Quelles perspectives pour l’économie algérienne entre 2021/2022 ?

Face à la crise mondiale et à la dégradation des indicateurs économiques et sociaux

Le monde traverse une crise inégalée où selon le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE, le chômage et l’exclusion sociale tend à s’étendre au niveau planétaire, touchant surtout les pays les plus vulnérables, la croissance de l’économie mondiale ne devant revenir au niveau de 2019, qu’en 2022 sous réserve de la maîtrise de l’épidémie du coronavirus.

En Algérie, nous assistons pour 2020 à la détérioration des indicateurs économiques et sociaux (décroissance du PIB, baisse des réserves de change, inflation, chômage) dont l’extension de la sphère informelle liée à la logique rentière. Le président Abdelmadjid Tebboune, lors de sa rencontre avec la presse le 4 avril 2021, a indiqué que le chiffre oscillerait au cours de 130 dinars un dollar, entre 46,15 milliards de dollars et 76,92 milliards de dollars, écart énorme.
Si l’on prend le montant de 76,92 milliards de dollars ramené au PIB de 2020 d’environ 160 milliards de dollars nous aurons un taux de 48,12% presque la moitié du PIB, rendant difficile une cohérence de la politique socio-économique et où avec la crise de liquidités, selon nos enquêtes la majorité des citoyens se sont rués vers les banques pour retirer leur épargne. Donc l’Algérie insérée à l’économie mondiale doit trouver des solutions appropriées loin des replâtrages conjoncturels et des promesses utopiques. Un discours de vérité s’impose si l’on veut redresser l’économie algérienne.

1- Qu’en est-il des liens dialectiques, réserves de change, cotation du dinar et inflation ?
Les réserves de change sont passées de 194,0 milliards de dollars fin 2013 à 2019, 62 milliards de dollars fin 2019 et à fin 2020, malgré toutes les restrictions à l’importation, selon la déclaration du Président de la République en date du 1er mars 2021 entre 42/43 milliards de dollars. Le ministère des Finances projette dans le PLF-2021, une amplification de sa dévaluation, pour 2022, 149,32 DA pour 1 USD et pour 2023 156,72 dinars un dollar avec un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars et un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB, le solde des réserves de change fin 2021 devant s’établir au rythme des années 2019/2020 à moins de 20 milliards de dollars s’il n’y pas de relance économique, la loi de Finances 2021, pour son équilibre selon le FMI et la Banque mondiale, nécessitant entre 100/110 dollars le baril. Le PIB à prix courants est passé de 180 milliards de dollars à prix courants en 2018, 171 en 2019 et à environ 160 milliards de dollars fin 2020 avec un taux de croissance de 0,8% en 2019 et moins de 6% en 2020.
Le taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, un taux positif de 3% en 2021, rapporté à 2020, moins de 6% donnant un taux de faible, en termes réel entre 0 et 1% largement inferieur à la croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8/9% sur plusieurs années afin d’absorber 350 000/400 3000 emplois par an. On ne peut pas tout restreindre, quitte à étouffer tout l’appareil productif, quitte à aller vers une implosion sociale avec un taux de chômage ayant dépassé 15% en 2020.
Qu’en est-il de l’évolution du cours officiel du dinar corrélé aux réserves de change pour la période de 2001 au 5 avril 2021 ?
– 2001 : 77,26 dinars un dollar et 69,20 dinars un euro
– 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro :
– 2019 : 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro
– 2020 : 128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro.
Selon la BA entre le 5 et le 7 avril 2021, la cotation est de 133,3558 dinars un dollar et 156,9731 dinars un euro, une petite appréciation non pas due aux indicateurs économiques en dégradation, mais sous la pression des évènements. C’est une décision administrative, de peur de ne pouvoir contrôler le processus inflationniste, avec comme incidences une baisse de la fiscalité tant hydrocarbures que la fiscalité ordinaire, alors la cotation entre l’euro et le dollar évolue au niveau des bourses mondiales de façon inversement proportionnelle, la cotation du 5 avril étant de 1,1811 contre 1,2100 en janvier 2021 montrant que les propos du ministre des Finances ne répondent pas à une logique économique mais à une décision politique. Comme en témoigne le creusement du déficit de la balance des paiements confirmés par le PLF-2021 où les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) se situent à environ 64,98 milliards de dollars au cours de 128 dinars un dollar au moment de l’établissement de la loi et les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) estimées à 41,62 milliards de dollars.
Cela donne un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB, montant qui risque d’être accentué par les exonérations de la TVA de certaines produits, pour des raisons sociales, qui feront baisser la fiscalité ordinaire, creusant davantage le déficit budgétaire. Cette dévaluation qui ne dit pas son nom permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. En cas de baisse drastique des réserves de change à 10/12 milliards de dollars, qui tiennent la cotation du dinar algérien à plus de 70%, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 dinars un euro avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation d’environ 300 dinars un euro minimum, surtout en cas d’ouverture des frontières.
Cette dépréciation du dinar par rapport au dollar et à l’euro accélère la méfiance du citoyen vis-à-vis du dinar, en plus du manque de liquidités, amplifiant la sphère informelle où selon la Banque d’Algérie entre 2019/2020, la masse monétaire circulant en dehors du circuit bancaire, a atteint 6140,7 milliards de dinars (près de 47,23 milliards de dollars au cours de 130 dinars un dollar) à la fin de l’année 2020, soit une hausse de 12,93% par rapport à 2019. Le président Abdelmadjid Tebboune, lors de sa rencontre avec la presse le 4 avril 2021, a indiqué que le chiffre oscillerait entre 6 000 et 10 000 milliards de DA, soit au cours de 130 dinars un dollar entre46,15 et 76,92 milliards de dollars soulignant qu’existent des données contradictoires, cet écart énorme étant dû à un système d’information non fiable, et que les mesures adoptées pour drainer une partie de cet argent, via la finance islamique, ont permis de drainer seulement 100 milliards de dinars soit à peine 1% si l’on prend le montant de 10 000 milliards de dollars (voir étude sous la direction du Pr Abderrahmane Mebtoul pour l’Institut français des relations internationales IFRI, Paris décembre 2013, les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb).
Le processus inflationniste interne où la majorité des produits importés, exceptés ceux subventionnés, connaissent depuis décembre 2020 une augmentation variant entre 30/50%, voire 100% pour certains produits comme les pièces détachées de voitures en contradiction avec l’indice officiel de l’ONS non réactualisé depuis 2011, le besoin étant historiquement daté. Le dérapage du dinar contribue ainsi à la baisse des salaires ramenés en devises. Ainsi un salaire net de 50 000 dinars équivaut au cours actuel à 310 euros et le SMIG de 20 000 dinars à 125 euros, montant qu’il faut réduire de 50% si l’on prend le cours du marché parallèle. Le taux officiel d’inflation selon les données officielles, l’inflation cumulée a dépassé les 82% entre 2000/2020 et en redressant les taux de 20%, nous avons une détérioration du pouvoir d’achat durant cette période de 100%. Se pose la question de la décroissance du PIB par tête d’habitant, alors que la population dépasse 44 millions en 2020, avec une population active de plus de 12 millions, nous assistons à une décroissance du PIB qui est passé de 180 milliards de dollars à prix courants en 2018, 171 en 2019 et à environ 160 milliards de dollars fin 2020 et cette concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière où fait nouveau, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre.
L’action louable au profit des zones d’ombre serait un épiphénomène face à la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la société civile informelle silencieuse, la plus nombreuse, atomisée, non encadrée qui risque de basculer dans l’extrémisme, face à des discours de responsables déconnectés de la réalité, des partis politiques traditionnels et une société civile officielle souvent vivant de la rente, inefficience comme intermédiation sociale et politique, ce qui pose un problème de sécurité nationale : attention avec cette dévaluation accélérée du dinar au scénario vénézuélien et libanais où le signe précurseur est la mise en circulation d’un billet de 2 000 dinars. Les tensions sociales, à court terme tant qu’il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal gérés et mal ciblés, qui ne profitent pas toujours aux plus démunis et également atténuées par la crise du logement qui renforce la solidarité familiale (même marmite, mêmes charges). L’effet d’anticipation, d’une dévaluation rampante du dinar, via la baisse de la rente des hydrocarbures, risque d’avoir un effet désastreux sur toutes les sphères économiques et sociales, avec comme incidences l’extension, de la sphère informelle et sur le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever de plusieurs points, si elles veulent éviter la faillite, freinant à terme le taux d’investissement à valeur ajoutée.

2- Qu’en est-il des perspectives de la relance économique en 2021 ?
Pour atténuer les tensions sociales, il faudra pour plusieurs années un taux de croissance reposant sur une nouvelle politique socio-économique, entre 8/9% afin d’insérer 350 000/400 000 emplois additionnels par an qui s’ajoutent aux taux de chômage actuel évalué selon le FMI à environ 15% en 2020 incluant l’emploi au niveau de la sphère informelle. L’appréciation du dinar ou sa dépréciation sera fonction du taux de croissance réel, des indicateurs macro financiers et économiques, de la stabilité juridique, institutionnelle et politique, les élections législatives étant prévues en juin 2021. Or, l’économie risque d’être en berne durant tout le premier semestre 2021, avec des résultats pas avant fin juin 2021, les investisseurs potentiels attendant la politique du nouveau gouvernement expliquant dans bon nombre de secteurs des accords d’intention qui n’engagent pas juridiquement le signataire, et non des contrats définitifs.
Restent pour 2021 deux solutions, l’endettement extérieur, ou la dépense publique via la rente des hydrocarbures devant distinguer la partie dinars avec une dette publique via la planche à billets qui risque d’exploser et la partie devise influant sur le niveau des réserves de change. Avec l’épidémie du coronavirus et les restrictions d’importation sans ciblage, selon les organisations patronales, plus de 70% d’entreprises sont en difficultés, fonctionnant à moins de 50% de leurs capacités. Quant aux projets comme le fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tébessa hautement capitalistique, montant de l’investissement dépassant 15 milliards de dollars pour uniquement ces deux projets, selon l’ex-ministre de l’Industrie (source APS décembre 2020) qui n’en sont actuellement qu’aux intentions, comme rappelé précédemment, un mémorandum n’étant pas un contrat définitif.
(A suivre)
Professeur des universités Expert international Dr Abderrahmane Mebtoul