Monsieur le ministre des Finances, pour découvrir la réalité, allons faire le marché ensemble

Concernant l’affirmation de la maîtrise de l’inflation et de l’appréciation du dinar

Lors du lancement officiel des services de certification et de signature électronique au Centre international des conférences (CIC), le ministre des Finances a affirmé le 13 mars 2021, je cite : «L’inflation est très maîtrisée en Algérie et la monnaie nationale n’est pas en cours d’effondrement étant en cours et s’appréciera fin 2021». Afin de ne pas induire en erreur comme par le passé, les plus hautes autorités du pays et l’opinion publique qui, d’ailleurs, n’est pas dupe et vit la dure réalité quotidienne, je propose cette présente analyse.

Il existe une contradiction dans cette récente déclaration, le gouvernement projetant dans le PLF-2021, initié par le ministère des Finances non pas une amélioration de la cotation du dinar, mais une amplification de sa dévaluation, entre 2021-2023, ce qui suppose pas d’amélioration de la situation socio-économique. Pour 2023 le PLF-2021 prévoit environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar. En prenant un écart de 50% par rapport au marché parallèle nous aurons environ 300 dinars un euro, alors que les frontières sont toujours fermées et sous réserve de la maîtrise de l’inflation, sinon l’écart serait plus important. Rappelons que pour la période de 2001 à mars 2021, nous avons la cotation suivante : -2001 : 77,26 dinars un dollar 69,20 dinars un euro -2005, 73,36 dinars un dollar, 91,32 dinars un euro -2010, 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro -2015, 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro -2018 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro -2019 :119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro -2020 :128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro et la cotation du dinar officiel le 14 mars 2021 est de 159,58 dinars un euro et 133, 57 dinars un dollar. C’est que le même ministre avait prévu plus de 44,2 milliards de dollars de réserves de change fin 2021 alors qu’elles sont passées de 194 milliards de dollars fin 2013, à 97,33 en 2017, 62 en 2019 et selon le Président de la République lors de sa dernière conférence de presse à 42 milliards de dollars. A fin 2021 (baisse des réserves de change de 20 milliards de dollars entre 2019/2020) les réserves de change seraient de 20 milliards de dollars.
Qu’en sera-t-il en 2022 si le cours du pétrole stagne entre 55/65 dollars et s’il n’y pas de relance économique, la loi de Finances 2021 pour son équilibre selon le FMI et la Banque mondiale, nécessitant plus de 110 dollars le baril et le PLF -2021 prévoyant un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB. En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation d’environ 300 dinars un euro minimum, surtout en cas d’ouverture des frontières.
2- Le ministre des Finances toujours en ce mois de mars 2021, annonce sans précisions la relance économique comme facteur d’appréciation du dinar, ce qui est juste en soi, en théorie mais comment peut -on relancer l’économie actuellement en berne pour des raisons internes et externes, le dernier rapport de janvier 2021 de la CNUED, conséquence de la crise mondiale, montrant une baisse substantielle des IDE notamment vers le Maghreb et l’Afrique.
Or, on ne peut déclarer une appréciation du dinar, vision administrative bureaucratique du passé, qui sera fonction des seuls indicateurs macro financiers et économiques en 2021. Et en cas de la faiblesse de la production interne, nous assisterons à l’amplification du processus inflationniste, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques n’étant pas propre à l’Algérie, comme en témoigne les expériences récentes du Venezuela et du Liban. Certes, la valeur d’une monnaie est fonction de la production et de la productivité interne et de la capacité de pénétrer les marchés extérieurs supposant des entreprises publiques, privées compétitives en termes de coût/qualité. Mais en 2020/2021, comme pour les années passées, 98% des recettes en devises avec les dérivées dépendent des hydrocarbures, encore pour longtemps, dont la production en volume physique est en baisse où selon l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), publiés dans son rapport mensuel le 12 mars 2021, la production algérienne de pétrole a atteint 878 000 barils en février 2021 contre 874 000 barils par jour en janvier, un bémol les cours du Sahara Blend, le brut de référence algérien, 62,38 dollars le baril en février 2021, contre 55,08 dollars en janvier 2021 en hausse de 7,30 dollars (+13,3%). Mais ne jamais oublier que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz naturel dont le cours est passé de plus de 10 dollars le MBU en 2009/2013 à moins de 2,70 dinars le MBT entre 2020 et mars 2021.
Même si le rapport de la BAD de mars 2021 prévoit pour l’Algérie un taux de croissance de 3,5% et 2,2% en 2022, un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente où en 2020 le taux de croissance a été négatif de 6,5% selon le FMI. 2021, par rapport à 2020, donne toujours un taux de croissance faible, en termes réel entre 0 et 1% largement inférieur à la croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8/9% sur plusieurs années afin d’absorber 350 000/400 3000 emplois par an qui s’ajoute au taux de chômage actuel qui a été de 15% en 2020. Avec l’épidémie du coronavirus et les restrictions d’importation sans ciblage, selon les organisations patronales, plus de 70% d’entreprises courent à la faillite, fonctionnant à moins de 50% de leurs capacités. Des projets comme le fer de Ghar-Djebilet et du phosphate de Tébessa hautement capitalistique (montant de l’investissement dépassant 15 milliards de dollars pour uniquement ces deux projets selon l’ex-ministre de l’Industrie (source APS décembre 2020), le seuil de rentabilité, sous réserve de trouver un partenaire de renom, ces deux filières étant contrôlées au niveau du marché mondial par quelques firmes, demandent du temps et si les projets sont lancés en 2021 au moins 5/7 ans, soit 2026/2028, et pour les projets PMI/PME leur seuil de rentabilité se fera dans deux à trois ans.
