, il faut impérativement faire taire nos divergences et privilégier uniquement les intérêts supérieurs de l’Algérie nécessitant un minimum de consensus économique et social qui ne saurait signifier unanimisme signe de décadence de toute société afin de stabiliser le corps social. Aussi, de grands défis attendent l’Algérie, pays à très fortes potentialités, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine (voir interview in American Herald Tribune USA 28/12/2016, Pr A. Mebtoul- «Any Destabilization of Algeria would Geo-strategic Repercussions on all Mediteterranean and African Space» et Pr Abderrahmane Mebtoul : «Algeria Still Faces Significant Challenges»,11 août 2018.
Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités, expert international