La finance islamique permettra-t-elle l’intégration du capital-argent au niveau de la sphère informelle ?

Relance économique

Depuis quelques temps à l’approche d’un changement de gouvernent après les élections législatives de juin 2021, en principe courant juillet, bon nombre de ministres font des promesses : seront-elles réalisées ? A titre d’exemple, un ministre qu’un contrat avec le partenaire chinois pour le fer de Gara Djebilet serait conclu fin mars 2021, (attendons de voir) ; deux autres ministres,outre ces déclarations déconnectées des réalités nationales, de la maîtrise de l’inflation, de la bonne santé de la cotation du dinar, d’une relance économique en 2021 alors que le ministre du Travail et les organisations patronales donnent une autre lecture, montrant une situation préoccupante de l’appareil productif qui se répercute sur le niveau de l’emploi, de la captation du capital-argent de la sphère informelle grâce à la finance islamique, objet d’ailleurs de cette contribution avec comme seul argument les différents guichets installés à travers le territoire national, mais sans donner le montant au moment où la Banque d’Algérie annonce une extension de la masse monétaire hors banques entre 2019/2020, montant qui risque de s’accélérer en 2021 avec le retour de l’inflation.

1.Au niveau mondial, nous avons l’évolution suivante du montant de la finance islamique : 2006, 500 milliards de dollars de dollars, 2010, 1100, 2015, 2080, 2018, 2640 milliards de dollars avec une estimation d’environ 1% pour 2019 du financement global , environ 270 000 milliards de dollars. Selon les institutions financières internationales, pour 2018, nous avons la répartition suivante : l’Iran 34,4%, Arabie Saoudite 20,4%, Emiraties 9,3%, Malaisie 9,1%, Koweit 6%, Qatar, 6%, la Turquie 2,6% et autres 12,2%. La finance islamique recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes aux principes de la charia, qui supposent l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs considérés comme illicites (alcool, tabac, paris sur les jeux, etc.). En principe, tous les établissements bancaires commercialisant des produits dits «charia-compatibles» doivent être validés par un organisme islamique en charge de ce contrôle (Organisation de Comptabilité et d’Audit des Institutions Financières Islamiques (AAOIFI)). Nous avons deux types de financement participatifs et non participatifs avec un dénominateur commun, toute opération financière ou commerciale devant avoir un sous-jacent réel. Le premier type de financement repose sur le principe de partage des pertes et profits. On parle alors de moudaraba, contrat de partenariat où la banque (l’associé bailleur de fonds) ne dispose d’aucun droit de regard sur la gestion du projet. En cas d’échec, la perte en capital est totalement supportée par la banque. A l’inverse, dans le cas d’une mouchara, la banque peut intervenir dans la gestion du projet. De par ses modalités de fonctionnement, ce partenariat actif entre l’entrepreneur et la banque se rapproche d’une joint-venture couramment rencontrée en finance classique. En cas d’échec, la perte est supportée par l’ensemble des associés. Nous avons également les opérations «sans participation» qui concernent essentiellement les opérations à caractère commercial (achat ou vente d’actifs avec le mourabaha et l’ijara qui sont les contrats les plus utilisés. Le premier est un contrat de vente soumis à des clauses précises issues des principes énoncés par la charia. Dans ce cas, la banque islamique joue le rôle d’intermédiaire financier entre l’acheteur et le vendeur, la banque achetant au comptant un bien pour le compte d’un client pour ensuite lui revendre à un prix augmenté d’une marge bénéficiaire. Quant à l’ijara, il s’apparente à un crédit-bail ou contrat de location en finance classique. A la différence du mourabaha, ce type de contrat transfère l’usufruit du bien, c’est-à-dire le droit de l’utiliser, et non son entière propriété. 