3- Concernant la maîtrise de l’inflation annoncée par le ministre, je laisse le soin aux ménages algériens, aux journalistes de terrain et aux opérateurs économiques le soin de juger cette déclaration qui ignore fondamentalement le fonctionnement de la société montrant que certains responsables vivent dans une autre planète et je leur demande d’aller faire le marché pour constater l’explosion des prix de la majorité des produits. En économie, la production est production des marchandises par des marchandises, existant en dynamique, un lien dialectique entre toutes les sphères de l’activité économique. Nous avons depuis décembre 2020, avec une amplification entre janvier et mars 2021, assisté au blocage des importations de voitures, qui ne sont pas un produit de luxe, du fait de la faiblesse des moyens de transport public, pour la majorité des couches moyennes l’utilisant comme moyen de locomotion pour aller travailler, la majorité des pièces détachées, des produits, matières premières et de produits finis importés avec une hausse de prix qui a oscillé entre 30/50%, plus pour certains autres produits, devant revoir l’indice d’inflation, déphasé par rapport à la réalité, qui n’a pas été réactualisé depuis 2011. C’est comme dans un ménage, si on restreint l’alimentation on fait des économies mais au risque de maladies.
S’agissant d’un problème aussi complexe que celui de l’inflation, il me semble utile de rappeler qu’il faut tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle il s’applique, des aspects structurels de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, ainsi que des schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, des influences socioculturelles ainsi que des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national. Concernant l’indice global de l’inflation, un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. S’agissant d’un problème aussi complexe que celui de l’inflation, il me semble utile de rappeler qu’il faut tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle il s’applique, des aspects structurels de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, ainsi que des schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, des influences socioculturelles ainsi que des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national.
Concernant l’indice global de l’inflation, il doit être régulièrement réactualisé, celui de l’Algérie n’étant pas réactualisé depuis datant de 2011, car le besoin est historiquement daté, les besoins évoluant. Le taux d’inflation officiel est biaisé, étant comprimé artificiellement par les subventions. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. L’inflation qui est fonction de plusieurs facteurs interdépendants de facteurs externes dont le prix international des produits importés où contrairement à ce qu’affirme le ministre la majorité de pays connaissent non pas une inflation mais une déflation avec des taux d’intérêts, de la faiblesse de la production et de la productivité internes, de la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et leur impact renvoyant à la corruption via les surfacturations, de la dé-thésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation : ils investissent dans l’immobilier, l’achat d’or ou de devises fortes pour se prémunir contre l’inflation ; de la dévaluation rampante du dinar comme mis en relief précédemment où la Banque d’Algérie procède au dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro, ce qui permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements, matières premières, biens finaux), montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité ; de la dominance de la sphère informelle produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, alimentant le système rentier où existent des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière, avec des situations monopolistiques et oligopolistiques de rente. En résumé ayant contacté plusieurs amis de l’Est, du Centre, du Sud et de l’Ouest, la même réponse : ce ministre vit-il en Algérie, a-t-il fait un jour le marché et connaît-il le fonctionnement du marché parallèle de la devise qui suit le cours du marché officiel. La maîtrise de l’inflation et l’appréciation de la cotation du dinar via le niveau des réserves de change dépend donc fondamentalement de profondes réformes afin de dynamiser l’appareil productif, qui mettront du temps à se réaliser, entre 2021/2022, de l’évolution du cours des hydrocarbures, ne pouvant pas tout restreindre, quitte à étouffer tout l’appareil productif d’une meilleure gestion et de la lutte contre la corruption via les surfacturations. Face à la crise, évitons des discours démagogiques, loin de la réalité, discours qui jouent comme facteur de démobilisation et discrédite l’Algérie. Ainsi s’impose un discours de vérité et des stratégies d’adaptation politique, militaire, sociale et économique, tenant compte de l’innovation destructrice, en ce monde turbulent et instable pour reprendre l’expression du grand économiste Joseph Schumpeter. Aussi, de grands défis attendent l’Algérie, pays à très fortes potentialités, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine (voir interview in American Herald Tribune USA 28/12/2016» Pr A. Mebtoul – Any Destabilization of Algeria would Geo-strategic Repercussions on all Mediteterranean and African Space» et Pr Abderrahmane Mebtoul, – Algeria Still Faces Significant Challenges,11 août 2018».
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul