Mois de dévotion, de solidarité et de plaisir de manger

Traditions ramadhanesques

Le croyant, c’est celui qui, par conviction religieuse, sait qu’au-delà des épreuves difficiles du jeûne, il y a le plaisir de retrouver la nourriture après avoir répondu à Dieu par l’accomplissement d’un devoir sacré.

En effet, jeûner, c’est être capable de se mettre à la place de celui qui, par extrême pauvreté, n’a pas de quoi satisfaire sa faim, c’est aussi comprendre le sens d’une vraie solidarité envers ses semblables qui souffrent chaque jour de pauvreté, souvent dans l’anonymat. A propos du jeûne, il est dit dans le Coran s’adressant aux musulmans : «Il vous a été imposé durant un mois», pour signifier qu’il s’agit là d’un devoir incontournable à accomplir pour notre bien.

Des attributs de Dieu et un régime alimentaire approprié
Comme un des piliers de l’Islam, le Ramadhan est un passage obligé pour chaque musulman pratiquant. Le mot pratiquant, d’un grand poids sémantique, veut dire apporter la preuve concrète qu’on respecte la parole divine, par le jeûne qu’on s’impose dans toute sa rigueur, les cinq prières quotidiennes, la chahada ou profession de foi, la zakat et le pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam pour celui qui en a les moyens physiques et matériels. Ajoutons à cela, les rites surérogatoires qui entrent dans l’adoration et la soumission à Dieu, comme par exemple les prières de Tarawih. Lorsqu’on entame le mois de Ramadhan, le corps doit s’habituer à une forme de régime qui perturbe les organes et selon un horaire imposé par le Ramadhan.
Cela entraîne une déstabilisation du corps d’un point de vue métabolique, le métabolisme étant un ensemble de réactions internes à l’organisme humain quand celui-ci rompt avec les habitudes. Ce qui se produit aussi dans les premiers jours qui suivent la fin du mois sacré. D’où la nécessité d’une régulation du métabolisme, d’autant plus que la faim qui tenaille les jeûneurs pousse à la surconsommation dès qu’arrive le moment de manger. A titre illustratif, on vous rapporte une belle anecdote qui montre la différence entre manger raisonnablement et se goinfrer. Deux collègues parlent chaque matin de journée de Ramadhan et de leur état physique. L’un d’eux fait part à l’autre de ses maux d’estomac et de manière récurrente, au point de l’inciter à le faire parler sur son régime alimentaire.
Que manges-tu, lui dit-il, pour avoir si mal chaque matin. Le premier lui raconte que la table est pleine à craquer de plats préparés ingénieusement par sa femme experte en cuisine, dès les premières minutes, qui précèdent le f’tour, il y a de la chorba blanche, de la chorba rouge, des tomates ou des courgettes farcies, des pommes de terre ou des haricots au poulet ou à la viande de mouton, du bourek farci de viande hachée et la liste terminée par les entremets et une diversité de desserts sont des gâteaux au thé. «Tu imagines toutes ces victuailles chaque nuit de Ramadhan et tu oses te plaindre de maux d’estomac ?».
«Oui, lui répond-il. J’ai le malheur d’avoir pour épouse une spécialiste en art culinaire. De plus, elle m’a ruiné par ses séries de recettes pour chaque légume et variété de viande, y compris pour les rognons qu’elle cuisine différemment. Eh toi, de quoi te nourris-tu pour être en si bonne forme physique ?» L’autre lui répond tout de go : «C’est très simple et comme nous sommes en octobre (des années soixante-dix), nous prenons à la place de la chorba des figues sèches trempées dans l’huile d’olive, et pour eldjouaz, un couscous au bouillon de légumes, sans viande. Pendant tout le mois, la viande ne rentre pas chez moi. Au s’hour, mon épouse et moi, nous consommons avec délectation un couscous mesfouf au raisin blanc qui se vend à 2,50 DA le kilo (on est en 1972).

Une vie de spiritualité et de bonne moralité
Au moment où le croyant lève la cuillère pour sa première bouchée, sa pensée va vers les pauvres. Cette forme de compassion, d’altruisme et de solidarité se renforce au cours de la vie d’un vrai pratiquant et, particulièrement pendant le mois de Ramadhan. Cet élan vers les autres fait de piété et de piété constitue l’un des fondements du Ramadhan par lequel la communauté musulmane voit plus clair les valeurs de la religion musulmane : lutte contre l’avarice, don de soi et plaisir de partager avec les autres, renforcement des liens de fraternité, tel que recommandé dans les sourates coraniques. Face au monde moderne qui nous envahit, parfois même en nous faisant oublier nos obligations, l’acte d’adoration de Dieu se renforce durant ce mois sacré.
Ne peut-on pas, alors ajouter que pour ceux qui ont oublié ou qui ont été défaillants, le Ramadhan est un moyen que Dieu nous a donné comme une nouvelle chance à un examen qu’on a raté, pour revenir à la parole du Tout-Puissant. Et c’est cette ferveur religieuse, donnant tout son sens à la spiritualité comme un bain de journée qui nous rappelle nos devoirs, donne un sens à la vie communautaire, incite à mieux travailler. Le mois de Ramadhan n’est pas seulement celui du sommeil prolongé, de la bonne cuisine ou de la boulimie, il est celui du travail bien fait pour mieux servir les autres, du retour vers Dieu, de l’ouverture du cœur qui se libère du poids des désirs personnels. Et lorsque toutes ces conditions sont réunies, on découvre le vrai Islam fait non seulement de ferveur religieuse, mais d’ardeur aux bonnes actions, de travail bien fait, de créativité dans le sens du bien des autres.
Abed Boumediene