Le conte et la poésie populaire véhiculés essentiellement par l’oralité

Ou la culture des illettrés de l’ancien temps

Produits essentiellement par nos arrières grands-mères et tous ceux qui avaient la capacité de penser et de composer oralement, les contes et les poèmes de l’ancien temps, ont été véhiculés par l’oralité.

« La culture des illettrés » peut paraitre péjoratif, mais en réalité, c’est ainsi qu’il faut l’appeler compte tenu du fait qu’il s’agit là d’une littérature ancienne produite par des illettrés à une époque donnée de notre histoire. Ceux qui composaient les textes exerçaient beaucoup leur mémoire parce qu’ils ne savaient pas écrire, leur cerveau étaient de vraies machines à mémoriser leurs histoires qu’ils arrivaient à mettre au point au fil des jours. Tout le monde sait que dans l’ancien temps, particulièrement sous la colonisation, il n’y avait pas d’écoles pour tout le monde, y compris pendant la période turque et quand il y en avait, la plupart des familles refusaient d’y envoyer leurs enfants. On préférait voir les enfants dans les travaux des champs que de les envoyer à l’école. On se rappelle de l’histoire d’un petit enfant habillé en berger et que son père voulait envoyer à l’école, il demande à sa femme de lui faire sa toilette et de l’habiller proprement.
Envoie-le comme ça, lui dit la dame et quand le maître le verra tout sale, il va nous le renvoyer, et c’est tant mieux car qui va garder les chèvres et les moutons. Cependant, il ne faut pas oublier de mentionner l’existence d’écoles coraniques presque dans tous les villages et de zaouïas dans chaque dans chaque région. Il y a une carte des zaouïas en Algérie qui montre bien que les enfants sortant des écoles coraniques après avoir appris le coran, pouvaient pour ceux qui avaient la possibilité se perfectionner en arabe classique, mathématiques ainsi que les matières essentielles comme la langue arabe, le droit musulman. Pour ceux qui avaient mémorisé le coran, c’était largement accessible. Les zaouïas étaient ainsi comme des écoles supérieures par rapport aux écoles coraniques. Mis à part ceux qui avaient appris la langue arabe pour différents usages, l’écrasante majorité était illettrée et pour meubler le vide, on venait se mettre à côté des plus vieux pour les entendre réciter des contes à caractère éducatif ou des poésies. Cela ouvrait de nouveaux horizons et redonnait un peu d’espoir dans une vie où les principales activités étaient les travaux des champs ou quelques activités artisanales.

Les contes de grand-mère
Les plus vieilles qui avaient gardé intacte leur mémoire avaient en plus des capacités langagières et le temps libre nécessaire pour se mettre à produire des contes et dans un langage accessible à un public de tout âge car il ne faut pas oublier de mentionner que la langue parlée, à l’époque où les gens sont restés des siècles sans avoir connu d’école, cette langue parlée avait connu plusieurs niveaux, il y avait le niveau des gens qui exprimaient leur quotidienneté, c’est la langue vulgaire ou celle de tous les jours, ensuite c’est le niveau des beaux parleurs, ceux qui cherchaient à échanger la parole avec d’autres qui savaient manier le verbe en essayant de relever le niveau. Il s’agit de ceux qui se livraient à des joutes oratoires, c’est le parler de gens qui ont su travailler la langue au point de pouvoir se lancer des cabales avec d’autres comme eux. Entre ce niveau relevé et le niveau vulgaire, il d’autres niveaux intermédiaires. Et le niveau littéraire était celui de ceux qui composaient des contes et des poèmes, qui s’adressait à un large public.
Celui-ci cherchaient à apprendre par cœur les poèmes ou les contes de meilleure facture possible, car le public des apprenants cherchaient à apprendre des textes composés dans un style recherché, ce qui est légitime, il faut apprendre ce qu’il y avait de plus beau pour pouvoir les réciter avec l’intonation et la verve nécessaires pour mieux impressionner et montrer aux autres tout son savoir et son savoir faire. Ceux qui avaient eu don de composer les contes et les poèmes n’avaient pas fait les grandes écoles des gens lettrés, mais l’école de la vie dont les équivalentes étaient celles qui avaient donné naissance à Socrate et à Homère de la Grèce antique. Parmi nos anciens auteurs qui avaient produit des textes oraux qui se transmettaient de bouche à oreille, il y en avait qui étaient de grands philosophes qui s’ignoraient de la taille de Socrate, mais chez nous on n’a jamais cherché à les valoriser, peut-être par esprit d’infériorité, ou par négligence ou sous-estimation.
Pourtant, que de contes anciens qui avaient traversé des siècles pour devenir aujourd’hui d’une valeur inestimable tel « Le grain magique » de Taous Amrouche est réputé pour son caractère merveilleux, « Avava Inouva » est à l’origine un conte très ancien chanté par Idir et par lequel il a entamé une belle carrière de chanteur renommé, elle a fait fureur dans le monde entier, elle a été chanté dans toutes les langues. « La vache des orphelins » est un très beau conte très ancien, il a traversé des générations et n’a rien perdu de sa beauté, on l’attribue à une arrière grand-mère, conteuse émérite, il a été recueilli par Mouloud Féraoun avec une série d’autres contes anciens. Les contes populaires, comme les contes de grand-mère, il y en a dans tous les pays réputés pour leur culture populaire, comme tous les pays d’Afrique du nord, la Russie, l’Allemagne, la France.

Une production littéraire orale d’une époque donnée
On produisait oralement des textes qui, aujourd’hui, valent très cher pour leur contenu et leur ancienneté, des textes de grande valeur et souvent anonymes qui racontent des péripéties de la vie ancienne. Pourquoi des textes anonymes, c’est parce qu’ils étaient composés oralement étaient diffusés sitôt qu’ils sortaient de la bouche de leurs auteurs sans que ceux-ci n’aient jugé utile de leur coller leurs noms. Peu importe devaient se dire les producteurs et pourvu que ça plaise à tout le monde. Cependant, les textes narratifs qui n’étaient ni imprimés, ni édités, étaient diffusés par les vieilles grands-mères, elles avaient le don de conter et la capacité de les mémoriser et de les transmettre à d’autres pour que le patrimoine ne se perde pas. Ainsi quand ces vieilles avaient des jeunes filles ou de jeunes garçons intéressés, ceux-ci prenaient le temps de les conserver ou de les transmettre à d’autres sous prétexte que les paroles s’en vont. C’est de cette façon que la grand-mère, de Taous Amrouche, probablement la dernière d’une lignée de vieilles chargées de raconter les contes et légendes anciens.
Cependant Taous avait bien mémorisé tout ce qui lui avait confié par sa grand-mère, et une fois devenue écrivaine de grand talent, elle s’est chargé de donner une forme écrite à ces contes et les éditer depuis très longtemps à la maison d’édition Maspero. Mouloud Féraoun que nous avons cité précédemment, a fait le même travail pour de très beaux contes de sa région. Si chacun faisait la même chose pour les contes et légendes de sa région, quel beau patrimoine on aurait. Comme exemple atypique de poète de l’oralité et que nous connaissons le plus, il y a Si Mohand qui n’écrivait jamais et ne serait-ce qu’un vers et n’a jamais mis en forme un quelconque poème sinon oralement , et il en a composé des centaines sur tous les thèmes intéressant la vie humaine et sa vie confrontée a toutes les vicissitudes, à l’armée coloniale française qui a rasé son village pour y faire construire Fort National en décimant toutes les familles et la famille du poète dont un oncle qui a fait de la résistance, a été envoyé en Nouvelle Calédonie comme tous les Algériens les plus durs pour l’armée coloniale.
Une longue histoire ! Si Mohand venait de perdre son village, sa famille, il s’est retrouvé errant malgré lui, son frère a pris la fuite en Tunisie, et il a retrouvé ses traces pendant que son oncle résistant a été déporté au loin si bien que le poète a mené une vie d’errant jusqu’à sa mort. Et pendant l’errance, il a composé des poèmes de circonstance, bien rythmés, rimés et d’un vocabulaire adapté, émaillé de mots d’arabe classique. Si Mohand avait fait des études en arabe classique dans une zaouïa et si la colonisation française n’avait pas brisé sa vie, il serait devenu taleb ou professeur dans une zaouïa. Pour lui qui ne répétait jamais un poème, il appartenait au public intéressé de mémoriser les poèmes au risque de les perdre. Heureusement que des écrivains se sont mis et bien plus tard à les recueillir auprès des personnes qui les avait appris pour les imprimer et en faire des recueils. Dans chaque région d’Algérie, il y avait de grands poètes admirés en leur temps, mais nous ne les connaissons pas, à l’exemple de Ben Guitoun à l’Est, Ibn Elmsaib à Tlemcen, qui aurait vécu du temps de Sidi Boumedienne. A l’Ouest, Mostefa Ben Brahim, barde des Beni Amer est réputé pour ses chants de nostalgie, après ses démêlés avec les responsables coloniaux.
Boumediene ABED