2. En Algérie, les tensions budgétaires sont vivaces, conséquences des incohérences des politiques économiques, de l’absence de vison stratégique et de l’impact de l’épidémie du coronavirus (voir nos interviews à l’Agence France Presse AFP, au quotidien le Monde Fr et USA – American Herald Tribune 2018/2011). Selon la Banque d’Algérie 33% de la masse monétaire en circulation est hors banques, (d’autres sources donnent plus de 40%) montrant la faiblesse de la bancarisation, mais devant éclater ce montant entre les dépôts normaux des ménages, des montants pour des actions spéculatives. Ce montant ne concerne que la partie dinars alors que l’Algérie est confrontée à la diminution de ses réserves de change en devises. Dans les grandes agglomérations, l’urbanisation accélérée avec l’éclatement de la cellule familiale, excepté certaines contrées du Sud et des Hauts-Plateaux, avec ces nouveaux comportements économiques et sociaux, les impacts des réseaux sociaux influent sur la tradition. Pour preuve, la majorité des zaouïas avaient par le passé donné instruction pour le vote aux élections, mais n’ayant peu d’impacts. Tous les agents qui possèdent de grosses fortunes dans la sphère informelle, avec la montée des jeunes générations au niveau de cette sphère, ne sont pas forcément des adeptes de la finance islamique. 3. L’intégration de la masse monétaire informelle via la finance islamique, dans le circuit réel repose sur trois fondamentaux (voir étude pour le 4e Think Tank mondial Institut français des relations internationales IFRI A. Mebtoul «Poids de la sphère informelle au Maghreb et impacts économiques et politiques, Paris décembre 2013). Premièrement, sur la confiance où récemment le manque de liquidités au niveau des postes et banques a accéléré la méfiance, supposant une bonne gouvernance, une visibilité et une cohérence dans la politique socio-économique, facteur déterminant de la rentabilité des projets. En période de crise et c’est une loi universelle, il y a méfiance et extension de la sphère informelle qui joue le rôle d’amortisseur en suppléant à la faiblesse de l’offre surtout dans des économies dépendantes de la rente. Deuxièmement, elle sera fonction du taux inflation réel, qui doit être inférieur au taux de profit sectoriel de la sphère réelle. Un fort taux d’inflation accentue les incertitudes, l’indice en Algérie non significatif car devant être réactualisé, le besoin évoluant, étant historismes daté, et de surcroît compressé par les subventions généralises, source de gaspillage et d’injustice sociale. Troisièmement, liée à l’inflation, l’évolution de la cotation du dinar où la banque d’Algérie accélère sa dépréciation afin de combler artificiellement le déficit budgétaire. Pour se protéger contre cette dépréciation, une fraction du montant de la sphère informelle se portera acquéreur de devises, d’or, de biens durables facilement stockables et à forte demande dont le prix suivra le cours du dollar ou de l’euro, ainsi que dans l’achat de l’immobilier. Le cours actuel sur le marché parallèle (environ 2010 dinars un euro) n’est pas significatif, la crise ayant entraîné une forte baisse de la demande. En cas d‘ouverture des frontières, la cotation étant fonction de la faiblesse de l’allocation devises aux ménages, aux entreprises et des réserves de change en baisse, à plus de 70%, nous aurons probablement un écart d’environ 50% avec le marché parallèle, sinon plus avec un fort taux d’inflation. Aussi, le risque est l’accélération du processus inflationniste, en cas de restriction des importations et de la faiblesse de l’appareil productif interne, le taux d’intégration des entreprises tant publiques que privées ne dépassant pas 15%. 4.-En conclusion, la finance islamique certes doit être encouragée, mais à la lumière des expériences historiques n’est pas la panacée et pour preuve, les pays du Golfe placent la majorité de leur capital-argent dans les instruments classiques. Par ailleurs, s’impose une cohérence gouvernementale évitant la cacophonie entre différents responsables et méditons les actions de tous les gouvernements, aucun n’a pu résoudre l’intégration de la sphère informelle car ne s’étant pas attaqué au mode de gouvernance dont la bureaucratie centrale et locale rentière enfante cette sphère, les solutions techniques étant une illusion. Méditons tous les échecs, méditons l’expérience vénézuélienne dont l’économie repose essentiellement sur la rente comme en Algérie. Dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments et tout investisseur pour un retour à la confiance est attentif à la stabilité politique, juridique, aux indicateurs macro-économiques et macro-sociaux. Aussi, il s’agit d’éviter des discours populistes qui créent une névrose collective au niveau de la population et contribuent à sa démobilisation.

Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul