«L’impact de la dépréciation du dinar algérien, et la chute des réserves de change sur les indicateurs macro-économiques et sur la dynamique économique générale de l’Algérie»

Economie

Mesdames et Messieurs, je tiens d’abord à remercier vivement la Fondation allemande Friedrich Ebert et l’Union européenne de cette invitation sur un sujet qui détermine l’avenir économique de mon pays, l’Algérie sur le thème «L’impact de la dépréciation du dinar algérien, et la chute des réserves de change sur les indicateurs macro-économiques et sur la dynamique économique générale de l’Algérie».

L’analyse objective de l’évolution des réserves de change, de l’inflation et de la cotation du dinar, qui ont un impact direct sur le pouvoir d’achat de la population et des différentes activités économiques, doit tenir compte des aspects de structures de l’économie internationale et de l’économie interne de l’Algérie qui après plusieurs décennies d’indépendance politique repose toujours sur la rente des hydrocarbures avec les dérivés 98% de ses recettes en devises.

1- Evolution des réserves de change
– 2001 : 17,9 milliards de dollars,
– 2002 : 23,1 milliards de dollars,
– 2003 : 32,9 milliards de dollar,
– 2004 : 43,1 milliards de dollars,
– 2005 : 56,2 milliards de dollars,
– 2010 : 162,2 milliards de dollars,
– 2011 : 175,6 milliards de dollars,
– 2012 : 190,6 milliards de dollars,
– 2013 : 194,0 milliards de dollars,
– 2014 : 178,9 milliards de dollars,
– 2015 : 144,1 milliards de dollars,
– 2016 : 114,1 milliards de dollars,
– 2017 : 97,33 milliards de dollars,
– 2018 : 79,88 milliards de dollars,
– 2019 : 62 milliards de dollars
– Fin 2020, malgré toutes les restrictions à l’importation, selon la déclaration du Président de la République en date du 1er mars 2021 entre 42/43 milliards de dollars les prévisions de la loi de Finances complémentaire étaient de 44,2 milliards de dollars contre 51,6 prévus dans la loi initiale. Le gouvernement projetant dans le PLF2021, initié par le ministère des Finances non pas une amélioration de la cotation du dinar, mais une amplification de sa dévaluation, entre 2021-2023. Pour 2021 en l’occurrence, le PLF prévoit un taux moyen annuel de 101,42 DA contre 1 USD, pour 2022, 149,32 DA pour 1 USD et pour 2023 verrait donc la dévaluation de la monnaie nationale se poursuivre avec 156,72 dinars un dollar. Les réserves de change ont baissé entre 2019/2020 de 20 milliards de dollars devant tenir compte de la balance de paiements et non de la balance commerciale d’une signification limitée.
Comme le PLF-2021 les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) qui se situent à environ 64,98 milliards de dollars au cours de 128 dinars, un dollar au moment de l’établissement de la loi et les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) estimées à 41,62 milliards de dollars, nous aurons un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB, le solde des réserves de change fin 2021 devrait s’établir à moins de 20 milliards de dollars.
Qu’en sera-t-il en 2022 si le cours du pétrole stagne entre 55/65 dollars et s’il n’y pas de relance économique, la loi de Finances 2021 pour son équilibre, selon le FMI et la Banque mondiale, nécessitant entre 100/110 dollars le baril ? Le niveau des réserves de change 2021/2022 dépendra donc fondamentalement de cinq facteurs : de l’évolution du cours des hydrocarbures ; du taux de croissance réel : du produit intérieur brut (PIB) à prix courants, qui a été en 2019, de 0,8%, en 2020 moins 6,5%, donc une croissance inférieure à la pression démographique. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, le taux de croissance négatif positif en 2021, rapporté à 2020, moins de 6% donne toujours un taux de croissance faible, en termes réel entre 0 et 1% largement inferieur à la croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8/9% sur plusieurs années afin d’absorber 350 000/400 3000 emplois par an. On ne peut tout restreindre, quitte à étouffer tout l’appareil productif quitte à aller vers une implosion sociale avec un taux de chômage ayant dépassé 15% en 2020.

2- Evolution de la cotation du dinar
Qu’en est-il de l’évolution du cours officiel du dinar corrélé aux réserves de change via les recettes d’hydrocarbures à plus de 70%, la période de 2001 à mars 2021 :
– 2001 : 77,26 dinars un dollar et 69,20 dinars un euro
– 2005 : 73,36 dinars un dollar et 91,32 dinars un euro
– 2010 : 74,31 dinars un dollar et 103,49 dinars un euro
– 2015 : 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro
– 2016 : 100,46 dinars un dollar et 111,44 dinars un euro
– 2017 : 110,96 dinars un dollar et 125,31 dinars un euro
– 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro
– 2019 : 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro
– 2020 : 128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro.
Selon la BA entre le 31 mars et le 1er avril 2021, la cotation est de 134,03 dinars un dollar et 157,80 dinars un euro avec ce paradoxe une appréciation du dinar par rapport à l’euro et une dépréciation par rapport au dollar alors que des bourses mondiales nous avons assisté à l’inverse, une cotation qui est passé de 1,22 dollar un euro, il y a quatre mois et au 31 mars 2021 à 1,17 dollar un euro. Cette dévaluation qui ne dit pas son nom permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation d’environ 300 dinars un euro minimum, surtout en cas d’ouverture des frontières.
Il sera difficile de combler l’écart avec le marché parallèle pour la simple raison que l’allocation de devises pour les ménages est dérisoire, la sphère informelle suppléant à la faiblesse de l’offre et par ailleurs bon nombre d’entreprises du fait de la faiblesse de l’allocation devises pour éviter la rupture d’approvisionnement iront au niveau de cette sphère. Par ailleurs, ce dérapage du dinar par rapport au dollar et à l’euro accélère la méfiance du citoyen vis-à-vis du dinar, en plus du manque de liquidités, amplifiant la sphère informelle où selon la Banque d’Algérie entre 2019/2020, la masse monétaire circulant en dehors du circuit bancaire, a atteint 6140,7 milliards de dinars (près de 60 milliards de dollars) à la fin de l’année 202, soit une hausse de 12,93% par rapport à 2019, ainsi que le processus inflationniste interne où la majorité des produits importés, excepté ceux subventionnés, connaissent depuis décembre 2020 une augmentation variant entre 30/50%, voire 100% pour certains produits comme les pièces détachées de voitures en contradiction avec l’indice officiel de l’ONS non réactualisé depuis 2011, le besoin étant historiquement daté.
Le dérapage du dinar contribue ainsi à la baisse des salaires ramenés en devises. Ainsi, un salaire net de 50 000 dinars équivaut au cours actuel à 310 euros et le SMIG de 20 000 dinars à 125 euros, montant qu’il fut réduire de 50% si l’on prend le cours du marché parallèle où à ce cours, un professeur d’université en titre, plus de 30 ans de carrière, en fin de carrière, perçoit moins de 800 euros (80% du salaire en retraite) contre plus de 1 200 euros sans compter les avantages d’un député qui a passé quelques années à lever la main sans proposer aucune loi avec une retraire à 100%. Dans ce cas, il est utopique de parler d’encourager l’innovation, ce qui favorise l’exode des meilleures compétences surtout des jeunes, d’autant plus que l’actuelle politique salariale, qui est totalement à revoir, favorise beaucoup plus les emplois-rente que les emplois productifs.

3- L’évolution du taux d’inflation
Le niveau d’’inflation est fonction de plusieurs facteurs interdépendants :
– Premièrement, de facteurs externes dont le prix international des produits importés où contrairement à ce qu’affirme le ministre la majorité de pays connaissent non pas une inflation mais une déflation avec des taux d’intérêts presque nuls ;
– Deuxièmement, de la faiblesse de la production et de la productivité internes, de la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et leur impact renvoyant à la corruption via les surfacturations ;
– Troisièmement, de la déthésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, l’achat d’or ou de devises fortes pour se prémunir contre l’inflation ;
– Quatrièmement, de la dévaluation rampante du dinar comme mis en relief précédemment ;
– Cinquièmement, par la dominance de la sphère qui aligne le prix sur la cotation de la devise sur le marché parallèle, pour les produits importés, et qui contrôle les segments des fruits/légumes, poissons/viandes, textile/cuir et bon nombre d’autres produits importés qui connaissent un déséquilibre offre/demande, sphère produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, où existent des liens dialectiques entre cette sphère et la logique rentière, avec des situations oligopolistiques de rente.
Le taux officiel a été selon le site international financier Index Mundi de 1999 à fin 2019 :
– 2000, 2,0%
– 2001, 3,0%
– 2002, 3,0%
– 2003, 3,5%
– 2004, 3,1%
– 2005, 1,9%
– 2006, 3,0%
– 2007, 3,5%
– 2008, 4,5%
– 2009, 5,7%,
– 2010, 5,0%
– 2011, 4,5%
– 2012, 8,9% (après les augmentations de salaires)
– 2013, 3,9%
– 2014, 2,9%
– 2015, 4,2%
– 2016, 5,9%
– 2017, 5,6%
– 2018, 5,6%
– 2019, 5,6%
Selon l’ONS en 2020, 2,4% et prévision 4,2% en 2021, taux qui est dépassé. Selon les données officielles, l’inflation cumulée a dépassé les 82% entre 2000/2020 et en redressant les taux de 20%, nous avons une détérioration du pouvoir d’achat durant cette période de 100%. 
Se pose la question alors que la population dépasse 44 millions en 2020, avec une population active de plus de 12 millions, nous assistons à une décroissance du PIB qui est passé de 180 milliards de dollars à prix courants en 2018, 171 en 2019 et à environ 160 milliards de dollars fin 2020 et de la concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière où fait nouveau, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre.
L’action louable au profit des zones d’ombre serait un épiphénomène face à la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la société civile informelle silencieuse, la plus nombreuse, atomisée, non encadrée qui risque de basculer dans l’extrémisme, face à des discours de responsables déconnectés de la réalité, des partis politiques traditionnels et une société civile officielle souvent vivant de la rente, inefficience comme intermédiation sociale et politique, ce qui pose un problème de sécurité nationale : attention avec cette dévaluation accélérée du dinar au scénario vénézuélien et libanais où le signe précurseur est la mise en circulation d’un billet de 2 000 dinars. Les tensions sociales, à court terme tant qu’il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal gérés et mal ciblés, qui ne profitent pas toujours aux plus démunis.
Ces tensions sociales sont également atténuées par la crise du logement qui renforce la solidarité familiale (même marmite, mêmes charges), assurant une paix sociale transitoire. L’effet d’anticipation, d’une dévaluation rampante du dinar, via la baisse de la rente des hydrocarbures, risque d’avoir un effet désastreux sur toutes les sphères économiques et sociales, avec comme incidences l’amplification du processus inflationniste, l’extension, de la sphère informelle et sur le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever de plusieurs points, l’ajustant aux taux d’inflation réel, si elles veulent éviter la faillite, freinant à terme le taux d’investissement à valeur ajoutée.

4- Qu’en est-il de la relance économique en 2021 ?
La croissance économique contribue comme facteur d’appréciation du dinar ce qui est juste en soi, en théorie, mais comment peut-on relancer l’économie actuellement en berne pour des raisons internes et externes. Restent deux solutions, l’endettement extérieur, ou la dépense publique via la rente des hydrocarbures devant distinguer la partie dinars avec une dette publique via la planche à billets qui risque d’exploser et la partie devise influant sur le niveau des réserves de change ou combiner les deux à la fois. Et en cas de la faiblesse de la production interne, nous assisterons à l’amplification du processus inflationniste, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques n’étant pas propre à l’Algérie, comme en témoigne les expériences récentes du Venezuela et du Liban.
(A suivre)
Professeur des universités Expert international Dr Abderrahmane Mebtoul