Une menace collective sur les moyens de subsistance des gens de la mer

La pêche illicite et non déclarée industrialisée

Qu’est-ce qui fait la rareté de la ressource halieutique, notamment la sardine, sur le littoral algérien ? Aurait-on comploté avec les poissons pour priver les consommateurs algériens de cette chair bleue si chère aux tables modestes ? Rien n’est moins sûr.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que les poissons, et tout particulièrement le poisson bleu, ne sont pas les coupables, mais plutôt les victimes désignées d’une réalité sur laquelle il est temps peut-être d’ouvrir les yeux de nos concitoyens, en espérant que les gens de la mer ouvriront les leurs pour enfin penser au devenir de leur gagne-pain. Les scientifiques qui sillonnent le littoral par le moyen de bateau-laboratoire, depuis des années, disposent, aujourd’hui, de données, de graphes, de courbes ascendantes et d’autres déclinantes qui décrivent les grandes tendances halieutiques de notre littoral durant les vingt dernières années. De toutes ces données, dont les détails assommeraient un comptable, il ressort des constats clairs et évidents : les stocks halieutiques s’amenuisent d’année en année, déclinant de façon inquiétante vers des moyennes qui pourraient, bientôt, atteindre moins de 50% des stocks identifiés en 2006.
Cet amenuisement des stocks disponibles, non seulement menace l’avenir des activités de la pêche en mer, mais affecte structurellement les quantités de poissons pêchées, perturbant à la fois une activité économique qui nourrit des dizaines de milliers de familles, mais également l’approvisionnement en poissons d’un marché demandeur, surtout en poissons bleus qui représentent plus de 80% des quantités pêchées et donc aussi la catégorie la plus affectée par l’effondrement des stocks. A quoi est dû l’amenuisement des stocks sur le littoral algérien et un peu partout ailleurs en Méditerranée ? Le réchauffement climatique et ses effets, ainsi que la pollution marine y sont pour quelque chose certainement. Mais les experts, qui ne veulent pas qu’on montre du doigt un petit coupable, désignent comme premier responsable : la surpêche. En effet, la surpêche est reconnue, y compris dans les autres pays de la Méditerranée où on a déjà pris cette question à bras le corps pour sauver les activités de la pêche, comme le fait déterminant à l’origine de ce phénomène.
Mais à parler de surpêche comme effet, on risque de perdre de vue les multiples pratiques qui la font advenir sur le terrain et dont les auteurs – pour ne pas dire les artisans – ce sont ceux-là mêmes qui pourraient en devenir les premières victimes : les pêcheurs (toutes catégories confondues). Ces pratiques illicites consistent dans : (1) la pêche sauvage dans des zones – interdites- de reproduction des poissons ; (2) la pêche avec des moyens interdits (filets plus étroits, plus longs, dynamite, etc.) ; (3) la pêche en période de repos biologique ; et (4) la pêche clandestine – parfois systématisée par le moyen de la flotte des bateaux de plaisance. Ces pratiques combinées nourrissent ce qu’on appelle la surpêche et induisent un amenuisement des stocks de poissons dans les pêcheries (les zones littorales de pêche) algériennes.
Cela dit, quand on parle de surpêche, il ne s’agit pas simplement de la récupération de plus grandes quantités de poissons favorisées par des pratiques illicites «avantageuses». Il s’agit surtout de pêche qui touche des catégories de poissons non éligibles à la commercialisation, car trop petits et, plutôt, encore candidats à un processus de reproduction qui aurait permis d’augmenter le potentiel des stocks halieutiques. Ces braconnages systématiques ne profitent à personne sur le long terme socio-économique, car ils finiront par conduire à un amenuisement irréversible, sur le court et moyen terme, des stocks halieutiques, rendant, de ce fait, non rentables les activités de pêche sur le littoral, mettant ainsi à genoux des milliers de professionnels qui vivent exclusivement de cette ressource.
On ne parlera plus alors du prix de la sardine et de spéculations éhontées sur sa disponibilité et ses prix prohibitifs, mais plutôt du devenir des marins-pêcheurs, des gens de la mer et de ceux, parmi les raïs et les armateurs, qui les menaient vers des pratiques illicites pour réaliser des gains faciles et, pourtant, tout aussi funestes pour la pêche. On voit bien comment la pêche illicite menace les moyens de subsistance, exacerbe la pauvreté et augmente l’insécurité alimentaire. En s’arrêtant, les activités de pêche sur le littoral permettraient, certainement, à l’écosystème marin de se renouveler, mais l’écosystème économique de la pêche, lui, serait complètement compromis et, avec lui, les chances de faire de ce secteur une source durable de revenus pour les gens de la mer et leurs familles, ainsi qu’une source de protéines marines pour le citoyen.
Les experts tirent, ainsi, la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard, en espérant que les acteurs de la pêche, toutes catégories confondues, sauront prendre leurs responsabilités devant de tels enjeux, car les systèmes de régulation les plus pointus et les plus vigilants, ne sauraient régler le problème sans une adhésion volontaire et active des premiers concernés : les pêcheurs.
Ahmed Rehani